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Opération Lucy / Anthony Read & David Fischer

En réponse à -4 -3 -2
-1Une importance à ne pas surestimer de Nicolas Bernard

Presque d'accord... de Christian Rossé le jeudi 28 janvier 2010 à 05h55

Si je suis d’accord avec plusieurs points que vous, M. Bernard, avez soulevé dans votre message, d’autres me laissent plus dubitatifs. Vous écrivez :

« Ces errements, en toute hypothèse, découlent d'un postulat fragile : la qualité des renseignements apportés par Lucy. En vérité, cette source d'informations n'a pas été considérée comme entièrement fiable et pertinente par les Soviétiques. Preuve en est les quelques messages d'engueulades envoyés par "le Directeur" au réseau suisse - puis l'abandon de cette source d'infos par les Soviétiques fin 1943... »


Je ne me battrai pas sur la valeur des renseignements fourni par Rössler. Mulligan en a effectivement montré les limites pour ce qui se rapportait à « Zitadelle ». Toutefois, différents éléments permettent de nuancer votre constat.

L’abandon de cette source découle plutôt, à mon sens, du démantèlement par la Police fédérale du réseau Dora dans la nuit du 13 au 14 octobre 1943 pour les émetteurs genevois (LA et LB) et le 20 novembre pour l’émetteur lausannois (LC), que de la mauvaise qualité des renseignements. Les trois émetteurs étant (presque) réduit au silence, je ne sais pas si les renseignements de Rössler – qui ne sera arrêté que le 19 mai 1944 – pouvaient encore être communiqués à Moscou. Il semble que « Sissy », soit Rachel Dübendorfer, habitant Genève, ait été chargée par « Paul », soit Paul Böttcher – agent du GRU comme Rado et Foote (« Jim ») –, qui vivait avec elle dans la cité lémanique, de crypter des renseignements durant les 7 mois qui ont précédé son arrestation, à laquelle il a été procédé le même jour que Rössler. Ce qui pourrait faire penser à une reprise de l’activité radio directement après l’arrestation de Foote. Mais je n’ai trouvé aucune trace de l’activité d’un quatrième émetteur dans la région de Genève, pourtant sous surveillance.

D’autre part, il semble effectivement que le « Direktor » avait coutume de passer des savons aux membres du réseau « Dora ». Non sans une certaine ironie, Marc Payot, expert en chiffre, chargé par la Police fédéral de tous les aspects techniques de l’enquête, note dans son rapport sur l’affaire sous point 105 :
« Le texte du télégramme de 315 groupes est intéressant à plus d’un titre. Il nous apporte les renseignements suivants : Le correspondant étranger signe "Direktor". Son style montre clairement que Dora lui est subordonné et il semble qu’on ne plaisante pas avec la discipline dans cette organisation. » (AF E5330 1982/1 Bd. 167 dossier 58 année 1944, « Rapport Affaire Edmond Hamel & consorts » du 24 janvier 1944 par Marc Payot, p. 48).
« Engueulades » il y avait bel et bien. Pour autant, cette attitude me fait plus penser à une froideur et à une rigidité toute stalinienne qu’à une méfiance inhabituelle envers le fruit du travail des « Rote Drei ».

Ce sentiment se base notamment sur un événement certainement assez rare dans les annales du renseignement helvétique : le Funkspiel que l’armée suisse a mis en place à la suite de l’arrestation de Foote au moyen de son émetteur séquestré. Payot ayant « cassé » le chiffre de Foote et de Rado, il a été tenté par les Suisses d’établir avec certitude la position du « Direktor » en se faisant passer pour « Jim ». Le jeu a duré un temps, non sans avoir éveillé des soupçons du côté soviétique. Ce Funkspiel a fait l’objet d’un second rapport de Payot. Or, ce dernier écrit que dans la nuit du 1er au 2 décembre 1943, le « Direktor » a télégraphié des instructions, parmi lesquelles figure celle-ci :
« 3. Verbindung mit Lucie muss unbedingt durch Sissy weiterbestehen »,
c’est-à-dire « la liaison avec Lucie [Rössler] doit absolument être maintenue via Sissy [Rachel Dübendorfer] » (AF E5330 1982/1 Bd. 167 dossier 58 année 1944, « Complément au rapport du 24.1.44 » de Marc Payot, p. 5). Cette formulation me paraît témoigner d’une certaine confiance du « Direktor » envers la source « Lucie ».

