Je crains que votre exposé des faits ne soit passablement inexact, outre qu'il s'abstient de répondre à l'essentiel :
il a déjà été démontré qu'Edmée Delettraz n'était pas une traîtresse, mais une authentique Résistante.
Tout d'abord, est-il prouvé qu'Edmée Delettraz a contribué à l'arrestation de Marie Reynoard ? Certainement pas. Si elle a participé à la souricière, son implication n'y a duré que... deux jours, comme en témoigne l'enquête de Paul Dreyfus ("Celle qui tenta de sauver Jean Moulin",
Dauphine libéré, 5 juillet 1984), lequel semble confirmer qu'elle a effectivement tenté d'alerter les Résistants qui se rendaient à ce domicile. Jacques Baynac confirme lui-même qu'Edmée Delettraz n'a pas toujours été présente à cette souricière. Ces éléments ne sont pas dépourvus d'importance, car ils soulignent qu'Edmée Delettraz a fort bien pu être absente lors du passage de l'infortunée Marie Reynoard.
Il convient d'ailleurs de préciser qu'Edmée Delettraz a été accusée de trahison aux audiences des procès Hardy, en 1947 comme en 1950, et l'arrestation de Marie Reynoard ne lui a jamais été imputée : l'information judiciaire ouverte contre elle a en effet abouti à un
non-lieu (Henri Noguères,
La vérité aura le dernier mot, Seuil, 1985, p. 133-134).
A supposer établie l'implication d'Edmée Delettraz dans l'arrestation de Marie Reynoard (ce qui n'est pas demain la veille), il serait particulièrement maladroit d'en déduire que la première était une espionne du
S.D.. Rappelons en effet que c'est sur instruction de son chef de réseau, le colonel Groussard, qu'Edmée Delettraz infiltrera à regret le
S.D.. Si elle n'obéissait pas à Groussard, pourquoi a-t-elle maintenu le contact avec lui ? Si elle n'était pas un agent triple, pourquoi n'est-elle pas demeurée en Suisse après son arrestation et sa libération, pour éviter de revenir aux mains du
S.D., alors qu'elle en avait largement la possibilité ? Si elle était bel et bien une traîtresse, pourquoi a-t-elle alerté la Résistance des projets de Barbie le 21 juin 1943 ?
Bref, j'ai le regret de vous confirmer que votre exposé ne résiste pas à l'examen.
Vous n'êtes pas plus sérieux lorsque vous vous raccrochez à ce nouvel argument :
"Le service juridique de l'éditeur (Grasset) n'a rien trouvé à redire aux conclusions de ce chapitre." On peut aller très loin avec ce genre d'argument : souvenez-vous qu'un grand historien de la Résistance a déjà traité Jacques Baynac d'affabulateur et de calomniateur - et le sieur Baynac ne l'a jamais assigné en diffamation... ;-)