Extrait de l'Avant-Propos :
Les yeux du témoin et le regard du borgne s’attache à une pièce d’archives remarquable, le témoignage d’époque d’un officier S.S. d’Auschwitz, le sous-lieutenant Johann-Paul Kremer. Médecin au camp pendant une courte période — du 29 août au 18 novembre 1942 —, il y prenait part aux « actions spéciales » contre les déportés à leur descente du train. Chaque fois, il le notait dans son journal, chronique quotidienne des faits qui le concernaient personnellement et où il était directement impliqué. Ses commentaires d’époque sont frappants. Le document dévoile « le camp de l’extermination ». Le médecin S.S. y découvre un « enfer » avec des « scènes épouvantables » atteignant « le comble de l’horreur ». Tel quel, le journal de Kremer n’est pas la pièce la plus marquante du génocide au quotidien, mais elle a peut-être été la plus remarquée. Et, à coup sûr, la source d’époque d’origine nazie la plus discutée, voire la plus vivement controversée.
Dans l’après-Auschwitz, les notes prises à l’époque des faits ont servi à d’autres fins que la recherche historique. Elles furent, dès l’abord, une pièce à conviction, et en premier lieu contre leur auteur. L’ancien médecin S.S. fut jugé, en 1947, à Cracovie, au procès de 40 S.S. de la garnison S.S. du camp de concentration d’Auschwitz : le tribunal suprême polonais le condamna à mort. A 64 ans, criminel d’Auschwitz le plus âgé, il ne fut pas exécuté. Treize ans après, c’était, en République fédérale, la cour d’assises de Munster qui, à son retour — notes de 1942 à l’appui — le condamnait à 10 ans de prison : à 77 ans, la peine était de pure forme, elle n’excéda pas celle qu’il venait de purger en Pologne. Quatre ans plus tard, l’octogénaire comparaissait, avec son journal de guerre, à titre de témoin à charge dans l’affaire Mulka et consorts, les 20 S.S. du camp d’Auschwitz jugés de 1963 à 1965 devant la Cour d’assises de Francfort.
Il y eut, pour ainsi dire, une quatrième affaire Kremer, cette fois sans Kremer, devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, en 1981. La Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme et plusieurs associations patriotiques de résistants et de déportés y avaient assigné Robert Faurisson pour avoir, entre autres, « volontairement tronqué certains témoignages tels que celui de Johann Paul Kremer ». Le journal du médecin S.S. d’Auschwitz avait été au centre de la polémique provoquée par le « révisionnisme ». Le Monde, publiant, à la fin de 1978, une thèse « aussi aberrante » que le problème des chambres à gaz de Faurisson avait aussi présenté une abondance de preuves. Dans cet inventaire, Georges Wellers, rescapé d’Auschwitz, mais également président de la commission historique du Centre de Documentation Juive Contemporaine de Paris, citait, en bonne place, des notes du médecin S.S. La réponse de Faurisson prétendit lui apprendre à les « citer correctement ». Un roman inspiré, protesta Wellers ! Une déclaration retentissante de Faurisson sur les ondes d’Europe n° 1 livra la clef de sa relecture des sources. La mort de millions d’hommes et de femmes, d’enfants et de vieillards y devenait un « prétendu génocide ». Le propos était, à tous égards, injurieux. L’histoire était, dans la « révision » de Faurisson, rien moins qu’un « mensonge historique ». A l’époque des faits, même l’antisémite nazi le plus frénétique ne dénonçait pas la rumeur du génocide en cours comme une « supercherie juive ». Le délire « révisionniste » s’y complaît à y lire une « gigantesque escroquerie politico-financière ». Pesant soigneusement ses mots, Faurisson, professeur de lettres, en désignait le bénéficiaire, non pas la « juiverie internationale », mais un « sionisme » tout aussi « international ». Cette version était mieux appropriée aux sensibilités des années septante-quatre-vingts mises à l’épreuve par les événements du Moyen-Orient. La manipulation antisémite donna aussitôt une nouvelle impulsion à la bataille judiciaire à peine entamée. Si le débat des prétoires traita de l’aspect formel, la polémique sur le fond se poursuivit à coups de livres.
