Piechowski raconte son évasion - Le livre de la déportation - forum "Livres de guerre"
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Le livre de la déportation / Marcel Ruby

En réponse à -2
-1Oswieciem de G.P.

Piechowski raconte son évasion de Francis Deleu le samedi 23 mai 2009 à 12h14

Bonjour,

J'ai longtemps cherché dans quel bouquin Piechowski narrait son évasion et celle de ses trois compagnons. C'était dans l'ouvrage, Auschwitz, de Laurence Rees qui interviewa longuement Piechowski dans le cadre d'un reportage pour la BBC.
Plutôt que de résumer cet entretien avec le risque d'en altérer la teneur - notamment les états d'âme et scrupules des quatre évadés - une reproduction intégrale s'imposait pour ceux qui apprécient les récits dignes de faire l'objet d'une adaptation cinématographique.
Bonne lecture !
La carrière de Hoss était florissante. La visite du Reichsführer avait été un immense succès. Mais restait à tout le moins un problème: ses patrons s'inquiétaient du nombre d'évasions d'Auschwitz. Ce n'était pas là un phénomène nouveau dans l'histoire du camp: la première avait eu lieu dès le 6 juillet 1940. Mais c'est l'évasion particulièrement audacieuse qui s'était produite à Auschwitz quelques semaines avant la visite de Himmler qui le conduisit à adresser un avertissement à tous les commandants SS de camps de concentration dans le courant de l'été 1942.

Le plan avait été mis au point par un prisonnier politique polonais, Kazimierz (Kazik) Piechowski, qui se trouvait à Auschwitz depuis dix-huit mois. Il n'était que trop conscient des risques encourus: "Il y avait eu toutes sortes de tentatives d'évasion auparavant, mais la majorité avaient échoué parce qu'à l'appel, quand quelqu'un manquait, ils [les SS et les kapos] lançaient des recherches avec des chiens spécialement dressés et, en général, retrouvaient le fugitif caché sous des planches ou entre des sacs de ciment. Quand ils l'attrapaient, ils lui mettaient une pancarte dans le dos, où l'on pouvait lire: "Hourra! Hourra! Je suis de retour parmi vous." Et il devait frapper sur un gros tambour en sillonnant le camp avant de se diriger vers la potence. Il marchait très lentement, comme pour prolonger sa vie. » Pour tout évadé en puissance, un autre souci troublant était celui des conséquences terribles qui attendaient les autres détenus si quelqu'un de leur bloc s'évadait. Comme dans le cas du père Maximilien Kolbe, dix détenus étaient alors condamnés à mourir de faim. « Cela créait une véritable paralysie chez les prisonniers, observe Piechowski, mais d'autres préféraient ne pas réfléchir à ce qui allait se passer. Ils voulaient sortir de cet enfer à tout prix. »

Avant de relever ce double défi, s'échapper du camp tout en empêchant des représailles contre ceux qui restaient derrière, Piechowski devait surmonter un obstacle plus immédiat: tout simplement rester en vie. Il commença par travailler à l'extérieur, dans la neige, dans l'un des pires commandos: « Le travail était rude, aucun espoir de nourriture. J'étais en passe de devenir un "musulman"', ainsi que les SS appelaient les détenus qui avaient perdu tout contact avec la réalité. J'étais sans ressource. » Puis il bénéficia d'une chance capitale. Il fut affecté à un autre commando de travail: « J'ai rejoint ce commando et, comme nous franchissions le portail, j'ai demandé à mon ami, à côté de moi: "Où allons-nous ?" Mon collègue a dit : "Tu sais pas ? Eh bien t'as gagné! Parce qu'on travaille dans un entrepôt. C'est un boulot rude, mais au moins tu te les gèles pas dehors. T'auras un toit au-dessus de ta tête." J'ai bien cru aller tout droit au ciel. » Piechowski découvrit aussi que le travail au « ciel » de l'entrepôt avait un avantage supplémentaire: « Mes camarades m'ont expliqué que, s'il y avait un wagon et qu'on le chargeait de farine, je devais frapper le sac de manière à répandre la farine. Le garde nous disait alors de l'enlever. Mais, au lieu de la jeter, on la mélangeait à de l'eau et on en faisait des raviolis.» Du fait de ce retournement de situation, Piechowski eut le sentiment de « pouvoir survivre ».

