Bonjour,
Je n'ai pas eu tout à fait la même lecture de ce petit livre. La préface qui s'ajoute à l'édition de 1996 précise qu'Henri Guillemin n'a pas souhaité rééditer ce livre de son vivant parce qu'il aurait dû "se replonger dans des recherches considérables étant donné tous les matériaux historiques accessibles depuis 1945". Je pense donc qu'il faut prendre son livre comme la première partie d'une enquête pour laquelle il n'y a que des indices et la conviction de l'enquêteur. Mais les indices son troublants et la conviction me semble très logique.
Il part sur le postulat que l’ensemble de la droite ou presque se refusait à combattre l'Allemagne. Les officiers se sont sauvés en mai 1940.
Il me semble que dans un premier temps, presque personne ne voulait combattre l'Allemagne. Les preuves : politique de défense, Munich et "drôle de guerre". Ensuite quand la guerre fut effectivement là, Guillemin dit (mais je ne retrouve plus où) qu'un certain nombre d'officiers issu de la classe possédante n'avaient pas d'enthousiasme pour se battre contre un régime qui ne leur déplaisait pas, mais il dit bien que d'autres, notamment la noblesse, se sont très courageusement battus.
Je ne pense pas que ceux qu'il désigne sous le terme de "nationaux" soient toute la droite, mais uniquement les partisans d'un régime de type fasciste en France. Ceux là n'ont pas envie que la France déclare la guerre à l'Allemagne et "gagne", c'est à dire qu'elle provoque la chute d'un régime politique allemand qui leur semble défendre leurs intérêts contre le communisme.
Ensuite, quand il ne s'agit plus de gagner, mais plutôt de ne pas perdre, il est évident que le nationalisme à pris le dessus chez un certain nombre de ces "nationaux" et d'autant plus ensuite, au fur et à mesure que le nazisme a montré son vrai visage. Mais d'autres, les "traîtres" ont continué à préférer la défaite à la République.
Et ce qui me semble original dans son livre, c'est qu'il site Hitler expliquant avant 40, comment il va gagner la guerre contre la France grâce aux complicités qu'il va y trouver. Il est indispensable que la nation ennemie soit démoralisée, qu'elle soit préparée à capituler, qu'elle soit moralement contrainte à la passivité /.../ le manque de conviction s'achève toujours en défaitisme /.../ le vrai travail consiste à s'attacher en terre étrangère des personnages importants et même des groupes et des partis /.../ l'appétit non satisfait et l'orgueil humilié sont des auxiliaires infaillibles ...
Le reste du livre consiste à chercher ce qui peut laisser penser (et, à force d'accumulation, démontrer) que Pétain était de ces auxiliaires ...
Seule la gauche en 36 avait su réarmer et construire des chars etc… chaque phrase des 217 pages pourrait être reprise. Reprenons seulement quelques affirmations à titre d’exemple :
-Il dit que la France possédait 3645 Chars en Mai 1940. En réalité il n’y en avait que 2200 environ affectés dans les unités, les autres pour la plupart, ou bien n’avaient pas reçus leur tourelle, ( c’est à dire qu’ils n’avaient pas de canon) ou bien étaient trop anciens (chars Renault de la guerre de 14 par exemple). Cassius n’a pas poussé plus loin la recherche de la vérité historique qui aurait desservi son argument.
Il me semble, mais je ne suis pas du tout un spécialiste de la question, que l'on sait aujourd'hui que les alliés disposaient d'un nombre de chars équivalent au nombre de chars utilisés par l'Axe. En 45, ce n'était pas l'idée générale. Guillemin/Casius dit aussi que les Allemands ont trouvé 500 chars français flambants neufs. Qu'ils aient été inutilisés parce qu'il en manquait un bout ou pas, c'est bien la preuve d'une belle pagaille. En tout cas, les photographie d'engins français utilisés sur le front de l'est ou en Normandie, ne manquent pas.
