Présentation de l'éditeur
La France libre voulait leur prestige, Vichy leur savoir, les nazis leur soutien. Comment les chercheurs français ont-ils répondu à ces sollicitations multiples entre 1940 et 1944 ? Ce livre entraîne le lecteur dans l'univers de la recherche française : on y découvre la restructuration du système de recherche par Vichy ; la mobilisation des laboratoires pour répondre aux difficultés de ravitaillement et aux pénuries ; l'incontournable antisémitisme d'Etat, qui ne parvient cependant pas à éliminer les Juifs de la vie scientifique ; les engagements dans le camp de la Résistance comme de la Collaboration ; et enfin la très superficielle épuration, qui voit la communauté scientifique passer l'éponge sur les errements de ses membres les plus compromis. Nourri d'archives souvent inédites, ce livre met en lumière des aspects méconnus et refoulés de l'histoire de la science française. Le physicien Frédéric Joliot-Curie, figure emblématique de la Résistance, a ainsi travaillé durant toute la guerre avec des chercheurs allemands ; l'INSERM, comme bien d'autres institutions scientifiques actuelles, a été fondé par Vichy. Sans manichéisme, quitte à écorner certains mythes, ce livre offre le premier tableau de la vie scientifique sous Vichy.
Extrait de l'avant-propos:
Lorsque l'on pense à un écrivain français du siècle passé, on se demande souvent quel âge il avait durant la Seconde Guerre mondiale et quelle fut son attitude. Quel camp a-t-il choisi durant les années noires ? A-t-il publié ? Chez qui et sur quoi ? Lorsque l'on pense à un scientifique du siècle passé, on ne se demande jamais quel âge il avait durant la Seconde Guerre mondiale. Ni quelle fut son attitude. Ni quel camp il choisit. Ni s'il a publié, ni chez qui, ni sur quoi. C'est de ce constat qu'est né ce livre. De cet étonnement que l'on fasse comme si les laboratoires étaient restés à l'écart des tourments de l'Occupation, loin de cette guerre civile française qui déchirait par exemple les écrivains.
Brosser un tableau exhaustif de la vie scientifique française entre 1940 et 1944, étudier le fonctionnement de ses institutions, analyser les engagements des chercheurs comme leurs découvertes... Voilà des ambitions que n'a pas ce livre, mais qu'il espère susciter chez d'autres. Car ce livre n'est pas une étude, mais une enquête, au sens journalistique du terme, où les sources d'informations - en premier lieu les quelques études historiques qui traitent de ce sujet mais surtout des archives, des documents et des témoignages inédits - sont croisées, recoupées, et mises en perspective mais sans prétendre conférer à ce travail le statut scientifique d'une recherche historique.
Le découpage de ce livre découle du choix de proposer au lecteur une enquête, avec sa part de subjectivité et d'incertitudes assumées. Un premier chapitre dresse le décor en présentant à grands traits la vie scientifique de la période et en l'insérant dans la chronologie politique des quatre années du régime de Vichy. Sur ce fond, s'avancent douze chercheurs, de spécialités comme de renoms très différents, du Prix Nobel au modeste thésard. Ils sont les personnages principaux de douze récits qui proposent autant de coups de projecteur sur les aspects les plus marquants de la période :
- la dispersion - parfois l'émigration - des chercheurs lors de la débâcle du printemps 1940, suivies de la reprise d'une activité scientifique réelle, malgré les restrictions et les pénuries. Jacques Monod, Georges Canguilhem et Laurent Schwartz ont ainsi tous trois soutenus leur thèse durant l'Occupation.
- la restructuration de l'appareil de recherche français par Vichy, qui, après hésitations, conserve le CNRS[1], créature honnie du Front Populaire, et crée les ancêtres de l'INSERM [2], de l'INSEE [3], de l'INED [4] et de l'IRD [5].
- l'antisémitisme d'Etat, les rafles et les déportations, qui ne parviennent cependant pas à éliminer complètement les Juifs de la vie scientifique. Le livre contient ainsi le récit de Jacques Lévy, qui a soutenu sa thèse d'astronomie à la Sorbonne, six mois après la rafle du Vel d'Hiv et en portant l'étoile jaune.
- le poids de la censure et la restriction des échanges, qui rendent stratégiques l'accès aux revues scientifiques internationales. Le CNRS de Vichy tolérera ainsi l'organisation en son sein d'une contrebande des revues anglo-saxonnes.
- les engagements politiques d'une minorité de chercheurs dans la Résistance, profitant parfois de leur accès à des informations sensibles pour créer des réseaux de renseignement au service des Alliés, ou participant à la Résistance intellectuelle.
- enfin la Libération, qui verra les scientifiques compromis dans la collaboration (Georges Claude, Ernest Fourneau...) traités avec bien plus de mansuétude que les écrivains, tandis que la génération de la Résistance (Frédéric Joliot, Georges Teissier, Pierre Drach....) accèdera aux responsabilités, non sans frictions avec ceux qui ont émigré aux États-Unis en 1940/41 (Pierre Auger, Louis Rapkine, Bertrand Goldschmidt...).
Ce livre se compose donc de deux parties très distinctes :
- Le premier et le dernier chapitre, introduction et conclusion, sont des analyses que l'on a voulu aussi rigoureuses que possible. Toutes les informations qui y figurent y sont donc explicitement référencées.
- Les 12 chapitres qui les séparent sont des récits, dans lesquels on a choisi de privilégier la commodité de la lecture. La seule liberté que s'est permise l'auteur dans ces récits est de prêter aux personnages des pensées qu'il considérait avoir pu être les leurs, sans bien sûr en avoir la preuve.
Biographie de l'auteur
Docteur en biologie et licencié d'histoire, Nicolas Chevassus-au-Louis s'est orienté vers le journalisme scientifique, discipline qu'il enseignera à l'université de Montpellier. Outre diverses collaborations à des journaux, il publie régulièrement dans la revue "La Recherche".
Il consacrera deux ans à dépouiller des archives souvent inédites (il a ainsi pu, pour la première fois, obtenir une dérogation pour consulter les archives relatives à l'épuration à l'Institut Pasteur et au CNRS), à rencontrer les derniers témoins de cette époque et à s'immerger dans l'immense littérature historique consacrée à Vichy. "
Savants sous l'Occupation" est le fruit de ce travail.
Table des matières1. Scientifiques des années noires.
2. Opération Rapkine.
3. Frédéric Joliot, l'atome et les nazis.
4. Charles Jacob, le "malgré-moi" du CNRS.
5. Wyart contre Gérard, ou la guerre des bibliographies.
6. Et Lucien Febvre évinça Marc Bloch.
7. Le rêve du docteur Carrel.
8. Laurent Schwartz, ou Bourbaki dans l'effervescence clermontoise.
9. Georges Montandon, chercheur en antisémitisme.
10. La double vie de Raymond Croland.
11. Frédéric Joliot face aux chantiers de la Libération.
12. L'Institut Pasteur face au cas Ramon et Fourneau.
13. Georges Claude devant ses juges.
14. Scientifiques ou intellectuels.
[1] CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique.
[2] INSERM : Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale.
[3] INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques.
[4] INED : Institut National d'Etudes Démographiques.
[5] IRD : Institut de Recherche pour le Développement.