
Cette bio très solide portée par un style vivant (et bien traduit) de Leni Riefenstahl n'est ni une hagiographie cucul ni une descente en flammes au premier degré d'une créatrice de premier plan dans l'histoire du cinéma mondial, une artiste brillante qui ne s'est pas contentée de "vendre quelques films au diable" mais lui a aussi donné son âme, mettant son grand talent au service de la barbarie et de sa propagande.
Son auteur Steven Bach est un ex-producteur (à la UA) et aussi un fin cinéphile. S'il connaît la vie et maîtrise la filmo de son sujet d'études complexe sur le bouts des doigts, il ne s'est pas laissé séduire rétroactivement par Leni comme ce fut le cas d'autres chercheurs embobinés par cette grande courtisane, de son vivant ou même post-mortem, car Leni, gênée aux entournures par les rappels de son passé nazifié, a souvent menti et beaucoup arrangé sa bio jusqu'à la fin. Les fréquents rappels de Bach concernant des événements socio-politiques, économiques et militaires sont autant de marques d'un esprit historien rigoureux qui sait aussi raconter des anecdotes révélatrices et croustillantes pour rendre l'approche du "cas" Leni plus attrayante. On découvre ainsi comment Leni "travaillait" sexuellement les hommes susceptibles de lui procurer des moyens de production ou un prestige lui permettant d'obtenir ces moyens à une époque durant laquelle rien ne fut innocent. Car Leni Riefenstahl ne fut pas une "pauvre et pure artiste perdue dans des temps violents" comme elle a cherché à nous le faire croire après la chute du IIIe Reich et jusqu'à sa mort centenaire, mais une entrepreneuse audacieuse et talentueuse qui, au même titre qu'un Rommel*, sut utiliser ses relations directes avec Gœbbels et Hitler pour monter des films, bénéficiant directement du soutien plein et entier - financier et politique - du IIIe Reich. Ultra opportuniste, la réalisatrice n'hésita pas à profiter directement de l'aryanisation du cinéma allemand*. Elle fit retirer de son propre chef les noms des collaborateurs juifs qui avaient travaillé sur des films tournés avant 1933. Ainsi dans le très beau
La Lumière bleue tourné en 1932, le générique pour sa nouvelle sortie en 38 ne comportait plus les noms du producteur (et ancien amant) de Leni et celui d'un chef opérateur.
Danseuse robuste mais sans vrai caractère et actrice au jeu un peu daté (elle le reconnut elle-même), Leni fut surtout une réalisatrice novatrice dont le talent éclata dans des documentaires - en fait des films de propagande plus ou moins masqués - tels
Les Dieux du stade ou
Le Triomphe de la volonté qui influencent encore formellement les réalisateurs après avoir bouleversé la façon de filmer les sports et les scène de masses pour les besoins d'une propagande totalitaire.
Leni Riefenstah, une ambition allemande (le sous-titre est bien trouvé) est à ce jour la meilleure bio de l'actrice-réalisatrice que j'ai lue en français
RC
* Comme le maréchal préféré des Allemands, si Leni ne fut jamais encartée au NSDAP, elle fut indéniablement en accord avec le nazisme qu'elle mit en scène par opportunisme carriériste mais aussi par ce qu'il faut bien appeler une passion amoureuse pour son führer. Pour se rendre compte de l'autonomie créatrice accordée à Leni dans les arts nazifiés, il suffit de savoir que sa boîte de prod' fut l'une des trois seules maisons autorisées par Gœbbels à côté du monopole de l'UFA nationalisée/aryanisée par le ministre cinéphile et grand amateur de jeunes beautés de l'écran. Gœbbels répondit un jour à Fritz Lang qui venait de lui rappeler son ascendance juive par sa mère pour décliner la proposition faite par le ministre d'occuper un poste central dans le cinéma nazi: "Ce qui est juif, nous en déciderons". Cela pour dire le cynisme brutal du personnage...