Raymond Raoul Lambert « un lâche et un traître ! » 1941-1943 - Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I - forum "Livres de guerre"
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Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I / Marc-André Charguéraud

 

Raymond Raoul Lambert « un lâche et un traître ! » 1941-1943 de Francis Deleu le lundi 29 juin 2015 à 16h17

Bonjour,

Marc-André Charguéraud nous propose ce mois un article qui tente de rééquilibrer la controverse qui règne au sujet du rôle de Raymond Lambert en tant que président de l’UGIF en zone-sud.

********************
Raymond Raoul Lambert « un lâche et un traître ! » 1941-1943

Le patron de l’UGIF-Sud vilipendé par des contemporains et des historiens.
Pendant l’occupation, les organisations juives de gauche condamnent unanimement l’Union Générale des Israélites de France (UGIF) dont les présidents sont en zone Nord – André Baur –, et en zone Sud, – Raymond-Raoul Lambert –. Pour les socialistes du Bund, la réponse à l’UGIF: « C’est non ! Mille fois non….que les bourreaux fassent eux-mêmes leur travail » (1). La condamnation des Juifs communistes est simple et directe. L’UGIF est « une communauté imposée par l’ennemi qui doit être combattue » (2). 

Plus tard les accusations de nombre d’historiens restent fermes et sans appel. « Une coopération avec un gouvernement antisémite est ipso facto un acte de trahison contre les communautés juives » (3). « Les hommes et les femmes restés aux commandes de ce véritable Judenrat (l’UGIF) étaient surtout des lâches » (4). Les dirigeants de l’UGIF « ont accepté de mettre la main dans l’engrenage sans deviner que la plupart d’entre eux y perdront leur vie et leur âme » (5). 

L’establishment juif que personnifie le Consistoire Central se joint à ces critiques. Jacques Helbronner, son président, n’admet pas la participation de Lambert à l’UGIF. Un fossé se creuse entre les personnalités. Un écrit de Lambert en souligne la profondeur. « Ils (les dirigeants du Consistoire) ont préféré leur confort à l’incertitude et à l’héroïsme de la lutte (...) Il est plus facile de protester et de s’abstenir que se maintenir en agissant. ( ...) Nous avons préféré l’héroïsme du doute et de l’action, la réalité de l’effort » (6). 

Il faut attendre janvier 1943 pour que Helbonner cite « le dévouement inestimable » de Lambert et lui ouvre les portes du Consistoire. L’ampleur de la tragédie met un terme aux rivalités personnelles. Après l’arrestation de Lambert, Helbronner va plus loin, il juge impérative sa libération et celle d’André Baur, «car sans eux il n’y a rien à faire » (7). 

Avec une belle unanimité, « les grandes organisations américaines, la YMCA, les Unitariens mais aussi la Croix-Rouge, les protestants et les catholiques » poussent Lambert à accepter la direction de l’UGIF (8). Tout aussi importante car elle est une des principales sources de financement, l’American Jewish Joint Distribution Committee (JOINT), la grande association caritative américaine, a insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de créer un organisme unique qui s’occuperait de l’ensemble des problèmes sociaux des Juifs de France (9). Elle manifestera sa confiance à Lambert en lui demandant en novembre 1942 d’être son directeur pour la France (10). 

Plus important encore, les dirigeants des principales organisations caritatives juives rejoignent l’UGIF-Sud. Qu’il s’agisse de la Société pour le Développement du Travail parmi les Juifs (ORT), de l’Oeuvre de Secours aux Enfants (OSE), du Comité d’Assistance aux Réfugiés (CAR), des Eclaireurs Israélites de France (EIF), de la Fédération des Sociétés Juives de France (FSJF) ou d’autres (11). Lambert a obtenu que ces œuvres puissent être gérées de façon indépendante, sans la présence de commissaires aryens (12). L’UGIF-Sud opère sous l’autorité de Lambert comme une Fédération des anciennes organisations juives, chacune gérant ses propres structures et suivant ses propres politiques comme par le passé. 

