... si Francis me permet de le laisser mariner un moment avec son du Moulin.
Il s'agit de mon livre de 1993 Churchill et les Français, inchangé sur ce point comme sur la quasi-totalité des autres lors de sa réédition par Jean-Robert Gorce en 2000. Je m'y appuie sur les lettres de De Gaulle à la future Tante Yvonne au sujet de la résidence du foyer, prérogative masculine s'il en fut en cette préhistoire d'avant Ségolène. Il lui enjoint de ne pas retourner à Colombey (quitté peu après le 20 mai) "pour attendre la fin de la crise", "en Bretagne par exemple".
A l'époque, on se demande si Hitler a l'intention de poursuivre immédiatement les évadés de Dunkerque sur le sol britannique, ou de privilégier l'adversaire français. Dans les deux cas, la Bretagne est menacée : en cas de tentative d'invasion de l'Angleterre, l'occupation de toute la côte de la Manche est une urgence. Il n'y a donc pas d'autre explication possible des projets locatifs de la famille de Gaulle que la croyance, soit en un retournement complet de la situation militaire que le récent général lui-même, dans les mêmes écrits, déclare improbable, soit en un prompt et général armistice. Il est donc alors persuadé que Churchill, comme lui-même, ne pourra rien contre le courant. Ce qui ne veut nullement dire qu'il rejoigne Pétain et Weygand, déjà prêts à se reconnaître vaincus pour engager une révolution nationale en forme de grande pénitence des péchés du Front populaire, voire de la déchristianisation d'après 1789. Non, de Gaulle cherche certainement encore, à tâtons, le chemin du redressement, notamment par sa revendication, formulée de manière plus impérieuse que jamais en direction de Reynaud et de Weygand, d'un regroupement des chars en un "corps cuirassé". Il s'agit sans doute pour lui de signer l'armistice le plus intéressant possible en tenant la dragée haute à Hitler avec l'aide de Churchill mais aussi de Roosevelt et, pourquoi pas, de Mussolini.
J'ai cru un moment que ce qui avait rendu de Gaulle résistant, au sens que ce mot allait prendre dans un contexte d'armistice français et de continuation de la guerre par la Grande-Bretagne, c'était sa première rencontre avec Churchill, le 9 juin (que j'ai appelée avec une juvénile audace dont je ne rougis nullement aujourd'hui "la rencontre du siècle") et c'est l'analyse que j'ai donnée dans le Doumenc (1992). Mais j'ai découvert (et publié) sur ces entrefaites, dans les archives de Reynaud, la note gaullienne du 8 juin (dont Eric Roussel devait faire plus tard usage sans me citer et en la datant faussement du 7 juin, bien fait pour lui !) que j'ai baptisée "appel du 8 juin" : il postule la continuation de la lutte par l'Angleterre et prône un repli en bon ordre vers l'Afrique du Nord, première apparition de ce thème sous sa plume comme dans ses propos connus.
Le changement ne peut être dû qu'à l'un des deux grands événements qui se sont produits dans l'intervalle entre la dernière lettre de De Gaulle sur la Bretagne (5 juin au matin) et cette note : la résistance mondialement inattendue des Alliés sur la Somme et sur l'Aisne (5-6 juin), et la nomination de De Gaulle au gouvernement comme sous-secrétaire d'Etat à la Défense (5 juin au soir), ce qui, le ministre de la Défense étant Paul Reynaud lui-même, équivalait à un titre ministériel, lui conférant la capacité de donner des ordres à toutes les forces armées... et d'écrire une telle note (soumise au contreseing du président du conseil, qui ne viendra jamais).
Voilà, Jacques. Effectivement, tu avais quelques lacunes ! |