1940-1942. Priorité au sauvetage des Juifs français « de souche » - Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I - forum "Livres de guerre"
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Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I / Marc-André Charguéraud

 

1940-1942. Priorité au sauvetage des Juifs français « de souche » de F.Deleu le samedi 03 juin 2023 à 16h22

Dans son article de ce mois de juin, Marc-André Chargueraud nous propose un éclairage précis sur le sort des Juifs, Juifs «de souche» et Juifs étrangers.

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Les chiffres sont éloquents : 10% des Juifs « français de souche » ont été déportés alors que pour les Juifs étrangers, le pourcentage s’élève à 28%.[1]. Echanger la vie des uns contre celle des autres n’est-elle pas une démarche infâmante pour la France ? Encore faut-il examiner les circonstances de ce « sauvetage privilégié ». [2]
1940-1942. Priorité au sauvetage des Juifs français « de souche »

Jusqu’à l’occupation, en novembre 1942, de la zone libre par la Wehrmacht, l’Etat français par ses déclarations et ses interventions auprès des Allemands a rassuré les Juifs français. Vichy ne s’emploie-t-il pas à les sauver de l’arrestation et de la déportation ? Le 10 mars 1941, l’amiral Darlan, premier ministre, précise au pasteur Boegner, président de la Fédération protestante de France, la politique suivie par son gouvernement : « Les étrangers, je veux que la France en soit débarrassée. Les naturalisés de fraîche date, qu’on les renvoie, je ne demande pas mieux. Enfin les vieux Juifs français (...) nous ne voulons pas qu’on les maltraite ».. [3]

Quelques mois plus tard, le 25 juin, Darlan déclare : « Tout doit être mis en œuvre pour le départ des Juifs à l’étranger ». [4] Quelques jours avant le retour de Laval, le 14 avril 1942, Darlan évoque la possibilité de « transférer en Algérie un nombre important d’Israélites étrangers se trouvant actuellement en zone libre ». [5] Clairement le Premier ministre a décidé d’expulser de France les Juifs étrangers et pour faire bonne mesure y ajoute les Juifs récemment naturalisés. Vichy introduit ainsi une catégorie de citoyens français dont il est désireux de se débarrasser. Une discrimination indigne parmi ses propres citoyens. Elle prépare leur livraison aux nazis.

Envers les Juifs français de souche la politique de Vichy reste très ambivalente. Dès le 3 octobre 1940, la loi sur le statut des Juifs les exclut de tout poste de commande dans la fonction publique et des activités culturelles susceptibles d’exercer une influence sur l’opinion publique française. Elle restreint leur participation aux professions libérales. Les Juifs sont brutalement et arbitrairement exclus de leur emploi et perdent leurs moyens de vivre et leur dignité. Ce sont bien les Français « authentiques » mais de « race juive » qui sont visés. Les étrangers et les naturalisés récents n’occupent pas encore de telles fonctions.

La loi du 22 juillet 1941 rend la situation encore plus intenable. Elle étend à la zone libre l’aryanisation, la confiscation de toutes les entreprises et de tous les avoirs juifs. Des administrateurs provisoires prennent la gestion de tous leurs actifs. [6] Ayant déjà perdu leur emploi, les Juifs sont dépossédés de tous leurs biens. Une fois encore ce sont les Juifs français de souche, les seuls avec quelques biens, qui sont visés. Ils deviennent des parias mis au ban de la société, des morts économiques.
Vichy justifie la confiscation des biens aryens pour éviter la mainmise des Allemands sur les entreprises juives et leur liquidation au profit du Reich. Bel exemple de défense des intérêts français qui pour les Juifs ne change rien. Qu’ils soient spoliés par les Allemands ou par les Français, le résultat est le même, ils sont plongés dans la misère. Vichy qui prétend les protéger les rend plus vulnérables car largement privés de leurs moyens d’existence.

L’année 1942 est celle où arrestations et déportations de Juifs sont de loin les plus nombreuses. [7] Cette année-là, Pierre Laval, redevenu Premier ministre, assisté de René Bousquet, le chef de sa police, négocie à plusieurs reprises avec les Allemands la sauvegarde de Juifs français. Il est temps, car le 12 décembre 1941, la Feldgendarmerie assistée par la police française a déjà arrêté à Paris 743 Juifs presque tous Français de souche de milieux aisés. [8] Nombre d’entre eux figurent parmi les 1 112 Juifs déportés dans le premier convoi qui part pour les camps de la mort le 27 mars 1942. [9]

Il résulte de ces négociations un sauvetage à un prix moralement inacceptable. Les Juifs français de souche sont épargnés en échange de la livraison par Vichy des Juifs étrangers. Sur les 12 800 Juifs arrêtés avec la collaboration de la police française pendant la rafle dite du Vel d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942 aucun n’est Juif français, tous sont étrangers. Lorsque pendant l’été qui suit Laval livre aux Allemands 10 500 Juifs de la zone libre française on ne compte pas un seul Juif français parmi eux. [10]

Vichy livre volontairement de son territoire non occupé des étrangers qui fuyant leurs persécuteurs y ont cherché refuge. Cette infamie a parfois été justifiée en citant l’article 19 de la Convention d’Armistice de 1940. Celle-ci stipule que « le Gouvernement français est tenu de livrer sur demande tous les ressortissants allemands désignés par le Gouvernement du Reich ». Or il ne s’agit pas ici de personnes « désignées » mais d’un groupe de personnes. [11] De plus parmi les 10 500 Juifs étrangers déportés le plus grand nombre ne sont pas des ressortissants allemands, mais polonais, apatrides, hollandais etc... Peu importe, pour Laval il s’agit d’abord de se débarrasser le plus vite possible des Juifs étrangers.

