De sérieuses incohérences - Site personnel de F. Delpla, Historien 1939-45 - forum "Livres de guerre"
Pour profiter de
tous les avantages
de ces pages, vous
devez accepter
les cookies


www.delpla.org, le site de l'historien François Delpla
 
 
 
 Le débat sur ce livre
 
 L'accueil
 Le menu
 Le forum
 Les livres
 Ajouter un livre, ...
 Rechercher
 Où trouver les livres ?
 Le Glossaire
 Les points
 Les pages LdG
 L'équipe
 Les objectifs
 La charte
 Droit de réponse
 L'aide
 
 
 

 


La description du livre

Site personnel de F. Delpla, Historien 1939-45 / François Delpla

En réponse à -3 -2
-1invoquer sérieusement le sérieux de françois delpla

De sérieuses incohérences de Nicolas Bernard le lundi 07 juin 2010 à 12h18

A titre préalable : l'arrêt (pas le jugement) de la Cour de Cassation ne spécifie pas que la loi est légale, mais qu'elle n'est pas attentatoire à la Constitution, donc aux Droits fondamentaux.

A toutes fins utiles, cette décision rendue par la Haute Juridiction met fin à toute possibilité de contestation, en justice, de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, ce qui achève de rendre purement académique le débat intéressant une éventuelle (quoique fort improbable, sauf prise du pouvoir par un gouvernement d'extrême droite) abrogation de cette disposition.

En effet, la recevabilité d'une question prioritaire de constitutionnalité est subordonnée au fait qu'elle n'a pas fait l'objet d'une décision portant sur le même objet, aussi bien du Conseil constitutionnel que des juridictions ayant à statuer sur ce type de recours.

En toute hypothèse, je voyais très mal la Cour de Cassation ou le Conseil constitutionnel considérer cette loi comme violant les Droits fondamentaux, dans la mesure où la Cour européenne des Droits de l'Homme et le Comité des Droits de l'Homme des Nations unies en avaient jugé autrement. C'est peut-être ce point, essentiel, qui explique pourquoi la Cour de Cassation a rejeté la Q.C.P. litigieuse en lui déniant tout caractère sérieux...

A l'inverse, si le travail de la Ligue des Droits de l'Homme est bien évidemment utile, et même nécessaire, il ne m'apparaît pas que ses interventions hostiles à la "loi Gayssot" aient fait preuve de toute la rigueur qui s'imposait, et ce par méconnaissance des réalités du Droit.

Ainsi, contrairement à ce que la Ligue, par la personne de sa Présidente d'Honneur, la regrettée Madeleine Rebérioux, alléguait, le dispositif législatif n'était nullement adapté à la spécificité du négationnisme. Si certains négationnistes ont pu faire l'objet de condamnations pénales, ce n'est pas en vertu de leur remise en cause de la réalité de l'extermination des Juifs, mais pour avoir été trop francs, c'est à dire avoir nommément injurié ou diffamé les Juifs pris en tant que communauté (ce qui relevait effectivement des délits de provocation à la haine raciale, ou de diffamation raciale), ou certains historiens (tels que Léon Poliakov), ou encore pour avoir trop ouvertement proclamé leur attachement à la cause du national-socialisme.

En revanche, la loi pénale étant d'interprétation stricte, il ne paraissait pas possible de condamner des textes négationnistes sachant faire preuve de prudence, sauf à dénaturer profondément les dispositions répressives alors existantes de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, interprétées d'autant plus strictement qu'elles bornent une liberté fondamentale, la liberté d'expression.

Adopter la position défendue par Madeleine Rebérioux (et, ici, par François Delpla), revient à donner à des textes pénaux d'interprétation stricte une portée qu'ils ne pouvaient avoir, et à accorder au juge une bien trop grande marge d'appréciation qui eût risqué d'aboutir à une jurisprudence particulièrement erratique, à l'instar des jugements et des arrêts rendus par les juridictions civiles sur le fondement de la responsabilité civile définie par l'article 1382 du Code civil.

En d'autres termes, et le paradoxe, pour étonnant qu'il soit, n'en est pas moins réel : sous prétexte de lutter en faveur de la liberté d'expression, ses promoteurs en viennent à émettre des propositions liberticides, car enfin, n'est-il pas dangereux pour les libertés d'adopter une conception extensive d'une loi pénale originaire statuant sur des hypothèses précisément et fermement délimitées ? n'est-il pas dangereux de s'en remettre totalement au juge, au risque de susciter des décisions juridictionnelles contradictoires, relaxant dans un cas pour condamner dans l'autre ? N'est-il pas sain, au contraire, de bénéficier d'une législation adaptée au négationnisme, sanctionnant un délit spécifique contre une menace spécifique, réduisant considérablement la marge de manoeuvre du juge ?

