En considérant la fin du 15ème siècle comme charnière entre le moyen-âge et la Renaissance et 1492 comme le point de départ de la colonisation du monde par les pays d’occident, nous pouvons dégager un certain nombre de données :
1/ La colonisation des continents par les Européens était inéluctable : Ce groupe de peuples européens était en général techniquement plus avancé que ceux des autres continents. Ils savaient construire et se servir des lourdes caravelles, peu maniables et peu véloces certes, mais elles permettaient de transporter au moins une quarantaine de personnes de l’autre coté de l’océan en 3 à 4 mois. Ces européens savaient exploiter les instruments de navigation : la boussole et l’astrolabe*. Ils ne les avaient pas inventés mais ils avaient appris à s’en servir et surtout à la Renaissance, ils avaient l’émulation, la curiosité scientifique, la persévérance, le sens cartésiens de l’organisation qui manquaient aux autres. Ce n’est pas être raciste que de dire qu’au cours de l’évolution du monde, il y a un continent qui était plus en avance que les autres. D’autres avaient aussi une culture évoluée mais ils étaient emprisonnés dans la gangue d’un régime stérilisant comme l’Empire de Chine et son vassal, l’Empire d’Annam et bien d’autres…
2/ La Décolonisation était aussi inéluctable. Nous apprenons par l’Histoire que la colonisation d’un peuple dure le temps que le niveau de sa population autochtone atteigne le seuil critique au-delà duquel les dirigeants émanant de la métropole colonisatrice et leur armée se trouvent en infériorité numérique, débordés par l’accroissement considérable de la population colonisée ; que celle ci appartienne à l’ethnie de l’ancienne souche indigène ou bien à celle des créoles installés depuis des décades.
Ainsi les premières grandes décolonisations furent celles de l’Empire colonial espagnol dont les peuples se libérèrent du joug de l’Espagne après 300 ans vers 1810 / 1820. À ce moment, le Pérou, le Mexique, le Chili et les autres étaient devenus de véritables entités politiques avec une élite capable de prendre le pays en main alors que le microcosme colonisateur venu de la métropole espagnole, débordé, n’était plus qu’un vestige rabougri et impuissant. Naissent de même les Etats-Unis d’Amérique.
3/ La leçon mal apprise. Les « colonisateurs tardifs », l’Angleterre et la France au cours du 18ème siècle, qui avaient vu évoluer sur plusieurs centaines d’années, les premières colonisations, n’ont rien retenu ni intégré du processus et sont partis s’implanter en Chine, en Indochine, en Afrique comme si l’aventure devait durer toujours, ne prévoyant pas qu’elle aurait inéluctablement une fin qui pourrait être violente comme celle que l'Angleterre elle-même avait déjà connu en Amérique du Nord.
Bien mieux, nous Français, en septembre 1945, nous nous réimplantons en Indochine, notre ancienne colonie (et protectorat pour parties) comme s’il ne s’était rien passé dans le monde dans les 5 années précédentes. En 1946 nous nommons des "représentants consulaires" au Nord-vietnam contrôlé par le Viet-Minh dans des endroits où toute administration française avait été éliminée par le coup de force japonais du 9 mars 1945. La fonction de ces agents ressemblait fort à celle des administrateurs civils appelés " Résidents" qui dirigeaient localement le pays avant 1940. Par exemple l’administrateur civil Moreau débarque à Vinh au Nord-Annam. La douzaine de civils et militaires français présente avec lui, est immédiatement enlevée par les Viets. Moreau et son collègue Bianconi seront détenus dans les camps viets pendant 8 ans et seront libérés après les accords de Genève **. Cette région de Vinh, patrie d’Ho Chi Minh, n’a jamais été réoccupée par l’armée française jusqu’en 1954.
Pour bien comprendre combien les temps avaient changé et à pas de géant, pendant ces 5 années de guerre mondiale, il est intéressant de lire « Mon père a dit »*** du général Élliot Roosevelt fils du président devenu le maître du monde à son tour, et de suivre le président des Etats-Unis de conférence en conférence, Argentia, Casablanca, Le Caire, Yalta.
4/ Bilan de la colonisation : Au cours de cette 2ème partie du 20ème siècle où s’est achevée la colonisation du monde par l’occident, quel bilan ? Il est étrange que la prospérité des pays colonisateurs soit inversement proportionnelle à l’importance de leur empire colonial. Le plus pauvre des pays d’Europe a été le Portugal qui possédait le plus vaste empire colonial par rapport à sa superficie propre. Il a laissé le Brésil en voie de devenir un des grands pays du monde sur le plan économique. Ensuite vient l’Espagne qui semble avoir été appauvrie par sa colonisation malgré les tonnes d’or ramenées du nouveau monde tandis que ses anciennes colonies connaissaient une plus grande prospérité qu’elle-même, à la fin du 19ème siècle, Mexique, Pérou, Chili et d’autres.
