Erich von Manstein est essentiellement connu en France comme étant le concepteur du plan stratégique qui permit à la Wehrmacht, en mai 1940, d’infliger à notre pays une des plus rapides et des plus totales défaites de son histoire. Stratège génial, Manstein était craint de ses adversaires, jalousé par ses pairs, ce qui l’empêcha sans doute d’accéder à des postes décisionnels plus importants ; admiré par Hitler pour ses compétences militaires, mais barré au plus haut niveau par ce dernier qui redoutait son indépendance d’esprit et sa force de caractère. Dans cette biographie qui vient de paraître chez Perrin, l’auteur, Benoît Lemay, spécialiste d’histoire militaire et des relations internationales du xxe siècle, aborde bien entendu le côté « homme de guerre » de Manstein, mais, au-delà, il apporte un éclairage nouveau sur le caractère de la guerre, notamment sur le front de l’Est. Il démontre d’une façon lumineuse que la Wehrmacht n’était pas une entité séparée du pouvoir nazi, mais réellement un instrument de combat, qui s’était mis volontairement à son service pour poursuivre l’objectif suprême du Führer : la conquête d’un espace vital (Lebensraum) à l’Est, aux dépens de l’URSS. Manstein, en effet, à l’instar de la majorité des hauts responsables de l’armée, a non seulement cautionné les actes d’agression de Hitler, mais il s’est également rendu complice de l’extermination criminelle d’une partie des populations de l’Europe de l’Est.
Indéniablement, cet ouvrage tranche avec la tendance prédominante de l’historiographie sur le personnage, qui fait avant tout l’apologie de son sens inné de la stratégie. Manstein, lui-même, a toujours soutenu que l’armée allemande n’avait jamais participé aux exactions à l’Est, qui seraient à mettre entièrement sur le compte de la SS et du SD. Benoît Lemay remet ici les choses à leur juste place et affirme, documents inédits à l’appui, que les officiers supérieurs de la Wehrmacht, dont le Feldmarschall von Manstein, ne pouvaient pas ne pas être au courant de ce qui se passait réellement et ont même, pour la plupart, collaboré étroitement avec les unités politiques chargées de l’élimination des prisonniers de guerre soviétiques, des commissaires politiques, des partisans et des juifs.
Une mise au point tardive, mais brillante.