Une importance à ne pas surestimer - Opération Lucy - forum "Livres de guerre"
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Opération Lucy / Anthony Read & David Fischer

En réponse à -3 -2
-1L'importance de Lucy (Roessler) de Christian Favre

Une importance à ne pas surestimer de Nicolas Bernard le mardi 26 janvier 2010 à 17h54

Une légende tenace veut que le réseau suisse Lucy ait transmis à l'U.R.S.S. des informations vitales et classées "très secrètes", le genre de celles auxquelles l'on ne peut avoir accès que si l'on se trouve au G.Q.G. du Führer. Cette théorie a été popularisée en France et à l'étranger par l'ancien propagandiste nazi Paul Carell (Opération Terre Brûlée, Robert Laffont, 1968) et surtout les journalistes Pierre Accoce et Pierre Quet (La Guerre a été gagnée en Suisse, Perrin, 1966). A en croire ce récit de haute tenue, en terme de style littéraire, dix officiers allemands, dont plusieurs hauts-gradés, auraient informé Rudolf Rössler de tous les secrets du Reich, agissements constitutifs d'une trahison de grande ampleur (ou une action de Résistance-Widerstand efficace) et qui aurait scellé le destin de Hitler dès avant même l'invasion de la France.

Cet ouvrage fascinant ne souffrait que d'un seul défaut : la thèse défendue était totalement fantaisiste. Aucune preuve sérieuse n'est venue alimenter la thèse de l'existence d'une cellule de dix conspirateurs, dont certains noms ont pu être identifiés : le général Rudolf G., par exemple, n'était autre que Rudolf Gercke, responsable des transports de la Wehrmacht ; le général Fritz T. aurait été un conspirateur du 20 juillet, Fritz Thiele (exécuté en tant que tel). Un officier baptisé S. s'avérerait être le lieutenant Wihelm Scheidt. Mais rien, strictement rien, n'établit que ces officiers auraient été mêlés, de quelque manière que ce soit, à une conspiration de cette importance. Les auteurs reconstituent nombre de scènes, de dialogues, sans référence de source. De manière générale, de l'aveu des spécialistes qui se sont penchés sur la question, aucune preuve, aucun indice, aucun élément ne peut être invoqué à l'appui de l'existence des dix officiers-espions.

Ces errements, en toute hypothèse, découlent d'un postulat fragile : la qualité des renseignements apportés par Lucy. En vérité, cette source d'informations n'a pas été considérée comme entièrement fiable et pertinente par les Soviétiques. Preuve en est les quelques messages d'engueulades envoyés par "le Directeur" au réseau suisse - puis l'abandon de cette source d'infos par les Soviétiques fin 1943... Ainsi, on lit souvent que Lucy aurait livré aux Soviétiques les secrets de l'offensive allemande sur Koursk (juillet 1943), ce qui est particulièrement inexact. S'agissant de la situation de l'Ostheer au premier semestre 1943, les messages transmis par Rössler ont été de qualité variable, et pas un n'a prédit la date de l'offensive. Pire encore : le 23 juin 1943, moins de deux semaines avant le déclenchement de l'attaque allemande, Lucy avait suggéré qu'elle avait été décommandée...

Alors ? L'historien allemand Wilhelm von Schramm, dans un ouvrage méconnu mais fondamental, (Les espions ont-ils gagné la guerre ?, Stock, 1969) estime, avec moult arguments convaincants, que Rössler a pioché ses renseignements un peu partout, et, pour les plus fiables d'entre eux, s'est servi de rapports de synthèse des services de renseignements suisses (notamment le Bureau Ha de Hans Hausamann), ce que corrobore la confrontation de divers messages de Lucy avec lesdites notes.

Une autre hypothèse complémentaire veut que les Britanniques aient parfois transmis du matériel Ultra à Rössler. Elle a été exposée pour la première fois dans Opération Lucy, d'Anthony Read et David Fisher, Fayard, 1982. Malheureusement, les spécialistes du dossier sont beaucoup moins affirmatifs. Timothy Mulligan ("Spies, Ciphers and Zitadelle. Intelligence and the Battle of Kursk, 1943", Journal of Contemporary History, vol. XXII, avril 1987, n° 2, p. 235-259) a en effet pointé les différences existant entre les sources Ultra, l'état des connaissances soviétiques sur le dispositif allemand et les renseignements transmis par Lucy, pour conclure que le réseau suisse n'a pu bénéficier des informations qu'auraient pu leur fournir les décrypteurs britanniques.

De manière générale, les renseignements transmis par Lucy étaient de qualité très variable, rien de véritablement fondamental, en tout cas aucun secret justifiant l'expression bien connue et usée jusqu'à la corde selon laquelle Staline possédait un agent qui lisait par dessus l'épaule de Hitler au Grand Quartier Général. Par voie de conséquence, les informations envoyées par Lucy n'atteignant pas la valeur des renseignements Ultra, la thèse faisant du M.I.-6 le commanditaire de Rössler, pour séduisante qu'elle soit de prime abord, ne saurait être la plus pertinente.

En vérité, deux voies d'accès étaient offertes aux Soviétiques à l'égard d'Ultra : la mission militaire britannique à Moscou d'une part, qui leur a transmis quelques rapports liés au décryptage sans nécessairement en mentionner la provenance, Ultra devant rester un secret bien gardé chez les Anglo-Saxons, et sachant que les Occidentaux ont tout de même communiqué une masse d'informations à Staline (voir Bradley F. Smith, Sharing secrets with Stalin. How the Allies Traded Intelligence, 1941-1945, University Press of Kansas, 1996) ; les espions soviétiques en Grande-Bretagne d'autre part, les fameux Magnificient Five, ces cinq traîtres de Cambridge infiltrés au Foreign Office et dans les services d'espionnages (Philby, Burgess, MacLean, Blunt et Cairncross). John Cairncross, justement, était la taupe qui avait accès aux messages Ultra. C'est lui qui renseignera Moscou, s'agissant des préparatifs de l'offensive allemande sur Koursk tels que révélés par le décodage des informations allemandes par les Britanniques - cf. Christopher Andrew, Le K.G.B. contre l'Ouest 1917-1991, Fayard, 2000.

Quoi qu'il en soit, l'Armée rouge, avec ou sans Rössler, avec ou sans Ultra était fort bien renseignée par le décryptage radio et autres méthodes plus basiques (comme les interrogatoires des prisonniers), ainsi que le rôle des espions dans les territoires soviétiques occupés par l'Allemagne - cf. Robert W. Stephan, Stalin's Secret War. Soviet Counterintelligence Against the Nazis, 1941-1945, University Press of Kansas, 2003.

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