Le 27 août, Laval confirme à Mgr Rocco, secrétaire de la Nonciature, « sa résolution inébranlable de remettre à l’Allemagne tous les Juifs non-français, c’est-à-dire ceux venus dans notre pays des pays de l’Est au cours des dernières années. » [12] Pourtant Laval, s’il n’a pas connaissance des camps d’extermination, en sait assez sur le destin tragique que les nazis réservent aux Juifs qu’ils considèrent comme leurs pires ennemis. Il ne tient aucun compte d’une note du 25 août dans laquelle le Consistoire adjure le gouvernement de mettre fin à ces déportations. Ce rapport souligne que le gouvernement est au courant du sort réel des déportés puisqu’il les a rassemblés « sans aucune discrimination quant à leurs aptitudes physiques », ce qui prouve bien « que ce n’est pas en vue d’utiliser les déportés comme main-d’œuvre que le gouvernement allemand les réclame, mais dans l’intention bien arrêtée de les exterminer impitoyablement et méthodiquement ». [13]

Le 25 septembre 1942 Laval intervient une dernière fois en faveur des Juifs français ainsi que l’explique Helmut Knochen, le chef de la Gestapo en France à Karl Eichmann, le Reichsführer SS. « On a tenté d’obtenir également l’arrestation de Juifs de nationalité française. La situation politique et la position du Président Laval font qu’il n’est pas possible de s’en prendre à cette catégorie sans tenir compte des conséquences que cela peut entraîner dans le pays ». Eichmann décide alors que « pour l’instant on n’arrêtera pas de Juifs de nationalité française ». [14]

En donnant la priorité au sauvetage des Juifs français de souche, Vichy a contribué au sauvetage de 90% d’entre eux. Mais le prix à payer, la livraison aux Allemands des Juifs étrangers réfugiés en France n’est pas acceptable. Troquer la vie des uns contre celle des autres constitue une démarche infâmante pour la France. D’autres facteurs ont joué un rôle déterminant dans le sauvetage des Juifs français.

L’existence même de la zone libre pendant deux années les a mis à l’abri des nazis. La centaine de milliers de Juifs venus de la zone occupée ont ainsi échappé aux rafles désastreuses de l’année 1942. Ce sont presque tous des membres de la classe juive aisée qui ont eu les relations et les moyens de fuir la zone occupée. A l’occupation de la zone libre nombre d’entre eux pourront passer dans la clandestinité pour échapper à la Gestapo. Typiquement le Juif polonais, récemment arrivé et qui travaille au fond d’une mine de charbon, ou est assis 15 heures par jours devant sa machine à coudre dans le sous-sol d’une arrière- cour rue des Rosiers à Paris, a dû rester sur place et est devenu la proie facile de la Gestapo.

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève 2023
________________________________________

[1] KLARSFELD. 2001, volume 3. p. 1921. GUTMAN. p.1799. Les Juifs français par naturalisation ou par naissance en France de parents étrangers sont considérés comme étrangers par les autorités d’occupation comme par Vichy.
[2] Sur une population totale de 330 000 personnes, 90 000 étaient des Juifs français de souche et 240 000 Juifs étaient considérés comme étrangers. 9 000 Juifs français et 67 000 Juifs étrangers ont été déportés.
[3] BOEGNER, p. 86.
[4] KASPI, p.144.
[5] KLARSFELD.1983, p. 49.
[6] KASPI, p. 117. WELLERS, p. 52.
[7] IBID, note p. 207. 41 951 Juifs de France sont déportés entre le 27 mars et le 11 novembre 1942 soit 60% de tous les déportés pendant toute l’occupation.
[8] IBID, p. 42.
[9] IBID, p. 43.
[10] Les enfants de Juifs étrangers, Français car nés en France, suivent le sort de leurs parents.
[11] BOEGNER, p. 209. Huntzinger protestant contre la clause 19, Keitel lui répondit « Je comprends votre position. Je tiens à vous déclarer, et vous pouvez prendre acte de ma déclaration, que nous ne réclamerons que des individus s’étant rendu coupables d’excitation à la guerre. Leur nombre devrait donc être très limité. »
[12] KLARSFED 2001, volume 3, p. 872. Compte rendu envoyé au cardinal Maglione à Rome.
[13] KLARSFELD, 1983, p. 157.
[14] KLARSFELD, 2001, vol. 3, p. 1156, 25 septembre 1942.

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