Bonjour !
L'opposition entre droit et justice est ancienne et bien connue.
Certaines instances, non constituées de juristes professionnels, jugent "en équité" et non "en droit" (cela se rencontre souvent dans les cas d'arbitrage).
L'équité est ce que l'on pourrait appeler la justice "naturelle", fondée sur la morale et considérée indépendamment du droit, entendu, lui, comme l'ensemble des règles juridiques en vigueur.
Cette distinction entre droit et équité établit une différence qui trouve son expression dans de nombreux cas où des décisions de justice, parfaitement conformes au droit, sont néanmoins parfaitement injustes.
Dans un classique destiné au large public, "Les Erreurs judiciaires", René Floriot, qui fut ce que l'on appelle un "ténor du barreau", consacre toute la fin du dernier chapitre à l'exposé de cas où le droit est directement contraire à la justice (le livre, un peu ancien, date de 1968 ; dans l'édition de poche "J'ai lu", le passage se trouve aux pages 359 et suivantes).
Aussi bien le droit est-il sujet à des modifications périodiques, qui, dans les sociétés de type libéral, sont destinées à le rapprocher, au moins théoriquement, de la justice.
Il ne faut donc pas confondre ce qui se présente comme le droit (le "rechtsförmig" du texte allemand) et ce qui est la justice.
Les humanistes que j'ai évoqués placeront évidemment la justice avant le droit. Les procéduriers feront le contraire, en assimilant d'ailleurs l'un et l'autre : c'est la loi, donc c'est juste.
Dans le domaine qui nous intéresse, ici, l'Histoire, il est évidemment catastrophique de confondre l'instance juridique et l'instance historique, qui ne fonctionnent absolument pas selon les mêmes règles
Et il n'y a en principe pas lieu, pour l'historien, de se dessaisir de son devoir professionnel et moral de défendre la vérité historique en faveur des juges, qui ne sont nullement armés pour cela.
Il est curieux de constater que la "loi Gayssot" est défendue par des non historiens, alors que la grande majorité des historiens y est absolument opposée. Non par indulgence envers les négationnistes, mais parce que ces historiens perçoivent bien le risque d'instauration de vérités d'Etat, avec toutes les conséquences que cela peut impliquer.
Je citerai simplement Guy Pervillé, historien de l'Algérie :
"On sait en effet que la loi Gayssot a fait un délit du « révisionnisme », en punissant la négation du génocide perpétré par l'Allemagne nazie contre les juifs, au nom de la vérité dûment établie par les travaux des historiens spécialistes de la question. Bien que cette loi prétende ainsi consacrer et défendre la vérité historique, elle a suscité un malaise chez les historiens (même les plus hostiles à la propagande négationniste) qui craignent une confusion des rôles entre l'histoire et la justice, aboutissant à faire définir la vérité par les tribunaux."
Source :
En fait, cette citation est aussi l'occasion d'attirer l'attention sur le texte (inédit) dont elle est tirée, "Réflexions sur la réévaluation du bilan de la guerre d'Algérie", texte fort intéressant, dont on voit bien certaines limites, mais dont il ne faut pas oublier non plus qu'il a été crânement présenté dans des conditions a priori peu favorables.
Cordialement
Srdjan