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"Le juge n'a pas à dire l'histoire" : oui et non.
> Dans
> chaque procès il prend position sur le déroulement des
> faits. Voilà , je pense qui rend compte des prétendues
> variations des déclarations de Madeleine Rebérioux.
Madeleine Rebérioux,
novembre 1990 :
Rappelons d’emblée que les tribunaux n’ont pas attendu la loi de 1990 pour juger des affaires impliquant les pseudo-révisionnistes et pour les condamner. La justice n’était pas désarmée. Mais ce n’était pas au nom de la « vérité historique » qu’elle jugeait. Deux exemples l’illustrent.
Le 25 juin 1981, j’ai été entendue comme témoin, à la demande de maître Roland Rappaport, dans le procès intenté contre Robert Faurisson par le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix (MRAP), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) et l’Association des déportés d’Auschwitz. Robert Faurisson avait déclaré le 16 décembre 1980 sur Europe 1 : « Le prétendu gazage et le prétendu génocide juif ne sont qu’un seul et même mensonge historique qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont les principaux bénéficiaires sont l’État d’Israël et le sionisme international. » N’étant pas juive et n’appartenant pas au groupe des admirateurs inconditionnels de la politique d’Israël, j’étais là pour dire ce que je savais du gazage et du génocide, j’étais là comme historienne.
Mais - et voilà l’important - les plaignants ne demandaient pas aux juges de se prononcer sur l’existence des chambres à gaz. Il s’agissait pour eux de mettre en lumière l’atteinte portée au souvenir, les dommages irréversibles causés à la mémoire de toute une collectivité. Tel fut le sens de la condamnation pour diffamation publique rendue le 3 juillet 1981 par la 17e chambre du Tribunal de grande instance de Paris : « Le tribunal entend préciser qu’il ne lui appartient pas de confirmer l’histoire. » La Cour d’appel, sollicitée par Robert Faurisson ajouta que « les assertions d’ordre général » que ce dernier avait produites ne présentaient « aucun caractère scientifique » et relevaient de « la pure polémique ».
Madeleine Rebérioux prétendait ainsi, en 1990, que l'arsenal législatif antérieur à l'entrée en vigueur de la "loi Gayssot" était suffisamment efficace, inexactitude réfutée depuis longtemps.
Ce faisant, cette grande historienne, dont j'ai lu avec plaisir plusieurs de ses travaux et ouvrages de synthèse, et qui savait faire preuve d'une grande probité, révélait une contradiction interne dans son raisonnement. En effet, elle n'a pas paru réaliser, à cette date, que l'argument dit de l'efficacité des lois antérieures impliquait que le juge
"dise l'Histoire", c'est à dire qu'il ait à trancher en faveur ou non de la réalité de l'extermination des Juifs. Car
"mettre en lumière l’atteinte portée au souvenir, les dommages irréversibles causés à la mémoire de toute une collectivité", c'est se fonder sur le principe de l'existence d'un tel génocide, puisque de telles atteintes, de tels dommages, ne seraient nullement établis en l'absence d'un tel meurtre de masse !
Bref, le raisonnement suivi par Madeleine Rebérioux était manifestement aporique, car pour condamner un négationniste à réparer un dommage (le préjudice mémoriel) découlant de sa faute (le bobard négationniste), le Tribunal n'avait d'autre choix que de tenir pour acquise l'extermination des Juifs, événement fondateur du souvenir auquel le négationnisme porte atteinte.
Et c'est peut-être parce qu'elle avait pleinement réalisé l'existence de cette aporie qu'elle radicalisera par la suite son propos, interdisant totalement aux tribunaux ce qu'elle leur accordait sans l'ombre d'une hésitation en 1990, à savoir statuer sur des questions d'Histoire pour déterminer la réalité et l'ampleur d'un préjudice, dans le cadre d'une action en responsabilité civile.
Son article paru dans L'Histoire en novembre 1995, prenant la défense de Bernard Lewis (négateur du génocide arménien) est particulièrement éclairant d'un tel revirement, qui a effectivement le mérite de la cohérence, mais paraît exalter l'impunité et l'irresponsabilité des historiens, même en cas de faute, même en cas de mensonge, même en cas de falsification, ce qui était jeter la Constitution et le Code civil aux orties. Outre d'énoncer une formulation malencontreuse, évoquant
"ces tueries [le génocide arménien]
que Bernard Lewis ne nie pas" -
le Tribunal de Grande Instance de Paris ne s'y est, pour sa part, et heureusement, pas trompé...