La loi du 29 novembre 1941 ayant dissous toutes les associations juives, il ne leur restait qu’une alternative. Elles ont choisi l’UGIF-Sud plutôt que d’entrer en clandestinité. Un soutien inestimable et une approbation de l’action de Lambert. On devrait parler ici de semi-clandestinité. Après les grandes rafles de l’été 1942, ces organisations, tout en conservant la couverture, le parapluie légal de l’UGIF, ont multiplié les activités clandestines. Le cas de l’OSE est exemplaire.

Près de 1 500 enfants se trouvent fin 1942 dans les maisons officielles de l’OSE en zone Sud. La zone libre est alors occupée et il devient urgent d’évacuer de ces centres les enfants exposés aux rafles allemandes. Ils ne sont plus que 450 à la fin 1943 (13). Un rapport de l’OSE du 30 mars 1944 précise que « la liquidation des homes d’enfants est terminée. Tous les enfants ont pu être mis en lieu sûr. Depuis octobre, plus de 1000 enfants ont été transférés en placements familiaux (clandestins) » (14). Cette soustraction de victimes potentielles est considérée par la Gestapo comme un acte de résistance punissable. Il est strictement interdit. Pour les Allemands le responsable au plus haut niveau c’est Lambert, patron de l’UGIF-Sud dont l’OSE dépend. Alors peut-on le qualifier de « traître » ?

Un reproche revient constamment : les bureaux de l’UGIF sont autant de souricières pour le personnel que pour les Juifs qui y viennent pour trouver de l’assistance. Et l’on cite la descente meurtrière de la Gestapo dans les bureaux de l’UGIF à Lyon, le 9 février 1943. 84 personnes sont arrêtées. Il convient de préciser que dans ces bureaux la Gestapo, informée à l’avance, découvre un stock de fausses cartes d’identité et des documents sur des filières d’évacuation vers la Suisse (15). C’est avant tout l’activité de résistance de l’UGIF qui est visée.

Lorsque l’on parcourt les « Carnets » de Lambert on est surpris du nombre de ses interventions auprès des autorités de Vichy ou d’instances allemandes afin d’éviter des arrestations ou de sauver des détenus. Largement plus d’une centaine. Serge Klarsfeld qui a étudié en profondeur la situation pose la question : « Combien de Juifs doivent leur arrestation à leurs relations avec l’UGIF et combien doivent leur survie à l’activité de l’UGIF ? » Et donne la réponse : « Il nous paraît au total que l’UGIF a aidé incomparablement plus de Juifs à préserver leur liberté et leur vie qu’elle n’a contribué à en conduire à Drancy » (16). Un satisfecit pour Lambert et les autres dirigeants de l’UGIF.

Lambert est conscient des risques qu’il prend. Il reste parfaitement lucide. Il écrit le 18 février 1942 : « Je ne vois pas la paix en Europe avant l’automne 1943. Aurons-nous la force physique d’attendre ? » (17). Le 7 décembre 1942 : « La guerre durera-t-elle assez longtemps pour qu’on nous déporte en Pologne ? » (18). Le 9 juillet 1943 : « Tout le monde croit que la guerre finira avant l’hiver. Je le souhaite de toute mon énergie, car je doute pouvoir échapper à l’esclavage plus de six mois encore. Quelle angoisse ! » (19). Quelques jours avant son arrestation, il écrit : « Aujourd’hui, je fais partie des corvéables et des déportables à merci » (20). 

Alors qu’il tremble devant l’adversité, Lambert se refuse à fuir. « A l’heure du plus grand danger », on ne quitte pas l’Union, « mon devoir est de rester aux commandes le dernier ». Il se refuse à imiter son président Albert Lévy qui, craignant d’être arrêté, est passé en Suisse à la fin 1942 (21). Un modèle de courage qui s’accommode mal du qualificatif de « lâche. »

Lambert redéfinit à plusieurs reprises la ligne de conduite qu’il a toujours suivie. « Nous ne sommes que des travailleurs sociaux qui acceptent, pour le bien des malheureux, d’administrer les Oeuvres en liaison avec les autorités » (22). Un « collaborateur » comme ses détracteurs l’en accusent ? Les Allemands eux-mêmes apportent une réponse négative définitive à cette accusation en le déportant vers la mort avec sa femme et ses enfants. 

