
"Enfermé dans sa prison, le lieutenant Pierre Mendès France vit sa dernière nuit de prévenu. Au matin de ce 9 mai 1941, il devra comparaître devant le tribunal militaire de Clermont-Ferrand et il sera jugé, jugé pour avoir, en juin 1940, "déserté". Assis dans sa cellule, il rédige d'ultimes notes pour ses avocats et pour lui-même, d'une écriture toujours plus illisibles tant il est affaibli. Il ne cesse de travailler, de réfuter les accusations, de démontrer son innocence, de préciser et d'ordonner ses arguments, d'exprimer son indignation, parfois sa colère. Voilà plus de huit mois qu'il est détenu, séparé de sa famille, s'acharnant à se défendre, pressentant pourtant qu'il sera, au bout du chemin, condamné. Car le lieutenant Mendès France doit sans doute incarner l'officier déserteur... comme autrefois le capitaine Dreyfus a dû incarner l'officier traître. "C'est une affaire politique", at-il écrit dans ses Notes de prison, où il a méticuleusement relaté l'odieuse manière dont on a "traité un officier dans cette affaire".
C'est par ces lignes que Jean-Denis Bredin débute son étude historique brillante écrite avec une précision et une sérénité qui rendent d'autant plus révoltante l'accusation de désertion à l'encontre de celui qui avait été désigné et accusé par Vichy parce qu'il avait été député sous la IIIe République, parce qu'il était un avocat brillant et parce qu'il était juif.
Jean-Denis Bredin a su habilement utiliser des éléments de la biographie de Pierre Mendès France, de la IIIe République finissante, de la débâcle et des premiers mois de l'Etat français.
Déjà au cours de l'instruction indigne d'une affaire jugée d'avance sur ordre de Vichy par une justice militaire servile, mais surtout lors de son pocès, Pierre Mendès France était parvenu à utiliser chaque étape de la procédure jusqu'à la salle d'audience comme autant de tribunes pour dénoncer cette justice qui "n'est pas la justice de la France, mais celle de Hitler."
Un livre remarquable et nécessaire en ces temps où remontent et éclatent en France le discours de la haine et la violence antisémite.
René Claude