Puis un jour, peu après avoir commencé à travailler dans l'entrepôt, il eut une conversation avec un détenu ukrainien, Eugeniusz Bendera, employé comme mécanicien dans le garage SS voisin: « Il sortait bosser avec nous puis rentrait avec nous; et un jour il m'a confié qu'on l'avait mis sur une liste de gens à ruer : les sélections étaient fréquentes. Il m'a dit: "Qu'est-ce que je dois faire ? Je suis sur la liste de la mort !" J'ai répondu: "Y a rien à faire !" Mais il a insisté: "Kazik, pourquoi on s'évade pas d'ici?" Pour moi, c'était un choc: comment pouvait-on s'évader? Et il a répondu : "Eh bien, en voiture. Je pourrais avoir une voiture à tout moment." Et j'ai commencé à réfléchir, à voir si c'était possible. Et j'ai dit à Eugeniusz qu'on aurait aussi besoin d'uniformes pour partir: des uniformes SS. »

C'est sur ce point que le projet achoppait. Comment diable mettre la main sur des uniformes SS ? Une fois de plus, la chance devait leur sourire. Son kapo demanda à Piechowski de se rendre au deuxième étage de l'entre­pôt où il travaillait et d'en rapporter des caisses vides. Dans le couloir, il vit, sur une porte, un écriteau qui indiquait « uniformes » en allemand. Il essaya d'ouvrir la porte, mais elle était verrouillée. Quelques jours après, il monta à l'étage, chargé de la même mission par son kapo, et vit la porte entrebâillée. « Je ne pensais plus qu'à une chose, raconte Piechowski : entrer et voir ce qui allait arriver. J'ai ouvert la porte, et il y avait un SS qui rangeait quelque chose sur l'étagère, et il s'est mis à me frapper et à me bourrer de coups de pied. Je suis tombé par terre. "Porc! Sale porc de polac ! Chien ! Tu n'as pas le droit d'être ici! Au rapport, cochon de polac !" Et je suis sorti du couloir en rampant. »

Mais Piechowski le savait. S'il déclarait être entré dans la pièce, il risquait d'être transféré au commando disciplinaire. C'était la mort assurée. Il ne fit rien, tout en espérant que ça allait s'arranger. Et les choses s'arrangèrent. Il n'eut droit à aucune punition, parce que le SS qu'il avait dérangé négligea de donner suite à l'incident: autre coup de veine dans toute une série d'heureux hasards. Il avait parié et gagné, car il avait aussi entrevu ce que contenait la pièce: uniformes, grenades, munitions, casques - en vérité, tout ce dont lui et ses camarades avaient besoin.

Le meilleur jour pour tenter une évasion était le samedi parce que, le week-end, les SS ne travaillaient pas dans cette partie du camp. Et Piechowski trouva le moyen d'accéder à l'entrepôt en retirant une vis d'une trappe utilisée pour verser du charbon dans les réserves au sous-sol. Par la réserve de charbon, ils pouvaient pénétrer dans le reste du bâtiment. Piechowski était maintenant décidé à tenter une sortie lorsque, allongé sur le châlit, une idée le frappa, comme un « coup de tonnerre ». Il lui vint à l'esprit que, pour « chaque évadé, dix personnes seraient tuées ». « Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit, tant cette pensée me tourmentait. Puis, en une fraction de seconde, ça m'est venu. Il y a bien une façon [de l'empêcher] : un commando de travail fictif. » Le plan de Piechowski était le suivant: quatre hommes quitteraient le camp principal en se faisant passer pour un commando Rollwagen, chargé de pousser un chariot. Ainsi sortiraient-ils officiellement de l'enceinte de sécurité intérieure tout en restant dans la zone extérieure, où beaucoup de détenus travaillaient. S'ils disparaissaient ensuite, il était possible que le kapo de leur bloc fût tenu pour seul responsable puisqu'il aurait approuvé le commando.

C'était un plan audacieux. Et qui les obligeait à trouver deux autres détenus disposés à courir le risque puisqu'un commando Rollwagen exigeait quatre personnes. Bendera recruta aussi tôt un des prêtres emprisonnés dans son bloc, Jozef Lempart, mais ils se heurtèrent ensuite à deux difficultés. Piechowski sollicita l'un de ses plus proches amis, lequel répondit qu'il ne participerait que s'il pouvait, à son tour, emmener quelqu'un d'autre. La chose était impossible, puisqu'un commando se composait de quatre personnes, pas une de plus. L'autre ami que sonda Piechowski répondit: « Sans doute y a-t-il une chance, mais elle est minime. » Et il refusa. Pour finir, un jeune de Varsovie, un ancien boy-scout, Stanislaw Jaster, accepta d'en être même s'il jugeait l'entreprise à « haut risque ».

