Cet extrait de l'entretien me parait important, parce que l'auteur parle de... littérature. J'ai souligné la dernière affirmation du passage qui me semble essentielle si on désire entrer dans la démarche créatrice de Littell, là où on quitte le champ historique/historien :
L'objet des Bienveillantes est beaucoup plus étroit. C'est le génocide pendant quatre ans, avec quelques échappées à droite et à gauche. L'ambition n'est pas la même. Plus profondément, il y a cette notion d'espace littéraire élaborée par Maurice Blanchot. Quand on est dedans, on ne sait jamais si on y est vraiment. On peut être sûr de faire de la "littérature", mais, en fait, rester en deçà, tout comme on peut être rongé de doutes, alors que depuis bien longtemps déjà la littérature est là. Le texte d'un malade mental peut se révéler de la littérature, quand le texte d'un grand écrivain ne l'est pas, pour des raisons ambiguës et difficilement explicables. On est de toute façon dans le doute. On ne sait pas. Je pense que Tolstoï ou Vassili Grossman étaient dans le doute. Pour Grossman en tout cas, c'est évident. Son ambition affirmée était de faire aussi bien que Tolstoï, mais il a dû très certainement se dire en terminant son livre qu'il n'arrivait pas au petit doigt de Tolstoï. La notion d'espace littéraire évacue la notion de qualité. Un texte très mal écrit peut se révéler de la grande littérature, quand un autre, pourtant très bien écrit, n'est pas de la grande littérature. Il faut juger chaque livre en fonction de ses objectifs et ses exigences propres, et non par rapport aux autres livres.
Bien cordialement.
RC |