Lorsqu'en décembre 1941 les EU déclarèrent la guerre à la Hongrie, les Américains s'en remirent à la Suisse pour défendre leurs intérêts, ce qui pour la Suisse ne fit qu'ajouter une activité en tant que puissance protectrice. C'est ainsi que la magnifique résidence de l'ambassade américaine à Budapest fût reprise par les diplomates suisses. L'édifice gardait son caractère extraterritorial. En plus de nombreuses activités, Carl Lutz se chargea de celle-ci. Elle s'ajoutait entre autres à la collaboration avec le bureau de Budapest de l'Agence juive de la Palestine en fournissant des papiers d'émigration aux enfants et adolescents réfugiés en Hongrie. Il transmettait aussi des notes au gouvernement Hongrois de la part des EU, de la Grande-Bretagne, de la Roumanie, de l'Egypte, de la Belgique et du Chili ainsi que d'autres pays d'Amérique latine.
Bien qu'au courant des exactions envers leurs coreligionnaires dans les pays soumis à l'Allemagne, les juifs hongrois n'ont pas crû que pareilles choses arriveraient également dans leur pays. Pourtant l'ostracisme contre les juifs de la part des chrétiens hongrois était déjà manifeste. A ce moment là Hitler décida d'occuper la Hongrie pour prévenir toute rupture d'alliance pareille à l'Italie. Il soumit le régisseur Horthy à toutes sortes d'obligations telles que des contingents en hommes, fournitures matérielles et alimentaires ainsi que l'exhortation de résoudre la question juive. Hitler nomma un proconsul, Veesenmeyer, chargé de surveiller l'application de ses ordres.
Jaeger était l'ambassadeur suisse, donc le chef de Carl Lutz, et il manifestait la même inquiétude que Lutz sur le sort des juifs hongrois, ainsi il soutenait toutes les actions de Lutz
C'est dans la superbe voiture, une Packard, laissée par les Américains, que Carl Lutz observait l'attitude des gendarmes et des jeunes Nyilas qui commençaient à traquer les juifs. Le contraste entre d'un côté l'imposante Packard noire, le visage déterminé et honnête de Carl Lutz ainsi que le chauffeur et de l'autre côté les bandes de Nyilas composées d'individus grossiers et rustres n'a pas été sans importance dans l'action de sauvetage et cela démontre qu'il n'y pas que la force brutale pour imposer le respect. L'ambassade se remplissait de juifs en danger de mort, Gertrud l'épouse de Carl Lutz, faisait tout son possible pour les accueillir.
En mars 1944 de nouvelles directives encore plus dures furent promulguées contre tous les juifs qui ne se doutaient de rien, il s'agissait ni plus ni moins que de les éliminer.
C'est ainsi que Carl Lutz commença à prendre les juifs sous la protection juridique suisse en leur fournissant des sauf-conduits. C'est ainsi également qu'il logea 73'000 juifs dans 76 maisons dont il avait obtenu l'immunité diplomatique. Lutz a été négocier avec ses pires ennemis dont Eichmann établi en Hongrie pour organiser les déportations, dont Veesenmayer, lequel déclencha un putsch en octobre 1944 qui mit au pouvoir les nazis hongrois, les Croix Fléchées. Ceux-ci commencèrent aussitôt à exterminer les juifs. D'autres personnes se joignirent à Lutz, le Suédois Raoul Wallenberg qui disparaîtra en URSS à la fin de la guerre, le nonce apostolique Angello Rotta, le délégué du CICR Friedrich Born, Peter Zürcher et Ernst Vonrufs deux Suisses établis en Hongrie. Les risques qu'ils prirent furent énormes, Zürcher échappa de justesse à la mort. Des Hongrois honteux du sort subi par leurs compatriotes juifs se joignirent au groupe. Lutz et ses collaborateurs sauvèrent les juifs du Grand Ghetto de Pest, ils sauvèrent plusieurs milliers de juifs qui avaient été déporté à pied à Vienne. Ce groupe, dont Carl Lutz était la figure de proue, sauva non moins de 100'000 juifs, selon Simon Wiesenthal qui a préfacé le livre de Theo Tschuy. Ils ne purent toutefois sauver les 350'000 déportés à Auschwitz.
Deux jeunes juifs, détenus à Auschwitz, parvinrent à s'échapper. Afin d'alerter le monde ils rédigèrent "Le protocole d'Auschwitz" pour montrer au monde la réalité des camps d'exterminations. C'est par l'action conjuguée des pays neutres auprès de l'opinion internationale que l'amiral Horthy suspendit les déportations.
Carl Lutz est né à Walzenhausen en Appenzell. Protestant, il est doté du même esprit piétiste qu'un Henri Dunant. Il a un caractère de défi propre aux Appenzellois. Enfant il voulait vivre guidé par Jésus, il voulait réaliser une action inspirée par sa foi. Il détestait l'école ce qui ne l'a pas empêché, après bien des péripéties, d'étudier le droit aux Etats-Unis.
A la fin de la guerre, de retour en Suisse, d'obscurs fonctionnaires lui créèrent quelques ennuis pour avoir outrepassé ses droits. On finit cependant par le laisser tranquille. Mais ce fait s'ajoute aux autres, en particulier au cas du capitaine Grüninger qui avait également outrepassé ses droits pour sauver des juifs en provenance d'Autriche. Cependant il serait faux de croire que l'action de Lutz s'est faite à l'insu du gouvernement suisse. On sait que Pilet Golaz a été très actif dans ces actions, Edgar Bonjour dans son "Histoire de la neutralité" le mentionne.
Même lorsqu'il était en mesure de faire part d'un succès personnel, comme dans le cas de son intervention de l'été 1944 en faveur des Juifs en Hongrie, il ne tenait pas pour nécessaire d'en parler. C'est en vain que le président de la commission des affaires étrangères lui recommanda de rechercher un contact plus étroit avec le peuple et ses mandataires ". Pilet ne donnait aucune suite.
Edgar Bonjour Histoire de la neutralité suisse pendant la seconde guerre vol. V p. 432
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