A Monsieur André Breton

X
le 5 juillet 1916.

Cher ami

J'ai disparu de la circulation nantaise brusquement et m'en excuse - Mais M. le Ministère de la Guerre (comme ils disent) - a trouvé indispensable ma présence au front dans un délai très bref... et j'ai dû m'exécuter.
Je suis attaché en qualité d'interprète aux troupes britanniques. - Situation assez acceptable en ce temps de guerre, étant traité comme officier - cheval, bagages variés et odonnance - Je commence à sentir le Britannique (la laque, le thé et le tabac blond).
Mais tout de même, quelle vie ! Je n'ai narurellement personne à qui parler, pas de livres à lire, et pas le temps de peindre - En somme redoutablement isolé - I say, Mr the interpreter - Will you.... Pardon, la route pour ? Have a cigar, sir ? - Train de ravitaillement, habitants, maire et billet de logement - Un obus qui affirme et de la pluie, la pluie, la pluie, pluie - de la pluie - de la pluie - deux cents camions automobiles à la file, à la file - à la file...

En total, je suis repris du redoutable ennui (voir plus haut) des choses sans intérêt - Pour m'amuser - J'imagine - Les Anglais sont réellement des Allemands, et je suis au front avec eux, et pour eux - Je fume à coup sûr un peu de "touffiane"(*)
(...)

Tout est déjà là, à l'état de diamant brut, chez ce "neveu" de Guillaume Apollinaire - auquel il reprochait de se prendre beaucoup trop au sérieux sans savoir pratiquer l'Umour (sans "h") : Dada, le surréalisme, les énervement beatniks et les collages - cup up - de Burroughs, le dandysme punk, . En 1916, alors que l'Europe s'anéantit dans les tranchées, Jacques Vaché déserte à l'intérieur de lui, pratique l'Umour et traverse le carnage en recevant la médaille militaire.

RC

(*) opium