
Autant l'annoncer dès le début,
"A mort la gueuse !" est un livre engagé. Engagé contre les retoucheurs hagiographiques du mythe Pétain, "le sauveur de Verdun", une légende, comme on le verra, en grande partie exagérée car reposant justement sur des ajouts, modifications et recréations postérieurs durant l'entre-deux guerres qui visaient - déjà - à mettre le maréchal en réserve du pays "décadent" par tout ce que la France comptait alors d'anti-républicains dans l'Armée et au sein de groupes de pression et d'associations d'anciens-combattants. (En 1939, 4 hommes sur dix sont des vétérans de la Grande guerre.)
Engagé aussi contre l'idée d'un Pétain ex- vrai républicain, d'un Pétain gâteux en mai-juin 40 et (donc) d'un Pétain instrumentalisé. Trois contre-vérités que Gérard Boulanger analyse avec précision en s'appuyant sur des archives officielles et des sources écrites : les récits d'acteurs et de témoins des "Trois Honteuses" : militaires, hommes politiques, écrivains contemporains des événements. Trois contre-vérités qu'il démonte brillamment.
Ce samedi 15 juin, le maréchal Pétain est aux portes de la toute-puissance. Sa force réside dans le classique cocktail des hommes de pouvoir : dissimulation, méthode et patience, que la réussite politique peut couronner par l'usage chanceux du malentendu. Ayant su faire monter autour de lui le désir de satisfaire son propre désir soigneusement inavoué, il saura utiliser les circonstances que ses affidés eux-mêmes ont longuement contribué à infléchir et, si nécessaire, à organiser. (p.55)
Le bâtonnier-historien a aussi étudié finement le rôle et la responsabilité directe et indirecte de Paul Reynaud avant et pendant ces trois journées où fut liquidée la République. Depuis deux ans, le premier cercle politique, amoureux et mondain de Reynaud était constitué de personnages ambitieux marqués par un anti-républicanisme plus ou moins violent mais aussi par cette sorte d'"indifférence" politique apparente qui fut la marque des hauts fonctionnaires technocrates. Ce premier cercle comptait aussi des militaires maurrassiens et des patrons anticomunistes ultras, bref, tous ceux qui feront l'Etat français de Pétain, avant d'être rejetés par le "sauveur". Des noms ? Yves Bouthillier, Paul Baudoin, Jean Prouvost, Paul de Villelume, sans oublier Hélène de Portes qui eut une influence non négligeable sur le caractère changeant de Reynaud. Pétain avait su se constituer dès le début des années 30 un solide carnet d'adresses parmi des représentants influents de ces milieux qui compteront lors de la mise en actes de sa stratégie visant à la prise du pouvoir à Bordeaux en juin 1940.
Ecrit dans une très belle langue, cet essai percutant suscitera, je l'espère, des débats passionnants dans le forum.
Bien cordialement,
RC
* Il fait notamment référence au pamphlet brillant de Henri Guillemin publié sous le pseudo de Cassius qu'a déposé Francis Deleu dans le forum.