"pudiquement" est compatible avec "sincèrement", du moins dans une large mesure. Les collabos ne sont pas fous, ils voient bien qu'ils sont en train de perdre, et que les Allemands jouent leur propre jeu. Mais ils se masquent la vérité par tous les moyens (essentiellement en se persuadant que la défaite allemande ouvrirait la porte dans toute l'Europe à une bolchevisation épouvantable).
De temps en temps le couvercle déborde, ainsi dans cette tirade de Céline, début 44, lors d'un dîner chez Abetz en présence de Drieu et de Benoist-Méchin, qui raconte. Extrait de mon livre sur Mandel (bande de veinards, 8 jours avant tout le monde !) :
Céline, dans un style truculent qui rappelle celui de ses romans, prend à partie Hitler, auquel il reproche la tiédeur… de son antisémitisme. Les Juifs, dit-il avec le plus grand sérieux, l’ont depuis quelque temps remplacé par un sosie qui met tout en œuvre pour obtenir l’anéantissement de l’Allemagne et le triomphe d’Israël. Il a pris brusquement la parole pour couper court aux discours lénifiants d’Abetz, suivant lequel l’impulsion donnée par le ministre de l’Armement du Reich, Albert Speer, à la production, et les nouvelles armes révolutionnaires allaient permettre à l’Allemagne, acculée à la défensive depuis l’automne 42, de repartir à l’attaque. Il exhale son regret qu’une véritable collaboration n’ait pas été mise en place. La défense de l’Europe contre le bolchevisme était la seule politique propre à mobiliser de larges masses, pouvant équilibrer celles des Etats-Unis et de l’URSS ; l’Allemagne, en restant une nation égoïste, avait servi ses adversaires. Ce qui intéresse surtout le présent livre, c’est que Céline ajoute un clou dans la croix de Mandel, en le distinguant radicalement de Reynaud… et en prenant le contre-pied du procès de Riom sur la mauvaise préparation de la guerre :
"La France a été entraînée dans la guerre comme dans un coup fourré. Le pays l’a senti confusément. C’est pourquoi il s’est rétracté. Il s’est battu le moins possible. Qu’on n’aille pas me dire que c’est parce qu’on n’avait pas assez de chars ni d’avions. C’est un raisonnement pour vieilles rombières et colonels en retraite. Pas pour mézigue. Nous avions bien assez d’armes pour nous battre mieux que ça, si nous l’avions voulu. La vérité, c’est que le cœur n’y était pas et le cœur n’y était pas parce que ce n’était pas notre guerre. Celui qui a mené la guerre chez nous c’était qui ? Je veux dire le vrai, le dur, celui qui y croyait ? Ce n’était pas Daladier ni Gamelin, ni même Reynaud, ce ouistiti mexicain conduit en laisse par Churchill. C’était Mandel. De son vrai nom Rothschild ! Lui n’a jamais flanché. Quand il n’a plus pu diriger les combats en France il est parti pour l’Afrique pour y rameuter du monde. Des Schleuhs, des Bougnoules, des Cafres, n’importe quoi. Ca lui était bien égal que la France soit transformée en terre brûlée. Ce n’était pas son champ, après tout ! La guerre franco-allemande avait foiré. Fallait que la guerre judéo-hitlérienne continue. Car pour les Juifs c’était une catastrophe, un coup d’arrêt peut-être définitif dans leur escalade feutrée vers la domination du monde."
Céline, certes un peu tard, a pris conscience de la logique hitlérienne. Lui-même, et tous ceux qui prennent au sérieux l’idée d’un complot hébraïque pour la domination du monde, se préoccupent d’unir des forces pour y parer. Hitler, non. Il subordonne tout à l’agrandissement des frontières et de la puissance de l’Allemagne et la lutte contre les Juifs est, de ce point de vue, seconde. Mandel n’est donc point, à ses yeux, l’Ennemi qu’il serait urgent d’écraser tant qu’on le tient, mais un Français qu’il a réussi à rendre encombrant pour Pétain et qui l’aide à faire marcher droit ce général vainqueur de la guerre précédente, reconverti en valet peureux, afin de mobiliser le potentiel français en faveur de l’Allemagne, ou tout au moins de le neutraliser. |