Bonjour,
Le centre américain de secours qu'anima Varian Fry avec une belle énergie et un sens de l'improvisation remarquable fut aussi un lieu où des liens furent noués entre les premiers "proto-résistants" (encore hésitants) à la politique de Vichy et à la propagande de la Révolution nationale.
On sait maintenant qu'à cette époque, les positions idéologiques des futurs cadres du MLN futur Combat que Frenay recrutait dans le Midi n'étaient pas aussi bien affirmées que des mémoires individuelles, sincères mais reconstruites, ont pu l'affirmer des années après. Il n'empêche, c'est dans ces bureaux dirigés par un jeune Américain révolté par la collaboration et les lois racistes de l'Etat français, que Jean Gemähling qui travaillait alors pour Fry fut contacté par Chevance, dissuadé de rallier Londres et recruté comme premier responsable du SR du Mouvement de libération nationale (MLN) créé par Frenay. Ces rencontres sont significatives du tout petit nombre de gens prêts "faire quelque chose" afin de poursuivre le combat contre l'occupant nazi en misant sur les possibilités de déplacement et de réunion que permettait, pour un temps encore, l'Etat de Pétain en Zone Sud.
La grande cité du Midi, où se retrouvaient des démobilisés, des évadés, des personnalités en partance pour les USA ou Londres et des milliers de réfugiés politiques de toute l'Europe occupée qui tentaient d'échapper aux polices allemandes et à leurs relais vichystes, était devenu un lieu de passage obligé. C'est dans ce "vivier" que Frenay et Chevance allaient dénicher leurs premiers compagnons. Le centre de secours de Fry était une adresse amie où l'on savait pouvoir trouver des alliés, celles et ceux qui n'acceptaient pas les conséquences de la défaite et de l'armistice.
Sur une photo prise en 1941 à Marseille et reproduite dans "La liste noire", on découvre les principaux collaborateurs de Fry : Charles Wolff, Theodora Bénédite, Lotte Feibel, Marcel Verzeanu, Louis Cooperman, Danny Bénédite et JEAN GEMÄHLING.
Après l'expulsion de Varian Fry et la fermeture des bureaux, des membres du centre de secours sont devenus des clandestins. Dans les dernières pages de son récit, Fry mentionne l'arrestation de Jean Gemähling par la police de Vichy (il était déjà entré au MLN alors qu'il travaillait pour le centre), sa remise en liberté et sa plongée dans l'armée des ombres. Danny Bénédite, après avoir rejoint un maquis, fut arrêté mais sauvé in extremis par le débarquement allié en Provence. D'autres ont poursuivi l'action entreprise par le centre américain aux réfugiés en organisant des filières pour permettre de faire quitter le sol français à des familles juives, à des pilotes et à des évadés des camps de prisonniers du Reich. D'autres encore y ont liassé leur vie : Charles Wolff fut torturé à mort par la Milice et Bill Freier déporté et n'est pas revenu.
Les bureaux de la mission humanitaire confiée à Fry furent durant quelques mois un des rares lieux où l'on pouvait respirer une atmosphère qui ne fût pas viciée par les mots d'ordre d'une Révolution nationale et d'un culte pétainiste qui marquèrent néanmoins en profondeur certains des futurs patrons des MUR. (La "désintoxication" d'un Frenay fut longue et douloureuse.) La préhistoire de la Résistance intérieure en Zone Sud demande aussi une approche très nuancée.
Cordialement,
René Claude |