C'est curieux...
Pour le Reich (et le Service d'Ordre Légionnaire/SOL), de Lattre est un général à surveiller; il faut éviter de lui confier des postes de décision importants.
Selon Bernard Destremau, son biographe récent, le 14 octobre von Stülpnagel avait déclaré à Darlan : "Les généraux Noguès, de Lattre, Kœltz doivent être remplacés par des hommes en qui nous puissions avoir confiance." Ces trois noms sont mentionnés par Benoist-Méchin dans une lettre à Darlan qui demandait aussi leur déplacement une fois Weygand révoqué. (note 1, p. 234).
Toujours selon Detremau, Darlan n'a pas tenu sa promesse de nommer [de Lattre] à la tête d'un groupe de divisions, commandement qui devait accompagner sa quatrière étoile. De Lattre se retrouve nommé à la tête d'une division militaire à Montpellier.
Si de Lattre obéit à Vichy, il n'adhère pas à la Révolution nationale et au folklore grotesque du "bon papa défenseur du sol sacré" que les services du maréchal diffuse en zone Sud et en Afrique. Destremau n'a trouvé aucun signe clair d'un enthousiasme delattrien pour l'Etat français issu de la défaite.
Alors, double langage ? De Lattre sauve les apparences en souhaitant en privé la victoire des Alliés. Mais, en mars-mai 1942, il n'est pas encore prêt à "passer de l'autre côté."
A la tête de la 16 division, le futur "Roi Jean" initie ce qu'il développera dans la Ière Armée et s'entoure de fidèles : vie physique, démonstrations martiales, amalgames entre classes et grades, etc. Darlan semble séduit...
Mais retrouvons son biographe pour la lecture d'une lettre du général Olléris - de l'état-major - à de Lattre (extraits) :
Le commandant de la 16 div. militaire reçoit une lettre assez surprenante, nous sommes en juin 1942, qu'il convient de citer(...) :
"Mon Général,
"Je profite du passage de Couêt à Vichy, pour lui confier cette lettre dont le caractère est extrêmement secret.
"Le 3e Bureau poursuit depuis longtemps l'étude des dispositions à prendre pour réoccuper Paris, dans le cas où les forces allemandes seraient amenées à évacuer la France.
"Mais aucune décision n'avait pu être prise jusqu'ici, tant au point de vue du futur gouverneur de Paris, qu'au sujet de la désignation du général cahrgé de l'opération; car cette opération, menée avec les trois quarts des troupes existant actuellement ne peut être menée que par un seul chef. Le choix de ce chef conditionne le résultat de l'opération, donc le sort de la France.
"J'ai pu enfin faire prendre une décision aux termes de laquelle vous êtes désigné pour assurer le commandement de l'armée chargée de l'opération sur Paris.
"Il s'agit maintenant de vous trouver un chef d'état-major et, à votre prochain voyage à Vichy, d'étudier avec vous les solutions envisagées.(...)
(p.240-241)
Une lettre "surprenante"... On nage en pleine stratégie-politique-fiction à l'état-major de l'armée d'armistice !
Destremau rappelle dans une note que c'est Bridoux, rapatrié d'Allemagne où il était prisonnier sur intervention de Fernand de Brinon, qui fut secrétaire général de la délégation en territoire occupé avant d'être nommé secrétaire d'Etat à la Guerre.
Bernard Destremau dit de Lattre déçu de la tournure des événements selon la politique de Pétain et Darlan, mais nulle allusion à une attente pour un tel poste. De toute façon avec Laval revenu aux affaires depuis deux mois et les rapports des mouchards du SOL, de Lattre savait qu'il ne serait pas sollicité par ce partisan de la victoire du Reich.
Cordialement,
RC |