Nicolas Bernard n'a pas profité de notre controverse pour relire Klarsfeld. Moi, je l'ai fait. Il me suffira de le citer pour démontrer la réalité, car, Klarsfeld, en tant qu'avocat des enfants des Juifs déportés, ne saurait être partial que dans le sens de débiner Vichy (il demande des dommages-intérêts à l'Etat français au titre de sa culpabilité sous Vichy). Or, curieusement, il le "sauve"... ainsi qu'on va pouvoir le constater car, ni en ce qui concerne les trois arrestations de 1941 en zone occupée, ni en ce qui concerne la déportation du 27 mars 1942, l'Etat français n'eut l'initiative. Parfois, Vichy ne fut même pas informé !
En ce qui concerne les déportations ultérieures, à partir de juin 42, il en alla différemment puisque l'Etat français parvint à récupérer son autorité sur la police de la zone occupée et qu'il y eut "le troc de Bousquet" du 2 juillet 42(livraison des Juifs étrangers contre renonciation allemande à déporter les nationaux) dont nous avons suffisamment parlé pour qu'il soit nécessaire d'y revenir.
Je vais donc citer Klarsfeld.
Chapitre 1 : Les rafles de 1941 à Paris
page 15 :
Trois opérations sont lancées par les Autorités allemandes avec le concours de la police française.
"L'impulsion était donnée par le chef du service des Affaires juives de la Gestapo en france, le lieutenant, SS- Obersturmführer, Théo Dannecker."
Page 16 :
"Les ordonnances allemandes du Commandant militaire doivent être appliquées en zone occupée par l'Administration française."
page 17:
"Ainsi, à partir du mois d'août 1941, le service des Affaires juives de la Sipo-SD en France est-il habilité à s'occuper de l'action anti-juive jusqu'en zone libre et les diplomates allemands appuient les demandes de la Sipo-SD..."
page 18 :
"Dés le début de l'année 1941, Dannecker s'est attaché à obtenir l'internement d'une masse considérable de Juifs de zone occupée..."
page 19 :
"Le 28 janvier 1941, le responsable de la Sipo-SD en France, Knochen, demandait dans une lettre rédigée par son expert des Questions juives, Dannecker, à l'autorité militaire compétente, c'est à dire à Best, chef de l'Administration militaire, la création en zone occupée de camps d'internements pour Juifs étrangers"
"Entre le 28 février et le 27 mars, l'Administration militaire a donc accepté l'action d'internement en zone occupée et a obtenu que cette action soit entreprise par les autorités policières françaises à l'initiative des autorités d'occupation."
Page 21 :
"Délégué pour la zone occupée du Ministre de l'Intérieur Pucheu, le Préfet Ingrand adresse le 6 juin 1941 au Commissaire général aux Questions juives, Vallat, une lettre dont les termes ne permettent pas d'affirmer s'il a ou non consulté formellement le Gouvernement de Vichy, au préalable, pour savoir s'il fallait répondre favorablement et dans quelles conditions à la demande allemande..."
Page 22 :
"Le fichier juif"
"Pour l'opération du 14 mai 1941, les convocations furent établies à l'aide du fichier des Juifs. Ce fichier était l'exploitation du recensement des Juifs en zone occupée, exécuté en application de l'Ordonnance du Chef de l'Administraton militaire allemande du 27 septembre 1940."
page 28 :
La seconde opération : 20 août 1941
"Contrairement à ce qui s'est passé pour la rafle du 14 mai 1941, le gouvernement de Vichy ou ses représentants qualifiés en zone occupée (le Préfet Ingrand ou l'Ambassadeur de Brinon)ne prennent pas part à la décision et la Préfecture ne leur demande pas de couvrir de leur autorité cette vaste opération anti-juive; elle informe simplement après coup le Préfet Ingrand du déroulement de la rafle et celui-ci s'en plaint à son Ministre de l'Intérieur, Pucheu."
Page 36 :
La troisième opération : 12 décembre 1941
"La rafle du 12 décembre s'inscrit dans une action de représailles consécutives à une série d'attentats anti-allemands que les exécutions de masse de Chateaubriant et de Nantes n'ont pas interrompue."