La France dès qu’elle a eu les yeux tournées outre méditerranée dans le courant du 19ème siècle a commencé à se décaler sur le plan économique par rapport à l’Allemagne qui n’avait pas de colonie. Après 1870, nous avions imaginé de nous acquitter de notre dette de guerre en refilant l’Indochine à l’Allemagne ; Bismarck n’avait-il pas dit : « l’Allemagne n’est pas assez riche pour s’offrir des colonies ».
Nous pouvons objecter que l’Italie était plus pauvre que la France alors qu' elle n’avait pas de colonie. L’émigration massive de millions d’Italiens entre 1880 et 1914, aux USA et en Argentine a sûrement entraîné la perte d’une substantifique moelle qui a appauvri le pays et qui équivaut à une forme rampante de colonisation pour les pays d’immigration.
Sans vouloir affirmer que l'amoindrissement économique d' un pays européen puisse être directement en rapport avec son effort colonial, il est tout de même permis de souligner la coïncidence.
5/ Le mode de décolonisation. En ce qui concerne la France, la décolonisation a été généralement violente. Ce pays porte une très importante responsabilité dans la genèse de ce processus qui s’est souvent mal terminé au détriment des deux parties. Mais elle a des circonstances atténuantes car les dés ont été pipés par un phénomène surajouté qui est venu ventouser la décolonisation de l’Empire français : Le communisme international qui pour abattre les Empires d’occident, a déployé l’effort matériel maximum et une propagande massive sous le couvert trompeur de l’idée généreuse de la « libération des peuples ». Et ceci alors que cet Empire communiste étaient le plus grand colonialiste et le plus grand esclavagiste du monde. Juste retour des choses, voyez ce qui se passe actuellement dans les colonies russes du sud. Car bien entendu, les communistes, eux, ont essayé de garder leurs colonies.
Le monde intellectuel français portera comme une tare le fait qu’une partie de cette élite ait gobé cette propagande telle quelle. N’a-t-on pas entendu un écrivain nommé au prix Nobel dire : « Tous ceux qui ne sont pas communistes sont des chiens », une élite d’écrivains, de penseurs, d’enseignants qui s’est égarée pendant 70 ans. Le résultat est que des femmes communistes ont été vues arrachant des pansements sur des blessés d’Indochine débarquant à Marseille. Le débarquement des blessés à Marseille avait dû être repoussé à la nuit sous la protection des CRS. Des fusées de mortier étaient trafiquées pour exploser au départ du coup et tuaient les servants et ainsi de suite.
La décolonisation de l’Empire français n’était pas obligatoirement destinée à se dérouler selon le mode communiste c’est à dire dans la violence, le sang et les larmes. Une décolonisation moins brutale était possible : par exemple celle des territoires de l’Afrique Équatoriale et de l’Afrique Occidentale françaises ou bien la décolonisation dans l’opulence de Hong-Kong ou à Macao,.
Une décolonisation plus lente aurait été souhaitable pour les colonies de l’Afrique intertropicale et ceci de l’avis même d’une élite de ces pays. Les luttes tribales que nous avions fait cesser à notre arrivée au milieu du 19ème siècle ont repris de plus belle depuis notre départ. Nous avons payé, nous français, pour savoir que les principes démocratiques sont longs à assimiler.
* L'ASTROLABE est le nom d'un des plus anciens instruments de navigation qui mesure l'angle formé par l'horizon et un corps céleste donnant ainsi la latitude exacte mais pas la longitude. L'astrolabe existe depuis l'Antiquité (2ème siècle avant JC).Il a été conçu par Hipparque. Ptolémée l'étudia 3 siècles plus tard.
L 'astrolabe sert d'abord aux astrologues, musulmans en particulier ( 10ème s. après JC). Ce sont les Portugais qui aboutissent à partir de 1485 à des progrès décisifs en adaptant l'astrolabe à la navigation maritime et en dressant des tables (regimientos) permettant de calculer la déclinaison magnétique. Le problème de la longitude ne sera résolu qu'avec l'invention du chronomètre (2ème moitié du XVIII ° siècle).
** “ 8 ans otage chez les Viets” René Moreau. Édition Pygmalion 1982
*** Édition Flammarion 1947. Ce livre nous révèle la conception du président Roosevelt sur ce qu’il serait nécessaire de faire, une fois la paix revenue, en ce qui concerne les colonies de l’Angleterre, de la France et des Pays-Bas : parti d’une idée simpliste sur la colonisation par ces pays, il en tire un projet beaucoup plus roué où tout simplement les Etats-Unis remplaceraient ces colonisateurs …économiquement. Sorti au 1er trimestre 1947 donc quelques mois avant le déclenchement de la guerre froide, ce livre du fils Roosevelt révèle dans son dernier chapitre, la simplicité excessive voire la grande naïveté de l'auteur vis à vis du monde communiste comme il le sera confirmé quelques mois après. |