Eric van den Bergh, en nous signalant la publication sur la Toile du résultat de 12 ans de recherches assidues, a incité "
Livres de guerre" à proposer son travail à l'ensemble de nos hôtes, travail qui sort des sentiers battus de l'historiographie traditionnelle.
Le titre original à découvrir ici
Mai 1940, Une victoire éclair. Blitzkriegstratégie allemande de Sun Tzu et de Clausewitz. Leur critique de la stratégie française. Son échec prévu par Chauvineau, suivi d'un commentaire ne passait pas à l'écran comme vignette d'illustration.
Nous avons gardé "Mai 1940 - Une victoire éclair"
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En guise de présentation, Eric van de Bergh nous a autorisé à publier le préambule et l'introduction du livre où l'auteur explique sa démarche et résume les cinq parties de son livre
Préambule
J’ai effectué mes recherches à la façon d’un juge d’instruction, poste que j’ai occupé jadis. Ainsi me suis-je attaché essentiellement aux documents authentiques contemporains ou antérieurs à la campagne. Les mémoires des protagonistes ont été traités avec la plus grande prudence. Ce ne sont que des témoignages sur des événements d’un passé parfois lointain, et les intéressés étant morts, on ne peut satisfaire à l’exigence de les entendre. En passant leurs affirmations au peigne fin, j’ai constaté un certain nombre d’inexactitudes, voire de mensonges, facilement démontrables. Un juge qui accepte stupidement comme preuves de tels témoignages commet une faute professionnelle.
Cela vaut également pour un historien. Il existe plusieurs éditions de « Vom Kriege » de Carl von Clausewitz, aussi bien originales que traduites. J’ai donc référencé mes citations en mentionnant successivement la partie, le livre et le chapitre, par exemple 1.2.3. pour : partie 1., livre 2., chapitre 3.
J’ai traduit moi-même les textes allemands qui se trouvent tous au Service historique des Armées, dont l’éloge n’est plus à faire, et qui n’ont jamais été traduits en français malgré leur grand intérêt – comme notamment « Achtung Panzer ! » de Guderian, les documents de Jacobsen et les journaux de Halder et de Jodl. Parfois, j’ai ajouté le texte original entre parenthèses.
Pour « L’art de la guerre » de Sun Tzu, j’ai utilisé la traduction du général et sinologue Samuel B. Griffith, que je n’ai pu contrôler étant donné mon ignorance totale du chinois classique. Comme plusieurs éditions de ce livre sont en circulation, j’ai référencé les citations que j’ai traduites en français par les numéros des chapitres et des paragraphes.
Le présent ouvrage contenant plusieurs sujets en relation les uns avec les autres, il n’est pas nécessaire de le lire de bout en bout. On peut l’utiliser de façon aléatoire et le lire en discontinu en choisissant directement une partie, un livre ou un chapitre en fonction du sujet recherché.
Sans le Service historique des Armées et sans mes deux correctrices, Martine Baruch (†) et Marie-José Fabre, cette étude n’aurait jamais vu le jour.
Mai 2009.
Introduction
Encore un ouvrage sur la campagne de 40, et encore une analyse a posteriori ? Non. Cette fois il s’agira d’une analyse a priori. Ce ne sera pas la mienne, car à 11 ans je n’avais pas tout prévu. Mais j’ai voulu éviter de tomber dans le piège contre lequel Clausewitz met en garde : voir mon jugement influencé par le résultat de cette campagne.
« Triompher au combat et être universellement applaudi comme expert n’est pas le comble de la compétence » constatait déjà Sun Tzu (IV, 9).
L’art de la guerre est empirique. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, il faut remonter dans le temps, dans l’histoire militaire. Les armes nouvelles n’ont pas changé les doctrines de jadis.
La présente étude va donc s’efforcer de faire une synthèse des
critiques a priori de la campagne de 1940, en relation avec la 2e guerre mondiale - dont elle n’était « qu’un moment furtif » (Delmas,
L’Europe en guerre, p.6) -, qu’on peut trouver dans l’oeuvre de trois généraux.
Le premier est le général chinois Sun Tzu, auteur du livre
L’art de la guerre, écrit il y a vingt-quatre siècles, première oeuvre sur ce sujet autant qu’on sache.
Le second est le général allemand Carl von Clausewitz, qui a écrit
Vom Kriege (De la guerre) édité à Berlin en 1832, qui a approfondi l’oeuvre de Sun Tzu.
Le troisième est le général français Louis Chauvineau, dont le livre
Une invasion est-elle encore possible ?, écrit dans la première moitié des années 30, a été publié à Paris en mars 1939. En bonne logique, la réponse était « Oui » (p.212), parce que dans le cas contraire il ne se serait pas posé la question.
Cet ouvrage contient une critique en règle de l’organisation de l’armée française, « aussi mal adaptée à l’attaque d’une grande armée qu’à la protection de notre territoire » (p.205), ainsi que de toute la politique militaire et étrangère de la France après la Grande Guerre, jusqu’à 1936, date de la fin de la rédaction de son manuscrit.
