L’histoire doit-elle être consensuelle ? L’exemple du tournant de 1940 - Site personnel de F. Delpla, Historien 1939-45 - forum "Livres de guerre"
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Site personnel de F. Delpla, Historien 1939-45 / François Delpla

 

L’histoire doit-elle être consensuelle ? L’exemple du tournant de 1940 de françois delpla le vendredi 17 avril 2015 à 10h02



Lettre d'information N° 108 du site de François Delpla




Prenons une question cruciale : la continuation de la guerre par le Royaume-Uni après la défaite de la France.

Qu’en est-il fin mai 1940, au moment de Dunkerque, l’armée française ayant été coupée en deux après la percée allemande des Ardennes, depuis Sedan jusqu’à la mer ? Qu’en est-il fin juin, après l’armistice franco-allemand ?

Le choix de ne pas s’incliner, conforme aux meilleures traditions du pays, pouvait en outre être présenté comme une réplique exacte de celui de Pitt face à Napoléon –un précédent dont Churchill allait se réclamer souvent. Il s’ensuivit un premier consensus, la victoire de 1945 aidant, ainsi que la défaite électorale qui avait laissé à Churchill les loisirs nécessaires pour se faire le héraut de son épopée : la France décadente et mal commandée, tant militairement que politiquement, avait plié mais la fière Angleterre, après avoir tardé à se mobiliser devant le danger,
comme souvent,
avait relevé le défi sans un instant d’hésitation,
comme toujours.
La sous-estimation récurrente de Hitler depuis 1920 contribuait à verrouiller la réflexion -et la voix de la France, engoncée dans les séquelles de son désastre, restait inaudible.

Un naïf pourrait croire que le surgissement, en 1971, des archives du cabinet britannique, révélant le jeu personnel du ministre des Affaires étrangères Edward Halifax et sa préférence pour une paix de compromis, allait obliger chacun à réexaminer toute l’affaire. D’autant qu’après la disparition dans les années précédentes des grands premiers rôles anglais, français et suédois (Churchill, de Gaulle, Reynaud, Daladier, Baudouin, Günther et Nordling), un nombre impressionnant de dirigeants haut placés, ou de sous-ordres connaissant parfaitement les coulisses, pouvaient encore commenter les stupéfiantes minutes des discussions du War Cabinet : Eden, Butler, Spears, Colville, Courcel, Leca, Margerie, Villelume, Leger, Prytz…

Or on n’importuna guère ces témoins dans leurs vieux jours et il ne se passa rien, pendant très longtemps. On vit même un auteur anglais publier en 1973 un florilège des délibérations du cabinet en omettant méthodiquement ce qui aurait contredit les mémoires de Churchill : ainsi la seule discussion un peu orageuse du cabinet britannique en 1940 reste, dans ce livre, celle qui avait opposé Churchill et l’air marshal Hugh Dowding au sujet de l’envoi d’avions à la France (*).

Un auteur américain longtemps solitaire, John Lukacs (né en 1924 et reconnu, surtout pour d’autres travaux, comme l’un des plus grands historiens vivants), eut le mérite de soulever la question en 1976 puis de l’approfondir à plusieurs reprises dans la décennie 1990. Sa grande notoriété assura une certaine audience à ses ouvrages sur le sujet. Du coup, les biographes de Churchill (Bédarida, Jenkins, Best, Kersaudy et d’autres) se mirent à évoquer cette crise en admettant plus ou moins clairement que leur héros avait failli perdre le pouvoir puis Ian Kershaw siffla, en 2007, la fin de la récréation, dans le premier chapitre de ses Fateful Choices / Ten decisions that changed the world 1940-1941. Churchill n’avait, d’après cette étude, jamais été menacé puisqu’il disposait d’une majorité arithmétique, Halifax étant seul de son avis parmi les cinq membres du cabinet. Le premier ministre avait laissé se dérouler la discussion pour observer les formes démocratiques et obtenir une décision unanime, Halifax se rendant finalement à des arguments plus rationnels que les siens.