De plus, un document allemand (AF E5330 1982/1 Bd. 167 dossier 58 année 1944), transmis par l’Attaché de l’air allemand au chef du SR suisse, Roger Masson, cite des télégrammes de Moscou déchiffrés grâce à l’arrestation de « Harry » à Paris. Parmi ceux-ci, celui du 23 avril 1943 à « Sissy » et « Paul », qui commence ainsi :
« Liebe Freunde, seit Sommer 1942 arbeitet Ihr mit Gruppe Taylor – Lucie, welche uns viele verschiedene und teilweise wertvolle Materialien geliefert hat »,
c’est-à-dire « Chers amis, depuis l’été 1942, vous travaillez avec le groupe Taylor – Lucie, lequel nous a livré beaucoup de matériel divers et partiellement précieux ». Le « Direktor » poursuit en demandant des informations sur ces sources, sachant qu’il est très délicat de travailler avec des renseignements dont on ne connaît pas précisément l’origine. Il dit encore :
« Paul und Sissy, Ihr als klassenbewusste Genossen müsst begreifen, wie wichtig es für uns ist, Lucie Organisation, welche uns sehr wichtige Informationen über Pläne des OKW liefert, nach allen Gesichtspunkten zu kennen »,
c’est-à-dire « Paul et Sissy, vous, en tant que camarades conscients de leur classe, devez comprendre à quel point i lest important pour nous de connaître dans tous les aspects l’Organisation Lucie qui nous livre de très importantes informations sur les plans de l’OKW ». (A noter que ce télégramme est mentionné par Mulligan qui omet de préciser que si Moscou cherche tant à évaluer la source « Lucie », c’est que le « Direktor » accorde une grande valeur à ses renseignements).

En ce qui concerne l’origine ULTRA des renseignements fournis par « Lucie », vous écrivez :

« L'historien allemand Wilhelm von Schramm, […] estime, avec moult arguments convaincants, que Rössler a pioché ses renseignements un peu partout, et, pour les plus fiables d'entre eux, s'est servi de rapports de synthèse des services de renseignements suisses (notamment le Bureau Ha de Hans Hausamann), ce que corrobore la confrontation de divers messages de Lucy avec lesdites notes. »


Que les rapports de « Lucie » ressemblent aux rapports du Büro Ha, voilà qui n’est pas étonnant. Rössler travaillait pour Hans Hausamann, par l’intermédiaire du Dr Wallner, bien avant de se retrouver affublé d’un prénom féminin dans des télégrammes à destination de Moscou. Il faut admettre que, selon ses aveux, Rössler connaissait depuis 1939 déjà Christian Schneider, alias « Taylor ». Mais ce dernier ne jouera pas avant 1942 – paraît-il – le rôle d’intermédiaire entre « Lucie » et « Sissy » (AF E5330 1982/1 Bd. 167 dossier 58 année 1944, p.-v. d’interrogatoire de Rössler du 7 juin 1944 par le juge d’instruction du trib.div.8).

De plus, les constations de von Schramm ne sauraient être en contradiction avec la thèse de Read et Fischer, puisque, selon ces derniers, c’est précisément les agents du SR suisse qui fournissaient à Rössler les renseignements issus d’ULTRA.

Il est évident également que Rössler faisait flèche de tout bois. Il a par exemple admis avoir eu accès à des interrogatoires de déserteurs. Cela n’empêche pas qu’une des essences utilisées pourrait avoir été d’origine britannique.

Malgré cela, je dois admettre que la thèse du passage par la Suisse du matériel ULTRA demande encore à être démontrée (ou à infirmer) de manière plus convaincante. Si j’ai retrouvé dans les dossiers d’instruction des affaires « Rado et consorts » et « Dübendorfer et consorts » un grand nombre d’éléments rapportés par Read et Fischer, rien à ma connaissance (les dossiers comptent tout de même un nombre de pages avoisinant les 2000) ne vient soutenir leur position. Au contraire parfois…

Rössler dit par exemple avoir avant tout accepté de travailler pour les Alliés dans un but d’échanger des renseignements dont il faisait bénéficier le SR suisse (Hausamann et Bernhard Mayr von Baldegg de la NS1 à partir du printemps 1941). « Taylor » aurait également joué le rôle d’intermédiaire dans ces échanges.

Pour (enfin) conclure, je reviendrais sur l’article de Mulligan. Si je lui reconnais le mérite d’avoir réussi à confronter quatre « états » – soit les informations de « Werther », d’ULTRA et du renseignement soviétiques en URSS face à la réalité des événements –, ainsi que l’honnêteté intellectuelle d’avoir admis ne pas avoir toutes les cartes en mains (il admet n’avoir eu accès aux télégrammes des « Rote Drei » qu’indirectement et très partiellement), je ne suis pas certain qu’il ait bien cerné la réalité du réseau « Dora » : qui est qui (ou quoi), la manière de travailler de Rössler, les difficultés de transmission entre Londres et la Suisse, etc., des doutes qui font que son article ne sera pas la démonstration que j’attendais.

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