En effet, l'agression soviétique contre la Finlande a suscité un puissant courant anti-moscoutaire à l'Ouest, plus particulièrement en France, lequel s'inscrit dans un contexte plus général de dépréciation de l'image donnée par la Russie à la suite de l'accord Molotov-Ribbentrop. Et l'U.R.S.S. peut d'autant moins se permettre de froisser le Reich qu'elle négocie avec lui, depuis des mois, un accord commercial, ces pourparlers traînant en longueur.
Le Kremlin a cependant intérêt à ce que le conflit se prolonge... et ne pousse pas les belligérants à s'entendre sur son dos. D'où son recours à une politique qui tient véritablement de la corde raide, dans la mesure où elle consiste, à la fois à rester en froid avec les Anglo-Français sans chercher à commettre l'irréparable, et à satisfaire les Allemands sans pour autant basculer dans la collaboration la plus compromettante.
Or, l'offensive allemande du 10 mai 1940, et plus encore la percée de Sedan qui conduit les Panzer aux portes de Dunkerque, bouleversent la donne. La guerre à l'Ouest risque de prendre fin plus rapidement que prévu. Dès lors, on assiste à un discret, éphémère mais bien réel revirement soviétique consistant à pousser les Alliés à continuer le combat.
Tout d'abord, la presse russe rend timidement hommage aux forces militaires alliées - voir Natalia Vassilieva, "Le Front occidental de la "guerre européenne" vu de Moscou - avril-juillet 1940", in Georges-Henri Soutou & Emilia Robin Hivert (dir.), L'U.R.S.S. et l'Europe de 1941 à 1957, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2008, p. 25-33.
Simultanément, les Alliés sont discrètement encouragés :
- Le 14 juin, l'ambassadrice soviétique en Suède, Alexandra Kollontaï, affirme à son homologue belge "qu’il est de l’intérêt commun des puissances européennes de s’opposer à l’impérialisme allemand" (télégramme de Weizsäcker à Schulenburg du 14 juin 1940, reproduit dans La vérité sur les rapports germano-soviétiques, France-Empire, 1948, p. 124).
De telles mesures n'iront pas loin. Et un mois plus tard, le Kremlin, constatant la défaite française, adoptera une attitude encore plus malléable avec l'Allemagne, cherchant à la corrompre par une puissante aide commerciale qui tardait, jusqu'alors, à voir le jour.