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L'Encerclement de la Suisse

La tentative d'Hitler en juin 1940

Edouard Falletti

Ce livre a pour objet de démontrer d’une part qu’Hitler, faute de pouvoir prendre la Suisse de la même façon que l’Autriche, le Danemark et la Norvège, avait la ferme intention de l’encercler totalement. Il comptait pour cela sur les Italiens. Mais c’était sans compter sur l’Armée française des Alpes qui a mis à mal son projet. Par son combat. Ainsi la Suisse et la France non encore occupée restèrent reliées par la voie Genève – Bellegarde, permettant ainsi un commerce profitable également aux Alliés, en particulier dans la micromécanique. D’autre part l’historien démontre la fantaisie des historiens suisses de gauche boulonnés sur leur conviction que quoi qu’il arrive, Hitler n’a eu que des bonnes intentions pour la Suisse. C’est vraiment un travail d’analyse comme on l’aime chez les historiens.

Avant-propos

La défaite de juin 1940 continue de hanter la conscience collective des Français.
Sur ce sujet, les écrits, les œuvres cinématographiques, à caractère sociologique ou littéraire, abondent, qu’ils l’abordent de plein fouet ou de manière allusive.
Mais en même temps, l’impression prévaut que tout a été dit en ce qui concerne les événements eux-mêmes. La manière dont ils se sont déroulés fait désormais l’objet d’un consensus ne laissant plus de place à la surprise. Nos manuels d’histoire nous renseignent fort bien sur ce qui s’est passé à partir du 9 juin, quand, à l’issue de la bataille perdue sur la Somme et l’Aisne, la France est entraînée dans la spirale fatale de la défaite. Ils sont unanimes à placer la fin de l’épisode au 22 juin 1940, lorsque, dans la clairière de Rethondes, la délégation française accepte les conditions d’armistice dictées la veille, au nom de l’Allemagne nazie, par le maréchal Keitel, en présence d’Hitler lui-même.
L’armistice franco-allemand du 22 juin 1940 est devenu «l’Armistice» avec un A majuscule, non sans de bonnes raisons: il a servi de cadre aux relations entre le IIIe Reich et l’Etat Français pendant plus de quatre ans, et l’affirmation publique de son refus par de Gaulle a été l’acte fondateur de la France Libre.
Ce n’est pas réduire son importance de rappeler que, toutefois, au moment où il a été signé, il n’a pas eu l’effet attendu normalement d’un armistice, c’est-à-dire la cessation des combats. Il se trouvait même frappé au départ d’un risque de caducité, puisque selon une disposition inscrite dans son avant-dernier article, son entrée en vigueur était subordonnée à la conclusion d’un accord similaire entre la France et l’Italie. Dans la réalité, les hostilités se sont poursuivies deux jours de plus, jusqu’aux premières heures du 25 juin, l’accord entre la France et l’Italie n’ayant été conclu que dans la soirée du 24 juin.
Les motifs et les circonstances qui ont entouré ce dédoublement des armistices et cette prolongation de la durée des combats ont rarement fait l’objet d’un examen approfondi. Ils suscitent pourtant quelques interrogations.
L’argument le plus souvent invoqué est de nature symbolique. Il est inspiré par Hitler lui-même: il fallait que l’Allemagne lave l’affront qu’elle avait subi de la France à Rethondes le 11 novembre 1918, sur les lieux mêmes où l’événement s’était produit. La présence d’un pays tiers (l’Italie) aurait été incongrue... Peut-on l’accepter sans sourciller et renoncer à en chercher d’autres, plus en rapport avec des considérations d’ordre stratégique ou opérationnel. Ainsi, comment expliquer pourquoi, contrairement aux souhaits de Mussolini, l’Italie ait dû négocier- avec la France une convention à part?
Et faut-il persister, comme on l’écrit souvent, à ne voir dans les deux, jours supplémentaires de combats et de négociations qui ont suivi la signature de l’Armistice de Rethondes qu’une péripétie purement franco-italienne, le temps de trouver un expédient satisfaisant pour mettre un terme aux hostilités, engagées, à peine quinze jours auparavant, par Mussolini, en ménageant les susceptibilités du présumé vainqueur. Mais, alors, pourquoi dans le même temps, la Wehrmacht a-t-elle été lancée sur les arrières de l’Armée française des Alpes bien au-delà de la ligne de démarcation instituée par le premier armistice? Et, pourquoi l’Allemagne, contrairement à ce qui est souvent répété, loin de calmer les ambitions de son allié, a-t-elle tenté, par deux fois durant ces deux jours, de faire pression sur l’Italie pour durcir les conditions faites à la France?
Partant de l’idée qu’Hitler n’aurait eu aucune revendication territoriale sur les Alpes et en Méditerranée, on en en a tiré un peu facilement la conclusion qu’il n’était pas partie prenante dans les négociations franco-italiennes. Selon cette il thèse, il se serait borné à apporter un appui militaire limité à son allié, tout en profitant des deux jours supplémentaires de combats pour engranger davantage de prisonniers et positionner solidement ses troupes sur la ligne de démarcation.
