Dans le secret des princes (Stock, 1986), livre dans lequel Alexandre de Marenches évoque sa carrière à la tête du SDECE sous Pompidou et Giscard en répondant aux questions de Christine Ockrent n'a sans doute pas sa place dans la base de données de LdG. Il comporte néanmoins quelques dizaines de pages dans lesquelles Marenches évoque l'occupation allemande, sa campagne d'Italie comme combattant puis aide de camp de Juin et les mois qui suivent la libération de Paris. Sans peur de s'écarter des chemins balisés comme à propos du procès Pétain auquel il assiste et dont il se souvient de l'ambiance "qui rappelait les tribunaux révolutionnaires avec ce vieillard qui avait l'air absent".
Vingt-cinq ans plus tard, Marenches prend la tête des services secrets français. Il raconte :
"Quand j'ai commencé à visiter la maison dont j'avais pris la clef en 1970, j'ai fait le tour d'un certain nombre d'annexes. Un jour, dans une casemate, on m'a montré d'énormes ballots qui semblaient être des papiers et qui étaient entassés dans le fond de ce local. (...) J'ai demandé : "Qu'est-ce que c'est que ça ?" On m'a répondu : "Eh bien, ce sont les archives allemandes." Il s'agissait des fameuses archives nazies de la Gestapo et de l'Abwehr, saisies à la Libération et que les Allemands n'avaient pas réussi à emporter en se retirant. J'ai demandé : "Combien y en a-t-il ?" - Dix tonnes."
"En vingt-cinq ans, personne n'avait eu l'idée ou le courage de les regarder et de les compulser. Je me suis dit que c'était quand même un peu fort. Je me suis renseigné pour savoir combien de temps il faudrait pour exploiter ces archives."
"La complication était à la fois financière et technique. (...) J'ai réuni une petite équipe sous les ordres d'un magnifique officier, le colonel U. Je lui ai dit : "Mon cher U., pensez-vous qu'on peut trier cela ? Combien de temps cela va-t-il prendre et qu'est-ce qu'il vous faut comme monde ?". (...)"
"Il est revenu en précisant qu'il lui fallait deux officiers. (...) Puis une équipe de sous-officiers. Enfin quelques secrétaires bilingues et connaissant ce genre d'archivage. Avec une équipe aussi réduite, ce travail qui prendrait environ deux ans, coûterait cher."
Marenches décide qu'il a d'autres priorités mais ordonne néanmoins de faire réaliser "quelques sondages" dans les archives en question.
"Le résultat fut désagréable, voire pénible. On a trouvé des personnalités ayant pignon sur rue, qui avaient été, ou le prétendaient, des résistants ou de bons patriotes. En réalité... ils émargeaient aux Services allemands. Ils signaient même les reçus des deniers de la trahison." (...)
Christine Ockrent : "Dix tonnes de papier dorment donc encore quelque part aux environs de Paris ? Dont certains sont tout à fait incriminants pour des gens importants ?"
Marenches : "Oui. Ils approchent maintenant de la tombe. Ces gens importants aujourd'hui avaient environ trente ans en 1945."
Ockrent : "Des hommes politiques ?"
M. : "Oui. Des gens de tout acabit, qui ont, au minimum, flirté avec les forces d'Occupation." (...) |