Bonjour,
On sait que Brasillach et Céline se sont illustrés dans l'ignominie en publiant dans la presse de la Collaboration des appels au meurtre. En revanche, on a parfois tendance à oublier que l'idéologue de l'Action française a lui aussi incité régulièrement ses contemporains à la délation et à l'assassinat avant guerre et pendant l'Occupation. Mais Maurras, dans l'immonde, fut plus malin, plus subtil. Ainsi que le soulignent les deux auteurs de l'impressionnante biographie de Roger Stéphane, contrairement aux écrivains et aux délateurs anonymes, [Maurras] ne sacrifie aux menaces caractérisées que si l'accusation est générale : "Nous répétons qu'il doit y avoir à Toulouse comme à Grenoble des têtes de communistes et de gaullistes connus. Ne peuvent-elles pas tomber. L'important est de trier, de juger, de condamner, d'exécuter." (4 janvier 1944) Ainsi se défend-il par avance d'avoir appelé à tuer quiconque en particulier.
Les policiers de Vichy, les miliciens et les Allemands lisaient les éditoriaux de Maurras. Ils étaient les tout premiers destinataires des appels au meurtre de l'idéologue. Comme l'écrivent O. Philipponnat et P. Lienhardt, C'étaient donc bien des articles "mortels". Le 23 mars 1943 dix collaborateurs de Gay et Bidault, arrêtés par la Gestapo, ont déjà payé de leur personne ce pharisaïsme de plume, parmi lesquels Louis Terrenoire, futur ministre du général de Gaulle, torturé et déporté. Gay assurera qu'un des Allemands tenait un numéro de L'Action française à la main. Regrettable coïncidence.
Le 2 février, Maurras lâche un nouveau nom : Roger Worms, et désigne une nouvelle cible : sa famille. Puis : "Nous disons plusieurs fois par semaine que la meilleure manière de répondre aux menaces terroristes est de leur opposer une légitime contre-terreur. L'axiome est applicable aux violences de parole et d'attitude dont se rendent coupables les hordes juives : le talion." L'attaque, en deux temps, est diaboliquement adroite et dut être minutieusement pesée. Elle consiste à juxtaposer la promesse de représailles sanglantes contre les gaullistes, et la menace d'une simple correction verbale contre les juifs arrogants. Libre au lecteur de faire le parallèle. (...)
Le lundi 7 février 1944, (...) un individu inconnu est retrouvé, assassiné par arme à feu, sur le bas-côté de la route nationale, à Adrets-de-Fréjus, en direction de Saint-Raphaël. Grâce au numéro de fabrication de sa veste Lanvin, la police identifie le corps de Pierre Worms. La veille, un groupe de trois miliciens, montés sur des voitures allemandes, s'est fait indiquer la Villa Méditerranée. ("Roger Stéphane", p. 303)
Maurras prétendra pour sa défense que les miliciens recherchaient Edouard Raphaël. Les deux biographes écrivent que les nervis de Darnand et de Pétain étaient plus probabblement à la recherche de Marc, le frère de Pierre Worms, avant d'ajouter : A Lyon, les bureaux de la L'Action française, 66, rue de la République, étaient installés dans le même immeuble que la Milice : le doigt était posé posé sur la détente.
Philipponnat et Lienhardt nous apprennent que les miliciens avaient traîné Pierre Worms, après l'avoir tabassé, à la Gestapo, mais la Gestapo fait la fine bouche et les prie de raccompagner chez lui ce monsieur qu'elle tient fort bien à l'œil sans le recours de jeunes exaltés. L'épisode tragique démontre, s'il le fallait encore, que l'Etat de Pétain, imbibé des thèses maurrassiennes, n'avait pas de leçons d'antisémitisme à recevoir des nazis.
Bien cordialement,
RC |