Présentation de l'éditeur
L’affaire Faurisson a fait la notoriété d’une pièce des archives de la Seconde Guerre mondiale qui avait déjà retenu l’attention des tribunaux jugeant les crimes nazis. Connu aussi des historiens de la solution finale, le journal du docteur Kremer, médecin SS d’Auschwitz, livre un témoignage oculaire dévoilant, selon ses propres termes, "le camp de l’extermination" et ses "scènes épouvantables". Dans sa négation obstinée du génocide juif, un Faurisson s’est échiné à en dénaturer le sens. Pourtant, le document appelle une tout autre relecture que le "regard du borgne". Maxime Steinberg, historien de la solution finale, procède à cette analyse critique indispensable.
La méthode exploite toutes les ressources documentaires de l'histoire. Elle saisit dans le document de Kremer la trace écrite d'un événement chronologiquement daté et géographiquement situé. Le témoin SS en apercevait l’aboutissement sinistre. Sa chronique personnelle des exterminations d'Auschwitz recoupait en fait, la ronde infernale des convois qui quittaient l’Europe de l’Ouest en direction du camp d’extermination. Ces notes quotidiennes sont ainsi autant d’actes de décès collectifs des déportés de France, de Belgique des Pays-Bas massacrés dans les chambres à gaz dès leur descente des trains de la solution finale. Toute la spécificité du génocide juif réside dans cette extermination appliquée aux déportés interdits d’entrée dans les camps de la mort. Serré au plus près des sources documentaires, le génocide n’est pas à confondre avec la mort concentrationnaire. Cette autre dimension de l’horreur nazie s’appliquait aux détenus immatriculés dans les camps y compris à la minorité des déportés juifs jugés aptes au travail et exemptés de la solution finale pour les besoins de l’économie de guerre.
L'ouvrage de Maxime Steinberg, historien belge, a été publié, en version Web, sur le site pdhn -
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Ci-dessous, la table des matières et les liens pour accéder à chacun des chapitres :
Sommaire :
Présentation de la version Web :
Avant-Propos : Ils « savent ce que c’est de voir » :
Chapitre 1.- Entre les lignes :
- Le témoignage de l’erreur
- Les « musulmanes » à Auschwitz
- Les « gens de l’extérieur »
- La chronique des convois
- Les transports du journal
- La rumeur d’« Oschevitz »
Chapitre 2. - Les yeux de l’horreur :
- Une impression d’horreur souhaitée » ?
- L’« anus mundi »
- L’anatomiste nazi
- Une froide impassibilité
- « Trois femmes qui suppliaient »
- Le camp de concentration « moins sévère »
Chapitre 3. - De singuliers « Bunkers » :
- Un singulier « singulier »
- Les « travaux » d’Auschwitz
- Du « gazage » et de son usage
- Les « travaux urgents » du printemps
- La « façon […] inquiétante » d’Auschwitz
Chapitre 4. - A mille kilomètres de l’horreur :
- L’« esprit d’humanité » de l’officier S.S.
- Un « camouflage cousu de fil blanc »
- Le « plausible » de l’officier S.S.
Chapitre 5. - .Un « plus loin à l’Est » par trop explicite :
- Une mesure de rechange
- L’« image d’horreur » à l’Est
- L’objection de conscience ?
- Je l’ai connu trop tard
Chapitre 6. - Appeler les choses par leur nom :
- « L’extermination totale »
- Les 100 % de l’officier S.S.
- En raison du secret
- L’« anéantissement » revu et corrigé
- L’« action spéciale » du témoin oculaire
- Le « fait capital »
Chapitre 7. - Le chiffre du secret :
- Le « traitement special » d’Auschwitz
- Les chiffres du camouflage
- La confusion des morts
- Les morts de l’« extermination »
Conclusion : Une « page » d’histoire « jamais écrite » ? :
Annexes : Sources documentaires du massacre des Juifs de l’Ouest à l’arrivée à Auschwitz :
- Le journal de J.-P. Kremer à Auschwitz
- Le document Dannecker
- Le télex du 29 avril 1943
- La méthode Brack
- La « Vergasungskeller » d’Auschwitz
- La « Vergasung »
Cahier de Photos :