-Les premiers chars SOMUA et Hoschkiss ont été livrés en 1937, aux unités de cavalerie transformées en unités blindés, par exemple celles de la 2ème division légère mécanique ( le 13ème dragon de Melun par exemple ). Je doute fort que Léon Blum et le Front Populaire qui n’avaient qu’en tête à ce moment, c’est bien connu selon Cassius, que le danger qui se profilait à l’Est, aient eu le temps de concevoir et de construire ces engins modernes pour l’époque, à partir de leur arrivée au pouvoir en Mai 36 c’est à dire en moins d’un an tout en appliquant la semaine des 40 h. et les 3 semaines de congés payés.
Le début de l’effort militaire français date en réalité du vote des comptes spéciaux de guerre par la chambre des députés en sa séance du 14 juin 1934. Le ministère Blum , il est vrai, avait finalement reconduit les crédits mais à contre-cœur car pour Blum la constitution d’un corps blindé à l’Allemande ne s’imposait pas puisque un tel corps est fait selon lui pour l’offensive et la conquête et que la France est un pays pacifique qui n’a besoin que de se défendre (discussion budgétaire à l'assemblée).
Là, Guillemin porte une accusation importante en écrivant : Il (Pétain) avait par décret cette année là, 1934, réduit lui même de 603 millions à 470 les crédits militaires que le parlement avait votés /.../ encore sur ces 470 millions, le maréchal-ministre se bornera-t-il à en utiliser 403.
-Pétain avant guerre : Il n’appartenait à aucun complot, aucune manigance, il ne militait dans rien. Ce qui l’intéressait était de vivre sa vie tranquille avec sa petite promenade digestive après le repas de midi. Surtout pas d’ennui avec les femmes non plus : Il logeait sa Nini qu’il avait fait sauter sur ses genoux quand elle avait 4 ans en 1877 alors qu’il était jeune sous-lieutenant en garnison sur la côte d’azur (et qu’il avait épousé en 1920), dans un appartement sur le même palier que le sien. Surtout pas trop de promiscuité
Voici un épisode rapporté par un nommé Pierre Sement ( Discours de réception à l’Académie de Rouen du 17 octobre 1959 et “ lnfluence des maîtres, Fécamp 1961”, cité par Pierre Bourget dans son livre sur Pétain page 152) : Lyautey, un jour de 1924 aurait eu l’idée que le temps était venu de changer la politique de la France qui caracolait pendant cette 3ème république vers son 50ème changement de Président du conseil. Il consulte les maréchaux Foch, Franchey D’Esperey, Fayolle qui lui promettent leur concours. Reste un personnage à convaincre, plus difficile : Pétain. Celui-ci comme d’habitude laisse parler en silence. Mutisme habituel de Pétain avec son visage marmoréen quel que soit l’interlocuteur. Il faut lui arracher une observation. “ Vous me désapprouvez ” dit Lyautey. Oui, réplique Pétain”. “ Si demain je tentais de renverser le gouvernement et que Herriot fasse appel à vous. Que faîtes vous, poursuit Lyautey ”. “J’apporte mon concours à Herriot , réplique Pétain…” En réalité, Pétain n’était même pas républicain. Il était en dehors de tout.
C'est l'image qu'il donne ou cherche à donner, mais quelle est la réalité ? Pourquoi certains dans les milieux "nationaux" souhaitent-ils ouvertement son accession au pouvoir ? Pour Guillemin, c'est évident qu'il cache ses ambitions mais que ses opinions sont connues par ceux qui les partagent et le pousse en avant. Et s'il veut le pouvoir, ce n'est pas pour le donner à Lyautey.
Enfin “Cassius” qui s’est abrité en Suisse en 1942, encore jeune, 39 ans, aurait dû tempérer ses affirmations. Après avoir lu le livre, le lecteur aurait imaginé qu’il aurait rejoint à cette date les Forces Françaises Libres ou au moins l’Afrique du Nord pour revenir ensuite libérer son pays.
En passant par l'Italie ? Rejoindre la France Libre n'était pas si facile et heureusement que ceux qui ne l'ont pas fait ont continué à s'exprimer, sinon c'était la faillite de l'édition.
Amicalement
Jacques |