Dans un supplément de la réédition DVD, Daniel Costelle reconnait n'avoir abordé, avec les deux auteurs-producteurs des
Grandes Batailles, que l'histoire événementielle
militaire de la Seconde guerre mondiale. Il faut rappeler que dans les années 1960 et 1970, quand l'équipe réalisa cette série devenue depuis culte, les questions centrales (socio-politiques) sur la nature du nazisme et sur la personnalité d'Hitler n'étaient pas encore étudiées sérieusement par les chercheurs. Quant au ton général dans les médias de l'époque, c'était, grosso modo, celui que l'on entendait sur le plateau des
Dossiers de l'écran.
Le besoin de comprendre ce qui poussa le peuple d'un des pays parmi les plus développés de la première moitié du XXe siècle à plébisciter un régime dictatorial absolu et raciste est assez récent. Ce sont les enfants et les petits-enfants des contemporains de la deuxième guerre mondiale et de la Shoah qui voulurent comprendre. La démarche de Costelle et Clarke avec
Eva Braun dans l'intimité d'Hitler comble certains "trous" des
Grandes Batailles.
Ce documentaire remarquable - et remarqué lors de sa diffusion par TF1 - est constitué uniquement de séquences tournées par celle qui fut le secret de polichinelle des premiers cercles nazis, Eva Braun, qui exprimait des velléités de réalisatrice*. Pour monter leur projet, les deux auteurs disposaient d'un matériel cinématographique initial d'une bonne qualité technique, ce qui élimina heureusement la tentation de la reconstitution qui alourdit tant de docus historiques. Le montage et le commentaire - très bien posé par Richard Berry, un excellent choix - sont exemplaires car totalement dénués de l'espèce de fascination morbide émanant de certaines productions récentes qui jouent sur la proximité créée par les couleurs des archives. Ici, si la proximité est réelle, elle ne provoque chez le spectateur aucune sorte d'ambiguïté ou d'empathie. Au contraire, la banalité même des scènes tournées par Eva qui capta certains aspects de la vie bourgeoise, voire petite-bourgeoisie, des dignitaires du Reich autour de leur Führer, rend ses images plus glaçantes, plus terribles encore. Le contraste est frappant entre le mode de vie des chefs nazis et les conséquences des décisions prises et des ordres donnés au cœur des montagnes bavaroises. Car c'est sur l'Obersalzberg que Hitler décida l'extermination des juifs d'Europe occupée par ses armées. Une séquence (muette) confirme le fait : on y voit Heydrich et Himmler discuter sur la terrasse de la "solution du problème juif". Un spécialiste a pu lire sur les lèvres des deux chefs SS.
A ce propos, il faut encore souligner l'apport important de l'historien et biographe François Delpla qui fut le consultant pour la production. Son apport et son exigence se font sentir dans la qualité générale du commentaire, une qualité historienne qui place ce film au-dessus des productions récentes sur la vie privée d'Hitler.
RC
* Eva était jalouse de l'intérêt provoqué par Leni Riefenstahl chez Hitler.