Longtemps, la résistance incontestablement courageuse des cheminots français occulta
une page noire : celle des convois de déportés raciaux et politiques. Comment expliquer que, dans le même temps, des trains ennemis aient été sabotés, et que ceux dans lesquels étaient entassés des milliers de femmes, d'hommes et d'enfants soient passés sans encombre ?
La question ainsi posée peut sembler brutale; elle a le mérite d'être claire. Entre 1941 et 1944, des cheminots français, en obéissant à leur hiérarchie, se sont faits les auxiliaires "techniques" de la politique vichyste de collaboration avec le nazisme.
Parlant des "seigneurs du rail" qu'étaient alors - et que sont encore, même si c'est dans une moindre mesure - les mécaniciens, l'auteur écrit :
Ce qui reste immuable dans cette corporation est l'exigence de sérieux, de professionnalisme, et un respect sacro-saint de l'horaire. (...) On pourra juger que, même en pleine guerre, le mécanicien veut arriver à l'heure. Le mécanicien est un cheminot dont l'obéissance aux signaux est totale. Les autres qualités requises pour conduire ces monstres d'acier sont les réflexes et l'acuité visuelle et auditive. De nos jours, le mot d'ordre n'a pas changé : n'est pas roulant qui veut.(...)
Ce sont des hommes pareils à ceux-là qui (...)ont conduit des trains de déportés raciaux et de résistants vers des lieux de mort et de souffrance. Ont-ils été abusés par le pouvoir ? Ont-ils participé contre leur gré à une collaboration innocente ? C'est la question que pose l'enquête.
Après un rapide rappel de l'histoire des chemins de fer et de leur importance dans la société française au moment de la défaite de juin 1940, l'auteur aborde le comportement, d'abord individuel puis en réseaux, des cheminots face aux clauses de la Convention d'armistice concernant leur outil de travail. Il peut écrire:
Les cheminots français voient d'un mauvais œil le parc des locomotives et des wagons se vider au profit de l'ennemi. Ils éprouvent un sentiment de dépossession qui, jour après jour, leur est insupportable et, pour un nombre non négligeable d'entre eux, constituera le motif principal de leur participation aux combats de la Résistance.
Si le vol de leur outil de travail par l'occupant a poussé des cheminots à exprimer leur désir de vengeance puis à s'engager dans une opposition directe par le sabotage et la mise en place de filières, cette corporation réagit à l'image de la société française :
Les cheminots français étaient comme (...) les Français, c'est-à-dire 10% de collaborateurs, 10% de vraiment résistants et 80% de gens qui ont survécu pendant la guerre., selon le témoignage d'un ancien cheminot.
Certes, mais les cheminots et le personnel de bureau de la SNCF étaient, eux, confrontés directement aux conséquences de la politique collaborationniste de L'Etat de Pétain.
Alors,
pour quelle raison les cheminots n'ont-ils pas usé de leur droit à la désobéissance ?
C'est ce que Raphaël Delpard tente de comprendre avec ce livre, fruit d'un travail d'enquête sérieux s'appuyant sur des documents d'archives, des récits et des entretiens.
Bien cordialement,
RC