A l’inverse des dirigeants du Conseil juif hollandais, Lambert n’a jamais sélectionné, convoqué, recommandé de se plier aux directives, préparé les départs des Juifs à déporter. Il a au contraire, comme on l’a vu, soustrait de nombreux enfants juifs à la déportation et couvert des actes de résistance. Cela, les nazis ne le lui pardonneront pas. Les Hollandais seront arrêtés, car leur travail est achevé. Mais les Allemands satisfaits de leur collaboration les laisseront survivre dans un camp où ils sont privilégiés. Les Français, considérés comme des rebelles, seront déportés et assassinés, ce sont des opposants qu’il faut éliminer. Quelle meilleure réponse que celle des Allemands eux-mêmes peut-on apporter aux détracteurs de Lambert ?



(1) RAYSKI Adam, Le choix de Juifs sous Vichy. Entre la soumission et la résistance, Editions de la Découverte, Paris, 1992, p. 83. Dans le journal clandestin Unzer Kamf.
(2) Unzer Wort, en juin 1942.
(3) COHEN Richard, The Burden of Conscience. French Jewry’s Response to the Holocaust, Indiana University Press, Bloomington, 1987, p.135.
(4) RAJSFUS Maurice, N’oublie pas le petit Jésus. L’Eglise catholique et les enfants juifs, Editions Maya, Levallois-Perret, 1994, p. 163. 
(5) KASPI André, Les Juifs pendant l'Occupation, Seuil, Paris, 1991. p. 333. 
(6) LAMBERT Raymond-Raoul, Carnet d’un témoin, 1940-1943. Présenté et annoté par Richard Cohen. Fayard, Paris, 1985, p. 238. 
(7) COHEN Richard, in LAMBERT 1985, op. cit. p. 58. Helbronner et sa famille seront déportés vers la mort quelques semaines plus tard.
(8) LAMBERT 1985, op.cit. p. 152. YMCA : Young Men Christian Association.
(9) SCHWARZFUCHS Simon, Aux prises avec Vichy. Histoire politique des Juifs de France (1940-1944), Calmann-Lévy, Paris, 1988, p. 156. Le JOINT pense alors à un regroupement des associations juives de secours volontaire non imposé par le pouvoir. 
(10) LAMBERT 1985, op. cit. p. 198.
(11) KLARSFELD Serge, Vichy-Auschwitz. Le rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France 1943-1944, Fayard, Paris, 1985, p. 28. Activité des organisations juives sous l’occupation 1947, p. 54 et 140.
(12) LAMBERT 1985, op. cit. p. 152.
(13) POZNANSKI Renée, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Hachette, Paris, 1997, p. 475 et 476. 
(14) KLARSFELD Serge, La Shoah en France. vol. 4, Le mémorial des enfants juifs déportés de France, Fayard, Paris 2001, p. 111 et 106. Principal échec, le 20 octobre 1943 à Marseille au Centre de la Rose à la Verdière, la Gestapo arrête et déporte 28 enfants et 9 mères. Le foyer d’Izieu où 44 enfants sont raflés en avril 1944 ne dépendait pas de l’OSE. (Voir l’article à ce sujet dans le premier volume.)
(15) L’activité des organisations juives sous l’occupation, 1947, p. 231. KLARSFELD 1985, op. cit. p. 26. KLARSFELD 2001, op. cit. p. 103. Les Français ont dénoncé à la Gestapo les activités clandestines de l’UGIF.
(16) KLARSFELD 1985, op. cit. p. 171.
(17) LAMBERT 1985, op. cit. p. 154.
(18) Ibid. p. 201.
(19) Ibid. p. 233.
(20) Ibid. p. 235. Journal daté du 17 août 1943.
(21) COHEN 1985, op. cit. p. 47. Comme plusieurs autres dirigeants de l’UGIF.
(22) LAMBERT 1985, op. cit. p. 168. Journal du 25 mai 1942.

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