Bonjour,
Les débats autour de "Combat" et d'Henri Frenay ayant été réactivés ces derniers jours, j'ai pensé qu'il pouvait être intéressant d'avoir le point de vue récent de la fille de celle qui fut la compagne mais aussi la conscience politique et sociale du chef du plus important réseau de zone Sud : Berty Albrecht, arrêtée quelques temps avant la rafle de Caluire, une opération à laquelle prirent part Moog, Multon-Lunel et l'agente double Edmée Delettraz.
Mireille Albrecht n'est pas historienne, son récit est donc à prendre avec les réserves habituelles face à ce genre de témoignages. Néanmoins, elle nous fait pénétrer dans l'intimité d'un couple improbable : Berty Albrecht après s'être séparée d'un mari riche et d'une vie oisive, reprit des études sociales afin de travailler au contact des ouvrières d'usine. Elle prodiguait ses conseils et était chargée du contrôle des conditions de travail. C'est en 1934 qu'elle fait la rencontre d'Henri Frenay, fringant jeune officier issu d'une famille catholique plutôt réactionnaire. Elle est attirée et éprouve l'envie de le revoir. Le futur patron de "Combat" est lui aussi séduit par cette femme dynamique et "libérée" pour son temps. Elle est de sensibilité progressiste, dans cette mouvance de la gauche non communiste pourtant convaincue de la nécessité de réformes profondes de la société. (Une trajectoire assez proche de celle de Lucie et Raymond Aubrac)
Alors que Frenay est en garnison à Hyères, ils se revoient pour vivre leur passion. (afin de répondre à la question du genre de relation vécue par ce couple, Mireille confirme bien qu'ils furent unis charnellement.) On a souvent écrit de "Combat" que c'était un mouvement à droite. Cela doit être nuancé car Mireille Albrecht explique l'influence indéniable qu'eut sa maman sur la prise de conscience socio-politique développée par Frenay. N'oublions pas qu'après guerre, la mémoire et l'histoire de la Résistance furent écrite par des hommes qui, à des rares exceptions, reproduisaient les clichés machistes du temps. Il était difficile pour eux d'accepter l'idée qu'une femme ait pu influencer le célèbre patron d'un des plus grands mouvements devenu une force politique incontournable à la Libération. Malgré les tentatives répétées de Bénouville pour faire glisser son chef et ami vers ses propres positions de droite, Frenay a conservé une partie des acquis idéologiques de sa vie commune avec Berty. C'est plutôt un travaillisme à la française que préconisait Henri Frenay dans les premières années d'après-guerre.
Dans son récit Mireille Albrecht rapporte aussi les recherches qu'elle fit dans les archives du Ministères de l'Intérieur grâce à une dérogation obtenue auprès de Joxe et avec l'accord de F. Mitterrand. Elle voulait connaître les responsables de l'arrestation de sa mère et les conditions de sa mort. La démarche est parfaitement légitime puisqu'elle s'inscrit dans le processus du deuil. Seulement Mireille écrit aussi avoir découvert des pièces accablantes pour des personnalités célèbres impliquées dans l'arrestation de Berty et d'autres dossiers (Caluire) sans pouvoir citer ses sources, car elle avait signé un papier par lequel elle s'engageait à ne pas divulguer les noms de celles et ceux qu'elle lirait au cours de ses recherches...Si son témoignage sur l'avant-guerre et la vie de sa famille dans les années 40 à 43 apportent des éléments qui nous permettent de mieux comprendre les liens entre Frenay et sa mère ainsi que le rôle que cette dernière eut au sein de "Combat", en revanche, les accusations qu'elle lance en direction du personnel politique de la IVe République qui aurait, selon elle, tout fait pour ne pas aboutir dans les enquêtes sur la mort de Berty demandent à être considérées avec précaution, car elle ne cite aucune source.
Amicalement,
René Claude