En réalité le débat n’est pas clos. Ian Kershaw n’a pas réussi à conclure.

En fait de démocratie, Churchill avait étouffé la dispute en sonnant la charge au nom de l’état de guerre. Il s’était donné des armes juridiques pour arrêter les défaitistes (en faisant un exemple, le 23 mai, sur Mosley et sa poignée de fascistes) et avait tiré grand parti de la menace d’une invasion ; la querelle qui avait connu son acmé entre le 26 et le 28 mai n’avait précisément pas reçu de conclusion, mais avait été suspendue pour la durée de l’évacuation de Dunkerque… et n’avait jamais repris –mais Halifax avait continué d’adresser des oeillades aux Allemands par l’intermédiaire, notamment, de la Suède (télégramme de Prytz, 17 juin ).

A partir de cet exemple, il faut constater, une fois de plus, que l’histoire n’est pas une grand-messe consensuelle, ni un exercice de colmatage pour sauver les idées reçues, mais un regard critique, toujours mieux affiné, sur les justifications avancées par les acteurs de l’époque considérée. Le carburant de ce progrès ne saurait être la révérence devant une autorité, quelle qu’elle soit, mais le débat.

Je confirme et je maintiens qu’il y a bien eu un rapport de forces, difficile pour Churchill, au sein du cabinet britannique, au moment de Dunkerque puis de l’armistice franco-allemand. Churchill a bien failli perdre le pouvoir et le monde gagner la paix… nazie.

Les documents sont sur la table.


(*) cf. Parkinson (Robert), Blood, Toil, Tears and Sweat , Londres, 1973, ch. 2.
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Sur le site, je continue la revue de presse de mon livre sur le Troisième Reich en ajoutant surtout, cette fois-ci, une interview de moi-même par Raymond Serini dans le numéro actuel du magazine Histoire du second conflit mondial ; les questions témoignent d’une lecture fort attentive de l’ouvrage ; il est vrai que l’auteur n’en est pas à son coup d’essai comme en témoignent ses interviews mises en ligne, notamment celle-ci, concernant Leni Riefenstahl .

Je continue à refuser de toutes mes faibles forces l’étiquette d’ « intentionnaliste » que des myopes continuent de m’appliquer .

Je présente le deuxième livre d’Eric Kerjean, le pionnier qui a osé poser les bonnes questions sur l’attitude résistante de Canaris .

Je publie un nouvel article de Marc-André Charguéraud sur un sauvetage de Juifs polonais et sa reconnaissance différenciée : le Japonais Sugihara, déclaré « Juste », est encensé ; l’Américain Moses Beckelman, étant juif, ne peut l’être (Juste), ce qui n’est pas une raison pour qu’il soit oublié.

Je donne rendez-vous à mon public helvète, alpestre, rhodanien et plus si affinités au Salon du livre de Genève, les 2 et 3 mai. Je participerai notamment à un débat sur la « dédiabolisation du nazisme » organisé par le CICAD (Centre d’information de de coordination contre l’antisémitisme et les discriminations) le samedi à 14h.

Sur des sites amis les débats continuent, même si les historiens professionnels y sont encore trop rares. Qu'ils prennent modèle sur Bernard Costagliola, qui défend et affine les innovations de son livre sur Darlan . Sur Athena-vostok mes propres thèses entraînent des réactions variées . Si une certaine discussion sur Nonfiction.fr semble avoir tourné court, il y a de plus en plus d’échanges intéressants dans les commentaires de livres sur Amazon. J’en ai mis quelques-uns en ligne, à propos de la folie de Hitler .

Sur le même sujet, j’ai publié un résumé des discussions sur l’œuvre encore trop méconnue de Rudolph Binion .


Que le soleil de ce printemps soit régénérant pour les corps et les esprits !


Montigny-les-Cormeilles, 17 avril 2015

fdelpla


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