Cette vision d’un Hitler se comportant quasiment en simple spectateur, alors qu’il est au zénith de sa puissance, n’est pas conforme à la réalité. Au contraire, dans cette affaire, Hitler s’est conduit, selon sa nature, en conquérant prédateur. I1 a réalisé «à chaud», au fur et à mesure de l’avance de ses armées en territoire français, qu’il tenait une occasion unique de régler la question suisse à son profit. Il fallait au moins que les armées de l’Axe encerclent totalement le territoire helvétique, afin de soumettre plus complètement ce pays a ses exigences.
Hitler avait le dessein d’isoler la Suisse de la France. Ce projet figure en clair dans le compte rendu des conversations de Munich entre Hitler et Mussolini le 18 ,juin 1940. C’est bien Hitler qui en est à l’origine, contrairement à une tradition qui, à partir d’une erreur de ponctuation dans le procès verbal, a voulu en attribuer la paternité à Mussolini.
Les recherches récentes, notamment celles conduites par l’historien suisse Klaus Urner, auteur de « Il faut encore avaler la Suisse », curieusement peu exploitées du point de vue français, montrent qu’Hitler s’est employé avec détermination à concrétiser ce projet, avant et après la conclusion de l’Armistice de Rethondes. Il a cherché jusqu’au bout à peser sur les événements, en comptant d’abord sur un résultat militaire, puis faute de l’obtenir, en exerçant des pressions diplomatiques sur son allié.
Pour une bonne part, la manœuvre allemande sur le flanc est de la France durant les derniers jours de la campagne de juin 1940 s’explique par cet objectif. Ainsi, la Suisse s’est-elle trouvée alors, de manière indirecte et passive, impliquée dans le conflit.
Nous verrons pourquoi et comment, in extremis, Hitler n’est pas parvenu à ses fins.
Les conséquences n’ont pas été négligeables. D’abord pour la Suisse, qui a pu conserver, jusqu’en novembre 1942, plusieurs voies d’accès et de sortie par le rail et la route, non contrôlées militairement par les puissances de l’Axe, ce qui lui a permis de maintenir des liens commerciaux et en hommes avec les alliés et les neutres. On ne saurait trop en surestimer l’importance.
Celle-ci, en tout cas, n’a pas échappé aux services allemands, qui se sont livrés au cours de l’été 1940 à plusieurs actes de sabotage sur la voie ferrée Genève - Annecy et ont exercé à partir de 1941 d’intenses pressions sur la France de Vichy et, sur la Suisse pour tenter de refermer ce qu’ils appelaient le «trou de Genève».
Pour la France, le résultat. est aussi d’importance elle a pu conserver hors du contrôle de l’Axe une frontière commune avec le dernier Etat neutre subsistant en Europe occidentale (puisque l’Espagne s’était proclamée non pas neutre mais «non belligérante»...) Contrairement au vœu d’Hitler, les Alpes du Nord ont échappé â l’occupation jusqu’en novembre 1942. Que l’on songe à l’impact négatif d’une telle occupation, commencée dès 1940, sur l’implantation et le développement des futurs mouvements de résistance dans les Alpes.
Enfin, pour beaucoup de réfugiés, évadés et victimes de persécution, le «trou de Genève» a représenté une porte d’espoir et de salut- certes limitée, mais bien réelle, comme le montrent de nombreuses études récentes -, que celle-ci s’ouvre dans le sens sud-nord, vers la Suisse ou, au contraire, nord-sud, pour ceux qui tentaient de rejoindre les alliés, à travers une chaîne de pays non belligérants.
En une période exceptionnellement faste pour lui, les échecs du « Chancelier du Reich» sont fort rares. Le «miracle de Dunkerque», grâce auquel le corps expéditionnaire britannique ainsi qu’une partie de l’Armée française du Nord ont pu échapper à la captivité, est le plus notable d’entre eux. Sans avoir une portée aussi grande, la tentative avortée d’encerclement de la Suisse possède aussi une dimension stratégique évidente. Elle constitue un échec personnel pour Hitler, qui, comme nous le verrons, s’y était beaucoup investi.
Il en porte une bonne part de responsabilité, car il a surestimé la rapidité avec laquelle il pourrait réaliser son plan par des voies militaires et n’a pas su se faire entendre de Mussolini. Ce ne sera pas la dernière fois que chacun des deux alliés de l’Axe a voulu jouer son jeu personnel, sa « guerre parallèle », selon une expression consacrée, sans coordination suffisante.
Ce résultat est aussi à mettre au crédit de l’Armée française des Alpes. A la différence des unités opérant sur le reste du front, réduites à livrer ça et là des « barouds d’honneur » sans espoir, elle s’est trouvée engagée dans un combat comportant un véritable enjeu stratégique. Dans des circonstances difficiles, elle a su non pas remporter une victoire, mais empêcher ses adversaires de réaliser leurs objectifs. Klaus Urner, l’un des historiens suisses qui a particulièrement étudié ce dossier, a même pu écrire dans l’ouvrage précité que « l’issue du combat défensif courageux ( mené par l’Armée française des Alpes) détermina également le destin de la Suisse.
Or, si la bonne défense opposée par cette armée aux attaques italiennes sur les crêtes des Alpes est à juste titre un fait assez connu et. reconnu, l’importance de son combat et sa capacité de résistance aux forces allemandes qui l’ont attaquée sur ses arrières dans la phase finale des hostilités doivent être soulignées. Sans elle, pourtant, Hitler serait sans doute parvenu à ses fins, en dépit des déboires de son allié italien.
Nous allons retracer quelques-uns des moments clés de cette histoire et suivre de plus près leur enchaînement.

