On ne peut pas comprendre les trajectoires politiques et les engagements les plus extrêmes de certains rejetons de l'aristocratie anglaise au XXe siècle sans avoir à l'esprit le véritable traumatisme que fut pour cette caste la révolution russe de 1917.
La classe dirigeante britannique comprit soudain qu'elle pourrait, elle aussi, perdre ses privilèges et subir la vindicte de classes sociales qui lui furent longtemps soumises.
L'arrivée des nazis au pouvoir en 1933 fut donc saluée - plus ou moins discrètement - avec satisfaction par quelques unes des plus anciennes familles d'Albion, parmi lesquelles les Mitford, qui virent alors en Hitler un rempart contre le bolchévisme. Si quelques rares voix s'élevèrent dès le début dans les salons contre l'entreprise nazie, une grande partie de l'aristocratie anglaise courtisa le nouveau régime durant la seconde moitié des années 30.
Pour Unity et Diana Mitford, Hitler et ses principaux collaborateurs devinrent des gens très fréquentables et le dictateur sut utiliser l'enthousiasme de deux sœurs pour tenter de renforcer en Angleterre un courant favorable à ses thèses antisémites et anticommunistes.
Diana alla même jusqu'à devenir la compagne de Mosley, le chef des
blackshirts britanniques qui paradaient dans Londres en faisant le salut hitlérien. Cette double passion valut à Diana d'être internée durant la durée de la guerre. Quant à Unity, littéralement amoureuse de "son" führer, ne supportant pas d'assister à un conflit entre l'Allemagne et son pays, elle tenta de mettre fin à ses jours, un acte qui échoua mais fit d'elle une ombre.
Des six sœurs, c'est Nancy qui est le fil conducteur du récit, celle qui restera emblématique des changements profonds de l'aristocratie anglaise. Contrairement à Jessica qui choisit l'engagement communiste en Espagne puis aux Etats-Unis ou encore Pamela et Deborah qui, elles, restèrent fidèles à la tradition de leur classe (un "bon mariage" et pas d'esprit critique), Nancy, esprit fin, comprit dès la fin des années 30 que son monde allait définitivement être balayé par la guerre à venir. Elle choisit de rompre avec son mari, s'engagea dans ce qui n'était pas encore l'action humanitaire et accepta un travail de libraire durant le "blitz". Amoureuse de la culture française, elle fréquentait les cercles où évoluaient des officiers de la France libre tout en poursuivant un travail littéraire.
Nancy, amoureuse de la France et de Gaston Palewski, gaulliste historique, devient une romancière célèbre comme le dit le 4e de couverture.
Annick Le Floc'hmoan propose un récit très vivant et bien documenté. Elle inscrit sa biographie multiple dans l'Histoire violente et passionnée d'un siècle qui connut tous les bouleversements sociaux, politiques et économiques. Elle sait nous rapporter les vies troublées et souvent paradoxales des sœurs Mitford qui incarnèrent les passions et les contradictions d'une classe dont le style de vie et ce qu'il faut bien nommer l'arrogance sociale furent définitivement balayés par un siècle violent.
René Claude