Liberticide, l'argument traduit également une méconnaissance de la criminologie : contre les négationnistes, il faut aggraver les peines prévues par la législation répressive antérieure à la "loi Gayssot", écrit François Delpla. Certes, certes, mais c'est oublier que, comme on sait, l'efficacité d'une loi pénale ne repose pas uniquement sur la sanction qu'elle prévoit, mais également sur le fait qu'elle sera appliquée, ce qui doit théoriquement conduire toute personne à savoir que ses agissements répréhensibles, non seulement peuvent aboutir à une condamnation, mais y aboutiront probablement, cette problématique étant particulièrement d'actualité vis-à-vis du téléchargement pirate. Bref, alourdir les peines n'aurait d'intérêt qu'à condition que le texte répressif puisse s'appliquer, ce qui n'est pas le cas, et revient à mettre la charrue avant les boeufs.

Par ailleurs, et de manière particulièrement incohérente, Madeleine Rebérioux se félicitait de l'existence d'un arsenal législatif capable de sanctionner le négationnisme, tout en considérant que le juge n'avait pas à dire l'Histoire... C'est pourtant ce qu'il fait depuis longtemps, et condamner Faurisson à réparer le dommage causé aux survivants et à leurs ayants droits implique, nécessairement, de statuer sur l'existence du génocide juif (car, à défaut de génocide, quel serait donc le dommage causé à la mémoire de ces survivants ?).

Il importe de noter que Madeleine Rebérioux avait accepté de témoigner au cours du procès intenté à Faurisson en 1981 pour diffamation raciale, preuve qu'à l'époque elle avait considéré que les juges pouvaient statuer sur des questions historiques. Par la suite, elle radicalisera son propos, condamnant en 1995 la condamnation d'un négateur du génocide arménien, pour, semble-t-il, revendiquer une irresponsabilité juridique absolue de l'historien ! Oubliant que l'historien, en tant que membre de la cité, est tout aussi responsable de ses actes...

Il convient en effet de préciser que l'historien bénéficie tout de même de droits et libertés consacrés, compte tenu de son statut, à charge pour lui de ne pas s'éloigner des principes qui régissent son métier, et tel est le sens des décisions juridictionnelles statuant à leur encontre : à supposer que leur méthodologie soit fautive, ce qui suppose une erreur intentionnelle ou grossière, et que cette faute ait causé un dommage, sa responsabilité civile est engagée. Un régime que Madeleine Rebérioux contestait vigoureusement au motif que le prétoire ne saurait se transformer en jury de thèse. Dont acte : avec ce type de rhétorique, pourquoi ne pas dénier également toute responsabilité juridique aux médecins ou aux architectes ?

En tout état de cause, la Ligue des Droits de l'Homme a su évoluer, et tenir compte de ces données. L'un de ses membres, l'avocat Daniel Jacoby, faisait ainsi valoir, dix ans auparavant :

Un juriste a besoin d'outils, d'outils juridiques pour défendre les intérêts qui lui sont confiés. Lorsqu'en en 1990 le problème de la loi Gayssot s'est posé, notamment au comité central de la Ligue des Droits de l'Homme dont je faisais partie, je me suis rallié, sans prendre position personnellement dans le débat, à la position majoritaire qui pensait que cette loi était une mauvaise loi, une loi dangereuse car portant atteinte à la liberté fondamentale de l'historien.

J'ai changé d'avis en six ans car en tant que juriste, je me suis rendu compte de l'efficacité de cette loi devant ce qui constitue à proprement parler des actes antisémites que sont les textes de littérature dite révisionniste.

D'autre part, je me suis rendu compte, à propos d'autres génocides que le génocide des juifs, notamment le génocide arménien, à quel point quelque chose manquait quand on n'avait pas à sa disposition cette loi. Je veux parler du procès que j'ai été contraint de faire à l'historien Lewis qui niait, et qui nie, le génocide des Arméniens. Ce fut un procès difficile, gagné devant la juridiction civile, mais à quel prix. Si la loi Gayssot avait été étendue à tous les génocides, nous aurions pu bénéficier d'un texte permettant d'obtenir beaucoup plus rapidement satisfaction en ce qui concerne les victimes.

L'élément qui a sans doute manqué à la réflexion des membres éminents du comité central en 1990, c'est la perspective des victimes. D'abord pour avoir dans ma famille un certain nombre de déportés, et en second lieu pour avoir discuté avec des fils et des petits-fils des victimes de génocides, je me suis aperçu de l'extrême douleur qu'avaient encore ces victimes ou leurs descendants devant la négation du génocide dont leurs parents, leurs familles ou leurs proches avaient été les objets. Déjà l'évocation de ce génocide est pour eux extrêmement douloureuse. Le fait d'avoir à justifier l'extermination systématique de gens de leur communauté est pour eux totalement insupportable. Et lorsque, devant les juridictions civiles, on doit démontrer une nouvelle fois l'existence d'un véritable plan génocidaire, tout raconter une énième fois avec des témoignages d'historiens, des témoignages de survivants, c'est intolérable.

*** / ***

lue 2063 fois et validée par LDG
 
décrypter

 



Pour contacter les modérateurs : cliquez !

 bidouillé par Jacques Ghémard le 1 1 1970  Hébergé par PHP-Net PHP-Net  Temps entre début et fin du script : 0.01 s  5 requêtes