Je savais bien qu'un jour je glisserai Roger Nimier, écrivain de talent, découvreur - ou plutôt lecteur renifleur -, cancre brillant, critique féroce mais réjouissant et escrimeur avec des épées de bois dans ce forum consacré aux livres d'un siècle tourmenté.
Mort trop jeune, trop vite embaumé dans la légende un peu ridicule du play-boy arrogant aimant la vitesse alors qu'il préférait un bon match de rugby avec Kléber Haedens et le gros rouge d'un Bernanos aux coquetèles trop sucrés d'un Cocteau, Nimier est devenu un mythe.
En 1943, il affirmait "Nous sommes d'ardents gaullistes !" et à la Libération, à peine majeur et rêvant d'aventure(s), il s'engagea au 2e Hussards et partit... pour la côte d'Azur où il lira beaucoup pour conjurer l'ennui des longues semaines d'entrainement. De toute façon, on le soupçonne d'avoir signé un engagement plus pour le romantisme du nom de ce régiment (très ancien) et le calot élégant que pour un amour authentique de la chose militaire qui le rasait déjà, ce qui n'est pas très sérieux. Sans avoir connu le feu, il sera démobilisé et créera chez Gallimard une atmosphère de complots littéraires et de farces et attrapes. Gaston l'aimait bien puisqu'il le laissa choisir les premiers titres pour le "Livre de Poche". Célèbre à 25 ans après trois romans fulgurants et un parfum de scandale : dans l'un d'entre eux, il imaginait un résistant passé à la Milice, ce qui ne se faisait pas. L'affaire réjouit Jean Paulhan et Mauriac épatés par le culot et le talent du petit nouveau. Plusieurs fois, Nimier faillit en venir aux mains avec Camus dans les couloirs de la célèbre maison d'édition pour des histoires de politique qui dans le fond l'ennuyaient. (On peut penser que cette rivalité avait plus à voir avec leur image publique et les succès féminins qu'avec l'engagement de l'un et les dégagements de l'autre mais ça n'engage que moi.)
Roger Nimier fut aussi un grand et fin lecteur, un passeur boulimique qui prônait la démobilisation de la littérature contre les engagements réducteurs des années 50. Il milita pour le talent et c'est Bernard Frank, franc-tireur (et partisan ?) sur sa gauche qui lança le mythe du hussard dans les "Temps Modernes" en rassemblant ces jeunes talents "de droite" qui ne se rencontrèrent qu'une fois car ils ne partageaient réellement que l'amour du style en littérature, ce qui est déjà beaucoup. Les journalistes se jetèrent sur l'expression qui fit florès. Depuis on associe trop systématiquement Jacques Laurent, Antoine Blondin et Michel Déon à Nimier qui se préférait en d'Artagnan... amoureux !
Il réhabilita Céline, l'écrivain plus que le bonhomme, trop aigri et trop méchant pour un Nimier qui n'adhéra ni de près ni de loin, je devais le préciser, aux discours antisémites des années noires puis à la Révolution nationale du régime de Vichy. (Adolescent durant la guerre, il traitait Pétain de gâteuse et pire encore.)
A gauche son talent et ses provocations énervent. On ne lui pardonne pas ses prises de position pour la réintégration de Morand, Jouhandeau ou Chardonne à leur place, celle de grands stylistes. A droite, il exaspère par son ouverture d'esprit et sa liberté de ton qui rappellent que l'exigence en littérature échappe aux casernes idéologiques.
Avec Nimier comme fil rouge à vif, la biographie "définitive" de Marc Dambre offre aussi au lecteur une analyse fine de l'état des Lettres en France entre 1935 et le début des années 60, quand la littérature était une affaire trop sérieuse pour l'abandonner aux journalistes et aux idéologues.
Amicalement
René Claude