Page 41
Dannecker à Paris
"A Paris, Dannecker est dans l'attente de la solution finale pour les Juifs de France. Nazi fanatique, anti-juif exacerbé, totalement fermé à tout sentiment humanitaire, coléreux, sadique, se réjouissant de la souffrance physique et morale de ses victimes, Dannecker est mu par une énergie tournée vers l'action.(...) Conscient de l'importance de sa mission, il ne relâche jamais jamais sa pression pour imprimer aux évènements le cours souhaité par Eichmann et par lui-même."
"Certain,plus que tout autre en France, que la volonté de Heydrich implique nécessairement à terme la déportation totale des Juifs de France, Dannecker poursuit obstinément et avec succès ses objectifs : la création d'un Office central juif, le Commissariat général aux Questions juives, la création d'une organisation unique des Juifs, l'Union générale des Israélites de France, la mise au point par la Préfecture de Police d'un fichier modèle des Juifs, la ségrégation préalable des Juifs, le port de l'étoile jaune, la préparation et l'organisation de rafles d'envergure. Simple lieutenant SS, il se sent investi d'une mission prioritaire et ne craint pas de susciter les contacts avec les responsables allemands ou français d'un rang bien plus élevé que le sien tels que l'Ambassadeur Abetz, le SS-Brigadeführer Best (futur sauveur des Juifs danois)(...) ou bien Knochen.(...) cette sinistre mission de bourreau des Juifs, à la fois exceptionnelle et terrifiante, qui confère naturellement à celui qui assume ce pouvoir de vie et de mort sur des masses humaines une sinistre auréole, même parmi les autres nazis, Dannecker la revendique avec une joie frénétique et compte bien sur elle pour entamer une ascension dans le style de celle de son collègue et ami Eichmann."
page 42
"Les supérieurs de Dannecker ,surtout Knochen et Hagen(...) trouveront gênant et maladroit son extrêmisme anti-juif, d'où son élimination en juillet 1942.Ils chercheront pour leur part à atteindre des objectifs plus réalistes dans la Question juive en évitant, tant qu'ils le pourront, l'affrontement avec Vichy, tout en s'appuyant sur l'engagement de la police française." Sans Dannecker, véritable architecte de l'infrastructure anti-juive en France, jamais les Allemands n'auraient été en mesure, dès juillet 1942, dernière période où l'Allemagne a remporté de grandes victoires en Union soviétique et en Afrique, d'obtenir le concours des autorités françaises pour l'arrestation massive de dizaines de milliers de Juifs apatrides et étrangers en vue de leur déportation."
Faut-il continuer ?
Le chapitre 2 "La mise en route de la solution finale en France" ne fait que confirmer le chapitre 1 et montre à quel point la première déportation de Juifs de France en Allemagne et en Pologne du 27 mars 1942 fut une initiative allemande et à quel point les accords diplomatiques (Abetz) ou les accords règlementaires (Stulpnagel) passés avec Vichy, constituaient une gêne pour ces SS fanatiques et antisémites tels que Dannecker, Zeitschell ou Eichmann.
On peut lire par exemple page 46:
" On ne trouve aucune trace de consultation des Autorités françaises par les Autorités allemandes. Sans doute pareille démarche a-t-elle été jugée inutile, parce que dangereuse en cas de réticence ou de refus. Dannecker a préféré aller de l'avant et son audace a été justifiée, car on ne trouve pas non plus trace d'une quelconque protestation à l'échelon gouvernemental français contre la déportation des 6000 juifs, parmi lesquels se trouvaient pourtant environ 1200 à 1300 Français."
Il me semble que la cause est entendue.
Quand l'avocat de la partie civile contre l'Etat français, reconnait lui-même si entièrement et si fréquemment que ce régime de Vichy ne prit aucune initiative dans la persécution des Juifs de France mais qu'au contraire il constitua une gêne pour les fanatiques antisémites à l'affut de toute occasion de perpétrer leurs crimes, il faut bien conclure que ce régime non seulement ne fut pas coupable mais encore qu'il fut hautement louable.
Léon Poliakov a dit la vérité. |