On devient historien à travers l'expression de sa passion raisonnée pour une science humaine devant laquelle je me dis parfois qu'on devrait tous accepter d'être - ou de redevenir - des amateurs au sens noble du terme : qui aime et pratique une discipline avec passion, quelque soit son parcours et son cursus, loin des protectionnismes corporatistes et des anathèmes et autres exclusions qui en émanent dès lors qu'un outsider talenteux s'attaque à une vie dense dans une période troublée comme le plasticien Pascal Convert vient de le faire dans ce récit biographique et historien très bien informé de la vie, des engagements et de la mort du militant internationnaliste (kominternien) antifasciste
Joseph Epstein.
Précisant sa méthode de travail et de recherches, Pascal Convert écrit :
Alors que soixante années se sont écoulées et que les témoins sont devenus rares, la tendance actuelle, dans la recherche biographique, est souvent de recourir à des méthodes d'investigation proches des enquêtes policières. Sans renoncer à un travail au plus près des archives, que ce soit celles de la Préfecture de police de Paris ou celle du Komintern, à la méthode qui consiste à "ouvrir une enquête", avec le climat de suspicion qui y est attaché en particulier s'agissant de responsables communistes -, je préfère suivre un chemin qui "ouvre le temps" ou plutôt "les temps".
Qui fut Joseph Epstein ? Né dans une famille bourgeoise juive polonaise et laïque, Joseph Epstein est très tôt confronté à l'antisémitisme dans la Pologne de Pilsudski. Si son père entrepreneur veut encore croire en l'intégration prochaine de sa famille, Joseph, lui, entre tôt en politique et devient rapidement du fait de son charisme et de son intelligence tactique un militant efficace et lucide quant à l'avenir des juifs polonais et de l'Europe face aux fascismes et au nazisme.
Quels sont ces "temps" dont il est question dans l'extrait cité plus haut ? Retrouvons l'auteur qui s'adresse au fils de Joseph, destinataire et fil conducteur du récit :
Le temps historique, celui de la Révolution russe de 1917 et de l'engouement des jeunes Juifs polonais pour le communisme naissant. Le temps de l'opression anticommuniste et antisémite du gouvernement Pilsudski. Le temps de l'immigration en France et des jours heureux du Front populaire. Le temps de la tragédie sur le front de l'Ebre en Espagne puis, comme une partition déjà jouée, de la défaite face à l'Allemagne nazie. Et enfin le temps des héros, le temps de la Résistance armée et de la libération de leur patrie d'adoption, la France.
Bien sûr, nous sommes loin aujourd'hui de la guerre d'Espagne, des procès de Moscou, des accords de Münich... mais ce peut être une chance, une chance qui ouvre le temps historique, celui des événements, celui de ta famille qui nous mène de Zamosc, ville-lumière en Pologne où ton ère naquit, à ma rencontre avec toi, soixante-deux ans plus tard, dans la clairière du Mont Valérien.
C'est dans ce lieu des suppliciés de l'occupation que Joseph termina une vie d'homme, pleine, forte et digne sous les balles allemandes.
Pascal Convert cite Orson Welles pour nous dire l'attitude de Joseph face au danger et à la mort :
On ne peut juger les gens que sur leur comportement face à la mort.
Celui de Joseph Epstein, juif polonais venu se battre en Espagne et en France fut, devant ses bourreaux, exemplaire.
Ce livre poignant et lucide est un hymne à la vie. La vie et rien d'autre, pour reprendre le titre du beau film de Tavernier.
RC