Aucun de ses conseils n’ayant été pris en compte par le Haut Commandement français, ce livre, écrit avec l’intention de montrer les moyens de sortir les forces armées de leur marasme, est devenu une analyse des causes de la défaite
a priori.
Les analyses de Sun Tzu et de Clausewitz sont identiques. Et les trois généraux s’accordent à vouer aux gémonies notamment le plan D adopté par les Alliés, sur les mêmes motifs, et ce avant son existence même.
Le plan de campagne allemand, en revanche, existait depuis très longtemps. Certes, Chauvineau a correctement prévu ses principes. Certes, on le trouve dans ses moindres détails chez Clausewitz, parfois même à la lettre. Mais il est des doctrines militaires éternelles ! Ce plan a été publié pour la première fois il y a vingt-quatre siècles par un général chinois.
Si les généraux Sun Tzu et Clausewitz n’ont pas besoin d’être présentés, on verra au chapitre 4 qui était vraiment le général Chauvineau. Mais nous étudierons d’abord, livre I, ses idées sur un éventuel conflit à venir avec l’Allemagne. Il s’attend à une guerre de masses. Celles-ci doivent donc être amplement pourvues d’un armement moderne. Par conséquent, cette guerre sera une
guerre totale.
Autre conséquence : ces masses vont occuper le théâtre des opérations dans sa totalité, comme durant la Grande Guerre, d’où la naissance de fronts incontournables qu’il appelle erronément
fronts continus.
Il prévoit ensuite que la vitesse – l’essence même de la guerre – sera plus que jamais le mot-clé. Ce sera effectivement le cas pendant la campagne de Pologne en 1939, ce qui explique l’appellation de
Blitzkrieg que le grand public a adoptée à ce moment-là. Dans le chapitre ainsi intitulé, la légende selon laquelle ce fut une toute nouvelle stratégie est démentie.
Les chapitres 5 à 9 exposent les raisons de la réponse affirmative de Chauvineau, ses propositions pour la réorganisation de l’armée, ainsi que sa diplomatie active. Le chapitre 8, « Les ignorants », décrit comment naît une légende. Une trentaine d’auteurs y ont collaboré à leur insu.
La
deuxième partie évoque comment l’Europe est allée vers la guerre et comment elle aurait pu l’éviter.
La
troisième partie se consacre à la genèse des plans de guerre. Le plan de guerre allié (Livre V) contient sa critique a priori par les trois généraux, ainsi que les bonnes raisons de la neutralité des Belges. Le plan de guerre allemand (Livre VI) contient le plan définitif et les trois directives qui l’ont précédé. Dans cette partie est démentie la légende selon laquelle ce plan fut conçu par Manstein, un officier général subalterne, et ses mensonges ainsi que ceux de Liddell Hart y sont exposés. On y trouve les plans de Clausewitz et de Sun Tzu.
La
quatrième partie renferme un livre entier sur
l’avion. Il déborde le sujet de mon étude de toutes parts. La raison en est qu’à certains égards, cette arme se distingue de toutes les armes au sol et sur mer. Son développement fulgurant depuis 1918 n’a pas engendré une nouvelle stratégie mais a donné une autre dimension à la guerre : la population civile y est dorénavant impliquée dans sa totalité. J’ai donc voulu présenter au lecteur un bref aperçu de son histoire et de son rôle en général.
Après une brève évocation du cheval, de la fortification et du chemin de fer, suit la présentation de toutes les armes au sol, combinées dans un seul livre. La raison en est qu’elles ont toujours été employées ensemble, appuyées par l’aviation si besoin était, tant par les Allemands que par les Soviétiques, et ce suivant la doctrine de Clausewitz : concentration de toutes les forces.
Puis on verra les absurdités écrites par de Gaulle sur la campagne, son mépris injustifié de l’infanterie et le mauvais accueil de son livre, Vers l’armée de métier, en Allemagne. Suivent les théories de Chauvineau et Guderian sur l’emploi des armes combinées, ainsi que les règlements soviétiques. Char et fantassins s’entraident. Le rôle indispensable du génie et de la logistique est également évoqué. Le dernier chapitre prépare le lecteur à l’action proprement dite.
La
cinquième partie contient la campagne elle-même. L’infanterie allemande a dû livrer des combats acharnés, parfois jusqu’à l’épuisement. Le lecteur suivra le déroulement de la campagne au jour le jour, illustrée par les cartes dressées chaque soir par le quartier général de l’armée (
L’Atlas de Hitler). Celles-ci montrent les mouvements de toutes les divisions. On verra comment a été dirigée l’offensive, et comment on a changé le livret au cours de la scène première de l’acte premier de ce drame, en raison d’une faute grave, lourde de conséquences à la fin de la scène II, totalement imprévisibles à ce moment-là.
Quant à Chauvineau, après le baisser de rideau à la fin du drame, il était en droit de dire : « Je l’avais bien prévu ».