"Hitler est un pur produit de la démocratie, assure sereinement l'ex-anonyme, qui poursuit : "C'est le plus légalement du monde qu'il est arrivé au pouvoir en janvier 33. Qu'il a eu des élections favorables (43 % des voix) en mars de la même année et qu'il s'est fait attribuer les pleins pouvoirs pour quatre ans peu après grâce à des votes parlementaires majoritaires dans la plus pure tradition républicaine. Et, pour cela, il n'a même pas eu besoin de profiter d'un équivalent de notre article 16. C'est Hindenburg qui l'avait à disposition, pas lui !" Plus loin, l'ex-anonyme affirme que Hitler a été élu...
Chacune des affirmations de l'ex-anonyme est inexacte :
1) Hitler n'a jamais été élu au poste de Chancelier : il a été nommé à ce poste par le Président du Reich, le très âgé GeneralFeldmarschall Paul Von Hindenburg, à la suite de manoeuvres ministérielles de courte vue orchestrées par Franz Von Papen, ex-Chancelier en 1932, désireux de faire tomber le prédécesseur de Hitler, Kurt Von Schleicher. Hitler, multipliant sourires hypocrites et fausses promesses de modération, a su jouer de ces rivalités internes pour se poser en politicien rassurant.
2) En fait, Hitler n'a pas davantage pris légalement le pouvoir. Rappelons qu'il avait déjà organisé un putsch en 1923, coup manqué qui le conduira à purger une légère peine de prison à Landsberg. Même si par la suite Hitler a tenu à inscrire le N.S.D.A.P. dans une apparence de légalité, ses Chemises brunes se sont néanmoins rendues coupables de nombreuses violences accentuant le climat de crise de l'Allemagne weimarienne. Outre de contribuer à semer la panique, voire à détruire les oppositions, cette stratégie soigneusement calculée par Hitler lui a permis de se poser en leader assoiffé de sécurité intérieure, soucieux de ramener l'ordre dans les rues, dans la mesure où il imputait ces désordres au Parti communiste allemand, lequel, s'il n'était pas blanc comme neige, était loin d'en détenir le monopole.
3) "Omettre" cette atmosphère de violence suscitée par les nazis - et naturellement très conforme à l'idéal démocratique, hein ! - permet à l'ex-anonyme d'écrire, sans rire, que Hitler a "eu des élections favorables (43 % des voix) en mars 1933" : dans la mesure où l'incendie du Reichstag (effectivement perpétré à l'instigation des nazis le 27 février 1933 - cf. la dernière enquête historique en date, celle d'Alexander Bahar et Wilfried Kugel, Der Reichstagsbrand. Wie Geschichte gemacht wird, edition q, Berlin, 2001, qui conclut à l'intervention d'incendiaires nazis) a permis à Hitler de bénéficier, dès le lendemain, de l'ordonnance pour "la protection du peuple et de l'Etat" (Verordnung des Reichspräsidenten zum Schutz von Volk und Staat), l'autorisant à épurer l'administration, à liquider les oppositions, et notamment celle des communistes, massivement raflés, les élections de mars 1933 constituent une manipulation électorale de première grandeur, renforcée par les actes de violences des Sturmabteilungen.
4) Cette Verordnung du 28 février 1933 résulte de la mise en pratique, par un Hindenburg hostile aux communistes et, surtout, manipulé par Hitler, de l'article 48 de la Constitution, qui autorisait le Président du Reich à prendre toute mesure destinée à sauvegarder l'ordre public. Cet article 48 constitue ainsi un équivalent de l'article 16 de notre Constitution, ce qui renvoie aux orties cette affirmation étonnante de l'ex-anonyme selon laquelle Hitler "n'a même pas eu besoin de profiter d'un équivalent de notre article 16. C'est Hindenburg qui l'avait à disposition, pas lui !" En fait, Hitler, par le biais d'Hindenburg, s'est bel et bien servi d'une disposition constitutionnelle équivalente pour la détourner de son sens originel et... liquider la démocratie.
4) Pour finir, l'ex-anonyme ose écrire que Hitler "s'est fait attribuer les pleins pouvoirs pour quatre ans peu après grâce à des votes parlementaires majoritaires dans la plus pure tradition républicaine" : il fait en l'occurrence référence à la "loi du 24 mars 1933 visant au soulagement de la détresse du peuple et de l’État" (Gesetz zur Behebung der Not von Volk und Reich), dite loi des pleins pouvoirs par habilitation (Ermächtigungsgesetz), et autorisant le Chancelier à légiférer par décret, c'est-à-dire de promulguer des lois sans en référer au Reichstag, ni même au Président du Reich. Le Reichstag était acquis au dictateur à la suite des "élections" de mars 1933, sachant que 81 députés communistes et 26 députés socialistes avaient été arrêtés ou avaient du s'enfuir, et que les S.S. et les S.A. occupaient l'Opéra Kroll, où se tenaient désormais les assises parlementaires. Bref, le vote de cette révision constitutionnelle le 23 mars 1933 ne constitue en rien "la plus pure tradition républicaine", mais s'avère au contraire un véritable coup d'Etat revêtant une frauduleuse apparence de légalité, et aboutissant à confier à Hitler tous les pouvoirs.
Bibliographie francophone sommaire :
Gilbert Badia, Feu au Reichstag, Messidor, 1983.
Edouard Calic, Le Reichstag brûle !, Stock, 1969.
François Delpla, Hitler, Fayard, 1999.
Richard Evans, Le Troisième Reich, vol. 1 et 2, Flammarion, 2009 (fondamental).
Joseph Goebbels, Journal 1923-1933 et 1933-1939, Tallandier, 2006 et 2007.
Georges Goriély, 1933, Hitler prend le pouvoir, Complexe, 1982.
Ian Kershaw, Hitler, tome 1, Flammarion, 1999.
William Shirer, Le IIIème Reich. Des origines à la chute, Stock.
Henry Ashby Turner, Hitler, Janvier 1933. Les trente jours qui ébranlèrent le monde, Calmann-Lévy, 1997. |