Jean Cordin arrêté le 11 août 1943 par le SD, transféré à l’École de Lyon pour interrogatoire puis transféré à Montluc. On le conduit cellule 77. Il raconte :
« Elle n'était occupée que par un seul détenu, qui se présente : « Aubrac. » "Il n'y a qu'un lit, me dit-il, on s'arrangera. " On s'est regardé en chiens de faïence pendant deux ou trois jours. Puis il m'a raconté qu'avant moi il avait eu pour compagnon un nommé Lardanchet, pour qui, prétendait-il, les Allemands étaient aux petits soins.
Je ne pense pas qu’Aubrac ait vendu Moulin. En revanche, il a sûrement commis des imprudences. Il m'a fait l'impression d'un type qui ne savait pas ce qui allait lui arriver, il n'était pas jugé.
Aubrac a été appelé au moins deux fois pour interrogatoire, qui avaient lieu à l'Ecole de Santé. Une fois, il m'a dit : « j'ai vu ma femme. Ils ne savent pas que c'est ma femme. Elle m'a apporté des bonbons. » Il m'en a offert. Ils nous ont flanqué une diarrhée carabinée.
Pour l'affaire de Caluire, il m'a dit tout de suite : "C'est Hardy"
« En ce qui me concerne, j'ai été libéré au bout de soixante-trois jours. Aubrac m'a dit : `Je vais te donner une lettre pour ma femme."
« Il avait une mine de crayon cachée dans un ruban de chapeau. Sur du papier à cigarettes qui me restait, il a écrit une lettre que je n'ai pas lue, et que j'ai mis dans l'épaulette de mon veston.
Il m'a dit : "Tu iras trouver ma femme, elle est chez le directeur de l'hôpital de l'Antiquaille. "J'y suis allé. J'ai demandé à voir le directeur : "Je viens de la part d’Aubrac, j'ai une lettre pour sa femme. " Il a appelé : "Lucie !" C'était le 16 octobre. L'attaque de la camionnette allemande est du 21 octobre.
Le 11 octobre, Aubrac m'avait raconté l’histoire du faux mariage. Ce jour-là, il m'a dit aussi :
"Je pense qu'on pourrait se revoir à Paris. Nous sommes le 11 octobre 1943 ; le 11 octobre 1944, je te donne rendez-vous à la Rôtisserie Périgourdine." Nous avions dans la cellule un morceau de journal avec un titre : Le professeur Le Danois apprend aux pêcheurs à pêcher. "Le premier qui arrive prend une table au nom du professeur Le Danois."
« En même temps, il m'a laissé entendre qu'il était condamné à mort.
Par la suite, j'ai appris, en lisant Gringoire, que les Aubrac étaient arrivés en Angleterre.
« Le 11 octobre 1944, je suis allé à tout hasard à la Rôtisserie Périgourdine. C'était fermé.
Je suis allé au Ministère de l'Intérieur. Aubrac était là. Il m'a dit : "Veux-tu venir avec moi à Marseille ?"
« Je l'ai revu quand il est revenu de Marseille. Nous avons déjeuné chez Garnier à la Gare Saint-Lazare. Il m'a raconté qu'à son arrivée à Marseille, quand il s'était présenté au "Tribunal Populaire" comme représentant de De Gaulle, il s'était entendu répondre : "De Gaulle, on l'emmerde, et si t'es pas content, tu y passeras aussi. "»
Commentaires :
Il faut prendre avec circonspection ce que dit Cordin tout en lui laissant un certain accent de sincérité dans son histoire. L’homme paraît assez basique mais c’est pour cela qu’il paraît crédible.
Au départ, Aubrac ne savait pas ce qu’on n’allait faire de lui car il n’avait pas été jugé. Puis il pensait qu’il serait condamné à mort.
Á son co-détenu qui a été libéré au bout de 63 jours, il lui donne rendez-vous dans un grand restaurant le 11 octobre 1944. Il savait 10 jours avant l’échéance du 21 octobre, qu’il avait des chances d’être dégagé de la prison allemande, lui qui, à d’autres moments, pensait être fusillé.
Lucie lors d’une de ces allées et venues au SD de l’École de Lyon où elle a rencontré son mari, lui a donné en douce des bonbons qui s’avéraient être toxiques. Il en a fait profiter sans le savoir, son co-détenu. Elle comptait sans doute le faire évacuer sur l’hôpital de la Croix Rousse, Hôpital voué aux Allemands et à leurs détenus (par opposition à l’hôpital de l’Antiquaille où la police française enfermait les siens )
-Confiture toxique qu’elle a pu faire passer à son mari prisonnier des Allemands dans l’Est en 1940 pour le faire évacuer sur l’hôpital le plus proche et le faire s’échapper, ce qu’elle a réussi.
-Confiture empoisonnée mortelle en projet pour envoyer Hardy « ad Patres » après le 21 juin
-Bonbons faiblement toxiques pour faire évacuer en mars les prisonniers de la police française sur l’Antiquaille avec succès.
-Même chose vers le mois d’août ou septembre, pour tenter sans y réussir de faire évacuer son mari sur l’hôpital allemand de la Croix Rousse,
Il y a là, chez Lucie, une constante du poison.
Cordin, libre, fait ce que lui a dit Aubrac : il se présente à l’Antiquaille probablement sans prévenir car le téléphone était rare et cher à l’époque. Il voit le directeur et demande Lucie. Il l’envoie chercher. Bizarre. Elle est là. Et on est en droit de dire : elle est tout le temps là ! Ou bien c’est Cordin qui ne se souvient plus bien. Ou bien est-ce vrai ? En tout cas elle dit avoir abandonné sa maison, au 21 avenue Esquirol dès le jour du « coup de main » le 21 octobre 1943.
Sa maison a été surveillée par un Allemand et un jeune communiste « retourné ». La belle-sœur de Lucie est allée dans la maison après le 21, pour chercher du linge de rechange ( Lucie Aubrac, la table ronde du 17 mai 1997) et les Gestapistes ont laissé partir la belle-sœur.
Les policiers allemands sont allés au Lycée de jeunes-fille de Lyon où enseignait Lucie sous son nom marital de Samuel depuis octobre 1941 pour voir s’il y avait correspondance entre la photo et la personne.
Ainsi au cours de ces 6 mois depuis le 15 mars, Ermelin est devenu Valet puis Aubrac puis Samuel, processus se déroulant progressivement à une date indéterminée. |