Table des matières

AVANT PROPOS
10JUIN: L’ITALIE ENTRE EN GUERRE
L’invasion
Un nouveau belligérant
L’Axe
La marche vers la guerre
Mussolini et la Suisse
Hitler et la Suisse
Quelle menace

16-17 JUIN: L’ÉTRANGE CHEVAUCHÉE DES H0MMES DE GUDERIAN
La drôle de guerre de l’Italie
La pente glissante
Le raid du lieutenant Dietrich
La demande d’armistice
Vers l’empire germanique

18 JUIN: LE RENDEZ-VOUS DE MUNICH
Dans le train
Les conditions d’Hitler
Le malentendu
Au soir du 18 juin

19-21 JUIN: LA MISSION DU GROUPE LIST.
LES PRÉPARATIFS
Préparatifs italiens
Préparatifs allemands

L’ENCERCLENIENT DE LA SUISSE
Les forces en présence
La Bataille des Alpes

21-24 JUIN: LA MISSION DU GROUPE LIST.
LA PHASE FINALE
La vallée des Glaciers
L’«exploit» du lieutenant Bulle
Fort l’Ecluse
L’avant-pays savoyard et Voreppe
Les conditions de Mussolini
La réaction allemande

24-25 JUIN : ET L A SUISSE NE FUT PAS ENCERCLÉE
Ultimes soubresauts
L’armistice franco-italien
La satisfaction du Duce
La fureur du Führer
Vers l’invasion
Les Suisses
Les Français
Effet collatéral
La suite et la fin

ÉPILOGUE: NORD ET SUD LÉMAN:
LA FIN DE LA GUERRE PARALLÈLE

ANNEXE: LES ATTENTATS SUR LA LIGNE ANNECY
L A ROCHE-SUR-FORON DURANT L’ÉTÉ 1940
Les deux attentats
Un préfet en première ligne
La piste belge
Démêlés politiques et avec la presse
Les dispositions intérimaires et les travaux de remise en état

NOTES

 

Editeur : Cabédita
Date edition : 2007
ISBN ou ref : 978-2-88295-486-2
Support : livre
Genre : étude historique
Période concernée : pas de période définie
Région concernée : Ouest Europe

Proposé par Christian Favre le jeudi 18 août 2011 à 07h25

Dernière contribution le mardi 30 août 2011 à 22h41

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