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4e de couv :
Mers el Kebir, 3 juillet 1940 : 1 300 morts, un cuirassé englouti, deux autres gravement atteints et échoués. Seul à échapper, le Strasbourg. Pas un navire anglais touché.
Faut-il en avoir honte ou pas ?
Quarante ans après, je suis revenu à Mers el-Kebir. Subitement, se déclencha en moi comme un lamento, un requiem, une immense plainte pour les marins morts en si grand nombre qu’il avait fallu tailler un cimetière dans la falaise. Personne n’avait su au juste comment ça s’était passé, si l’amiral avait eu raison ou tort de ne pas vouloir partir avec les Anglais, personne n’avait sur le moment demandé des comptes. Le silence était retombé. Pas de commission d’enquête ni de procès.
J’ai eu envie de réparer cet oubli fantastique, de descendre dans cette crevasse de l’Histoire, d’en sonder les parois, d’en traquer les personnages. On ne détruit pas une flotte superbe en cinq minutes sans que ça fasse du bruit, sans qu’il y ait des fantômes qui crient vengeance ou qui se plaignent.
Accusé, levez-vous !
Jules Roy nous fait le recit du proces fictif et posthume de l'amiral Gensoul, commandant la flotte francaise basée à Mers el-Kébir.
Bien entendu, grâce à Jules Roy, l'amiral est defendu par des avocats de talents. Et nous pouvons faire confiance à l'auteur, pour que ce proces soit equitable.
Extrait :
«.......« Mes prédécesseurs, reprit-il, ont surtout eu devant eux le visage - parfois tout ce qui restait des vastes pouvoirs royaux ou princiers d'autrefois - le visage, ce miroir du cœur, cette Pâle lumière, dernier refuge des illuminations. Moi, vous, nous tous allons juger une mémoire... »
Quand quelqu'un dans la salle reprit :
« On ne juge pas les morts... »
Le président leva son marteau mais n'en frappa point la table.
« Mais si, on les juge, répliqua-t-il. Réfléchissez avant de parler, monsieur l'interrupteur. On n'arrête pas de les juger.
Peut-être pas sous forme de procès d'Etat, sous des lustres et avec une Cour, des jurés, un procureur, des avocats, mais anonymement en quelque sorte ou avec témoins accusateurs, et quel témoin que l'opinion qui n'a pas cessé de juger les rois morts, les présidents morts, les généraux vaincus morts, les ministres félons morts, et alors pourquoi pas un-amiral, puisque tant d'amiraux vivants ont déjà comparu devant la Haute Cour de justice, vous l'avez oublié ? Pas de quoi s'indigner. Mort, cet amiral risque quoi ? L'indignité nationale ? La confiscation de son héritage ? Nous n'en sommes pas là. Et qui vous dit que cet amiral mort ne s'en tirera pas avec les honneurs ? Bref, le peuple en a décidé ainsi : l'amiral sera jugé... »
Quand une autre voix dans la salle s'éleva
« Et s'il était condamné aux galères ?... »
Un rire bref et comme hystérique éclata et se répercuta, que le président maîtrisa en frappant la table à coups de marteau précipités.
« Gardes, ordonna le président, je vous prie d'expulser le perturbateur. »
Après un dernier coup de marteau, il se couvrit en disant « L'audience est suspendue quelques instants », puis, suivi des juges, se retira........ »