Vous connaissez naturellement cet ancien combattant des corps francs de la Baltique et de la Silésie, ce complice des assassins de Rathenau qui, après avoir purgé sa peine, écrivit Les Réprouvés, Les Cadets, La Ville, puis Le Questionaire, et dont certains affirment qu'il est le plus grand écrivain allemand vivant* : Ernst von Salomon. Les nazis l'avaient à l'œil; ils le fourrèrent de temps en temps en prison, mais il faut dire que tous les régimes finissent un jour ou l'autre par fourrer Salomon en prison. La prudence dont il fit preuve lui évita le pire. L'une des raisons de cette prudence s'appelait Ille. Elle était jeune, belle, étourdie et juive - la Gestapo ignorait cette dernière caractéristique. Parmi leurs nombreuses relations figurait un sympathique jeune ménage: Harro et Libertas Schulze-Boysen.
Gilles Perrault, L'Orchestre rouge, éd. revue et augmentée, Fayard, 1989. p.112
On sent pointer dans ces lignes une discrète admiration de la part du grand (ra)conteur qu'est Perrault* pour un écrivain singulier dont les deux romans de guerre (civile) - j'ai pas lu les autres titres mentionnés par le biographe de Trepper et historien des réseaux de l'Orchestre rouge - ont la puissance d'évocation et l'art de la concision (dialogues, personnages, décors, etc.) qu'il y a chez le Malraux des Conquérants ou de Condition humaine. J'ai aussi pensé au Drieu de La comédie de Charleroi et bien sûr à Jünger, mais sans "l'emballage métaphysique".
RC
PS: Le dernier récit de Perrault sur les péripéties et les effets collatéraux provoqués - en partie - par son enquête à rebonds sur L'orchestre rouge et sur son personnage principal, Leopold Trepper, ce maître espion de la SGM juste devant Sorge, se lit bien: Checkpoint Charlie est paru chez Fayard, 2008.
* Au moment où Perrault bouclait sa première version, Ernst von Salomon était encore vivant. L'écrivain est mort en 1972. |