André GIRARD (avec la collaboration de Robert HERVET) - Le temps de la méprise, Ed. France-Empire, 1965, 19x14 - 284 p.
Pendant l’occupation, André Girard a été membre du réseau Alliance et chef de la région Centre-Ouest qui comprenait quinze départements. Dans ce livre, il raconte ses souvenirs depuis 1940 jusqu'à la libération. C'est d’abord Dunkerque où il est grièvement blessé et fait prisonnier, puis la captivité au stalag VI A, la vie au camp les projets d’évasion - il ne se résigne pas à rester immobile et inutile dans un camp de prisonniers-, la première évasion manquée, les représailles en prison et au camp de Versen. Enfin, il réussit à se joindre à un convoi de prisonniers qu’on rapatrie en France en juillet 1941. Il s’échappe à la gare de Dijon, passe en zone sud, gagne Lyon (août 41) puis Toulouse.
Il retourne dans l’administration des tabacs et est finalement nommé à Brive-la-Gaillarde en juin 1942. La grisaille de la vie administrative le fait rêver d'aventures, de combats : il songe à rejoindre l’Angleterre via l'Espagne.... Mais une occasion s’offre à lui de se rendre utile en France même : un de ses chefs de service, l’ingénieur en chef Marcel Lemoigne, le fait entrer à Alliance. Peu à peu, et surtout à partir du printemps 1943, il entre en rapport avec les principaux agents du réseau de la région du centre où il peut circuler sans trop attirer l’attention de l’ennemi à cause de son métier. Il est chargé ensuite de missions plus lointaines (Toulouse, Toulon...) et est mis avec plus de précision au courant des activités, des difficultés, des besoins du réseau. Il fait connaissance avec les responsables régionaux (comme Triton et Pétrel) qui, les uns après les autres, partent... ou disparaissent et qu’il faut remplacer. André Girard est chargé, en octobre 1943, de 7 départements, puis, en janvier 1944, de toute la région Centre-Ouest qu’il doit réorganiser et dont il gardera la direction jusqu’à la libération.
Il est ainsi amené, d’une part, à exposer dans ses grandes lignes, l’organisation de sa région à travers le pseudonyme des chefs des secteurs et l’initiale de code (AB, AC, AK) des agents, et, d’autre part, à raconter les aventures nombreuses, parfois romanesques, souvent dramatiques, qui sont arrivées à lui et à ses amis au cours de ces longs mois de lutte où ils circulaient sur les routes encombrées de convois allemands. Personnellement, il se tire toujours d’affaire puisqu’il peut montrer, pour justifier ses déplacements, des papiers officiels. Mais un grand nombre de ses amis sont arrêtes, fusillés, déportés. Il donne en fin de volume la liste de ceux des membres d’Alliance avec lesquels il a été en rapports ainsi que leurs pseudonymes.
La libération acquise, ce fut pour André Girard le dernier acte, un acte de tragi-comédie, qui lui parut particulièrement amer et qui justifie le titre de son livre : « Le temps de la méprise ». Alors qu’il avait échappé à la Gestapo, il fut, en effet, arrêté, dans la Haute-Vienne, par un groupe de maquisards F.T.P. qui le prirent pour un milicien et manifestèrent l’intention de le fusiller. En vain, André Girard demanda à parler à Georges Guingouin, chef des F.F.I. de la Haute-Vienne. Le malentendu se prolongeait et devenait angoissant lorsque Girard fut mis en présence de résistants qui le connaissaient bien et qui intervinrent en sa faveur. André Girard put alors faire prévenir Londres par radio et le Colonel Hervé, chef de l’A.S. de Corrèze. Après une brève - et peu cordiale ! - entrevue avec Guingouin, André Girard fut libéré, mais cet incident lui gâcha la joie de la libération.
Y eut-il volonté de Guingouin et des F.T.P. de faire disparaître un membre d'un réseau non communiste ? Y eut-il seulement une lamentable méprise ? La clandestinité engendrait la méfiance, les miliciens étaient justement haïs, et on en voyait partout... En outre, des rivalités existaient entre maquis voisins, d’origine différente, et aux rivalités locales s’ajoutaient les rivalités politiques.
Libre de nouveau, André Girard rejoignit à Paris Marie-Madeleine Fourcade, chef du réseau, rentrée d'Angleterre, et ses autres camarades d’Alliance. Il fut chargé de missions dans l’Est où se déroulaient les dernières opérations de la guerre : il alla ainsi à Thionville, à Trèves. L’armistice l’empêcha d’exécuter la dernière mission qu’on lui avait confiée : un parachutage en Bavière.
L’ouvrage d’André Girard est très intéressant pour l’histoire du réseau Alliance et, par suite, pour l’histoire de la Résistance : il donne un aperçu très vivant des difficultés journalières rencontrées par les clandestins : difficultés des liaisons, insuffisance des appareils et des opérateurs radio, manque de moyens de communication. Dans le secteur d’André Girard, à cause du passage continuel des troupes allemandes qui refluaient vers le Nord au cours de l’été 1944, les déplacements étaient de plus en plus compliqués sur les routes barrées de troncs d'arbres, où l’on rencontrait tour à tour des détachements allemands et des groupes de maquisards également méfiants, si bien qu'il fallait un double jeu de papiers : un laissez-passer (vrai) pour montrer aux maquisards et des cartes d'identité (fausses) pour montrer aux troupes allemandes.