Extrait, Gare du Nord, Paris, janvier 1943:
"Je distinguai sur quelques manches de capotes l'écusson tricolore: des légionnaires français en permission. J'en abordai un et lui offris une choppe au buffet. C'était un grand bougre rigolard de Parisien, très peuple, et même un peu truand.
- Je suis français moi aussi, journaliste, du même bord que toi. Alors, tu en viens ou tu y retournes ?
- J'en viens. J'ai été épouillé avant hier à Kruszyna.
- A part les poux, est-ce très dur ? Le froid ?
- Oui, il y a le froid. Moins 35 l'autre semaine. Mais y paraît que c'est printannier à côté de décembre 41, devant Moscou. Et puis, on s'arrange.
- Vous opérez contre les partisans, n'est-ce pas ? Comment ça se passe-t-il ?
- A chaque coup, y décrochent, se perdent dans la nature. C'est grand là-bas. Les forêts... Alors on brûle les villages d'où ils sont sortis, où ils pourraient revenir se ravitailler. Ca brûle bien, tout en bois.
- Les habitants de ces villages ?
- On les zabralize.
- Comment dis-tu ?
- On les rectifie, quoi !
- Tous ?
- Tout le paquet.
- Les mômes ?
- Les mômes aussi. On ne va pas les laisser seuls sur la neige. On est humains !
Il avait un gros rire, que l'on ne pouvait même pas qualifier de sadique, de sardonique: l'homme était trop peu évolué.
- Dans l'ensemble concluait-il, c'est un boulot plutôt marrant.
Il rigolait encore plus largement. J'étais assez écoeuré."
Lucien Rebatet, Mémoire d'un Fasciste II 1941 - 47, Pauvert, 1972, pp 87-88.
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