Bonsoir,
Il m'a semblé intéressant de rapporter la création de la Légion Impériale telle que la relate Fernand de Brinon dans "Mémoires". L'ouvrage est, pour l'essentiel, un recueil de notes que Fernand de Brinon dictait à sa secrétaire (et maîtresse) après chaque évènement important.
Plutôt que d'en faire le résumé qui pourrait en dénaturer la teneur, je vous propose le texte intégral qui éclaire l'état d'esprit et "l'ambiance" qui régnaient à Vichy aux lendemains du débarquement allié en AFN. La "scène" se joue le 16 novembre 1942 dans un Vichy en pleine effervescence, chez un Pétain qui ne sait quelle attitude adopter. Lever de rideau :
*** Le lendemain matin 16, vers 9 heures et demie, je suis chez Laval. Il est toujours avec Bousquet. Il me demande d'aller voir le Maréchal. Tous les ministres, qui ont été avisés dans la nuit, commencent à rentrer à Vichy. (...) Je monte chez le Maréchal. J'y trouve Jardel, lequel me dit que le Maréchal est très fatigué. Il a passé une mauvaise nuit. Ménétrel est en train de lui administrer des drogues pour le remonter. Il est peu probable qu'on puisse tenir conseil des ministres. Jardel me conseille de ne pas le voir tout de suite afin de le laisser reposer.
Laval arrive, demande à voir le Maréchal, entre chez lui pendant qu'il prend une potion. Il lui annonce que je suis arrivé hier. Je suis appelé immédiatement. Je trouve le Maréchal évidemment fatigué mais beaucoup moins mal qu'on ne me l'avait dit. Ses premières paroles sont pour me demander :
- Brinon, est-ce que vous m'apportez des bruits de guerre ? Je réponds :
- Monsieur le Maréchal, il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de votre politique et de votre personne.
Je lui expose que j'ai toujours eu pour but de l'informer exactement. Il en convient. Je lui dis alors la situation réelle.
On ne peut pas faire en Afrique du Nord une politique en son nom et en faire une autre à Vichy également sous son patronage et toutes les deux au cri de "Vive le Maréchal !" C'est une contradiction absolue. En quelques heures, nous avons perdu tout ce qui nous restait. Nous sommes ramenés à la situation de juin 1940, mais pire. Nous conservions alors un certain prestige militaire. On ne mettait pas la parole des officiers généraux en doute. La personne du Maréchal inspirait toujours un profond respect à toutes les nations, amies ou ennemies, et notamment aux Allemands auxquels son âge et sa gloire rappelaient Hindenburg. La confiance dans les chefs de notre armée s'est complètement effondrée depuis l'affaire Giraud. Heureusement, l'armée métropolitaine a sauvé les apparences dans une certaine mesure en suivant les ordres du Maréchal. L'arrestation de De Lattre est un bon élément. Que le Maréchal se rende compte que l'armée française n'a plus d'intérêt pour l'Allemagne en tant que compagnon d'armes, elle est trop faible. Elle peut être neutralisée avec la plus grande facilité. Elle ne peut servir qu'à une chose, assurer la protection des arrières et éviter les incidents. Tout le reste est illusion. Or, nous pouvons d'un jour à l'autre, et peut-être d'un instant à l'autre, être de nouveau en guerre avec l' Allemagne. Il y a dans la réponse de Ribbentrop, à propos de Weygand, une allusion très claire à la rupture d'armistice, par conséquent il faut une situation nette.
Abetz m'a dit, parlant uniquement en son nom personnel, car il ne peut plus parler de ces choses au nom de son Gouvernement, qu'il fallait à tout prix constater l'état de guerre du point de vue militaire. Cela n'engage à rien, mais cela rend impossible la reprise des hostilités entre l'Allemagne et nous, parce qu'il serait absurde de la part de l'Allemagne et de l' Italie, d'être en guerre avec une puissance également en guerre avec leurs ennemis. Mais, c'est le seul moyen de préserver ce qui demeure.
Il faudrait constituer une Légion Impériale et que le Maréchal vienne à Paris, pour s'entretenir de détails pratiques avec une haute autorité allemande; le maréchal von Rundstedt notamment le désire.
Le Maréchal dit aussitôt :
- Eh bien, tout cela est faisable, mais il ne faut pas troubler l'opinion.
- Monsieur le Maréchal, qu'appelez-vous l'opinion ? Ceux qui approuvent Giraud, représentent-ils pour vous l'opinion ? Et en cas de succès des Anglo-Saxons, croyez-vous que vous puissiez maintenir votre gouvernement et ce qu'il représente malgré toutes les assurances qui peuvent vous être données ? La meilleure preuve en est que les Américains sont en train de libérer les communistes des camps d'internement d'Algérie.
- Comment ? Ils font cela ? dit le Maréchal. On ne me l'avait pas dit ! Il faudrait le publier immédiatement.
Laval qui prend alors la parole pour la première fois, déclare qu'en effet ce n'est pas une guerre comme les autres, que c'est une guerre de religion nationale-socialiste contre démocratie et communisme.
Finalement, le Maréchal est d'accord pour qu'on prépare, après le conseil des ministres auquel il n'assistera pas à cause de sa fatigue, un communiqué constatant l'état de guerre.
Je redescends avec Laval. Il est entendu que Bonnard, Cathala, Guérard, Rochat et moi, allons rédiger un projet, mais comme ces discussions m'exaspèrent, je vais recevoir le général Bridoux qui demande à me voir...
Il me dit son complet accord, me raconte que, durant trois jours et jusqu'à maintenant, il lui a été impossible de parler au Maréchal. Qu'il a été écarté par l'entourage direct durant tout le séjour de Weygand qui avait repris de l'autorité sur le Maréchal. Weygand était arrivé à persuader le Chef de l'Etat que la seule attitude possible était celle du Christ protestant et supportant, mais refusant de se prononcer entre Anglais, Américains et Allemands.
La protestation annoncée par la Radio l'a été sur l'ordre de Ménétrel, après accord avec Weygand qui considérait que c'était le meilleur moyen de lier le Maréchal à sa politique. ***
(pages 134 à 136)
Baisser de rideau sur l'affligeant spectacle de Vichy et des coulisses de l'hôtel du Parc.
Bien cordialement,
Francis. |