Jaster vit aussitôt l'impondérable dont dépendait le succès de toute l'entreprise: les gardes SS du périmètre extérieur allaient-ils les laisser passer sans demander à voir le moindre document ? S'ils faisaient bien leur travail et arrêtaient la voiture, ils étaient finis. Dans ces conditions, les fugitifs en étaient d'accord, ils retourneraient leurs armes contre eux sans même essayer d'abattre les SS. Si ne fût-ce qu'un seul SS trouvait la mort, ils craignaient des représailles terribles dans le camp: 500 détenus, voire 1.000, seraient tués.

Leur tentative d'évasion fut fixée au samedi 20 juin 1942. Dans la matinée, deux d'entre eux enfilèrent des brassards, se faisant ainsi passer pour des kapos, puis tous quatre se mirent à pousser une charrette à bras chargée de détritus et franchirent le portail Arbeit macht frei d'Auschwitz I avant de se diriger vers le périmètre extérieur du camp. « Au portail, dit Piechowski, j'ai dit au garde en allemand: "détenu 918 et trois autres avec le Rollwagen pour l'entrepôt". Il [le SS] l'a marqué dans son livre et nous a laissés passer. » Sitôt le portail franchi, Eugeniusz Bendera se dirigea vers le garage SS désert afin de préparer la voiture tandis que les trois autres se glissaient dans l'entrepôt par la trappe à charbon. Ils s'aperçurent alors que la réserve de vêtements du second était cadenassée. « Plein d'énergie », Stanislaw prit un pic et la fit voler en éclats. Ils s'empressèrent alors de se choisir des uniformes pour eux et pour Bendera, ainsi que quatre mitraillettes et huit grenades.

Vêtus en SS, tous trois étaient sur le point de quitter l'entrepôt quand ils entendirent deux Allemands discuter à l'extérieur. « Je ne savais pas quoi faire, avoue Piechowski. Et s'ils entraient ? Mais il s'est produit un miracle. . . si vous croyez aux miracles. Ces gars discutaient et ne sont jamais entrés dans l'entrepôt. Ils ont continué leur chemin. »

Par la fenêtre de l'entrepôt, ils firent signe à Bendera de garer la voiture à quelques mètres de l'entrée. Puis il en descendit et se mit au garde-à-vous devant ses trois amis habillés en SS. « Il y avait un mirador tous les 60 ou 70 mètres, explique Piechowski, et le garde nous observait; mais on s'en fichait parce qu'on était sûrs de notre coup. Eugeniusz a retiré son chapeau, m'a dit quelque chose, et je lui ai montré du doigt l'entrepôt, où il s'est changé et habillé en SS. »

Les quatre étaient maintenant parés pour la phase la plus dangereuse de leur évasion: « Nous nous sommes mis en route. Après le premier tournant, nous avons vu deux SS. "Attention !" a dit Eugeniusz. On les a dépassés, et ils nous ont salués: "Heil Hitler !" Nous avons fait de même. On a roulé encore trois ou quatre cents mètres et on est tombés sur un autre SS qui réparait une bicyclette. Il nous a regardés et a dit: "Heil Hitler! " Et on a fait pareil. Nous roulions maintenant vers le portail principal, et toute la question était de savoir s'ils allaient nous laisser passer sans papiers. Mais nous pensions que c'était possible. Le portail était fermé. À droite, un SS armé d'une mitraillette; à gauche, une table avec un siège et un SS assis. Encore 80 mètres. Eugeniusz a passé la seconde; encore 50 mètres, et le portail était toujours fermé. Ils voient la voiture, et nous tous en uniformes SS, et la barre qui était toujours en place. A une vingtaine de mètres, j'ai regardé Eugeniusz, et j'ai vu la sueur sur son front et sur son nez. Puis, à quinze mètres, je me suis dit "il est temps de me tuer", comme on l'avait décidé. À cet instant le prêtre m'a tapé dans le dos: ils comptaient sur moi, je le savais. Alors j'ai crié au SS : "Vous allez nous faire poireauter longtemps ici ?!" Je les ai injuriés. Et le SS du mirador a baragouiné quelque chose et a ouvert le portail, et on est passés. C'était la liberté. »

Exultant, les quatre hommes filèrent dans la campagne polonaise. Quelques minutes plus tard, ils étaient déjà à des kilomètres d'Auschwitz. Grâce à l'aide d'amis du coin, ils se défirent de leurs uniformes SS, abandonnèrent la voiture et se fondirent dans la population polonaise. Le premier acte - la réussite de leur plan - était terminé.
Bien cordialement,
Francis.

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