Devait-on bombarder Auschwitz ? 1944 - Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I - forum "Livres de guerre"
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Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I / Marc-André Charguéraud

 

Devait-on bombarder Auschwitz ? 1944 de Francis Deleu le vendredi 03 octobre 2014 à 12h14

Bombarder ou non Auschwitz est encore aujourd’hui sujet à de nombreuses controverses. L’article que Marc-André Charguéraud nous confie ce mois-ci apporte un nouvel éclairage inspiré par de nombreuses sources.

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Devait-on bombarder Auschwitz ? 1944

Désaccords entre historiens.
Les Alliés refusent tout bombardement. Ils s’en tiennent à l’application d’une politique confirmée une fois de plus en février 1944 : « Il n’est pas envisagé que des unités des forces armées soient utilisées pour le sauvetage de victimes de l’oppression ennemie, sauf si de telles opérations de sauvetage sont le résultat d’opérations militaires dont l’objectif est la défaite des forces armées ennemies ».[1]

Des historiens ont mis cette politique restrictive des Alliés en accusation. L’un d’entre eux, Monty Penkower, affirme que : « Si l’ordre (de bombarder) avait été donné juste après que les câbles de Michael Weissmandel aient été transmis aux attachés militaires alliés à Berne, des milliers de vies innocentes auraient été sauvées. ( ...) Des milliers d’internés de Birkenau (Auschwitz) seraient morts, mais (...) les tueries en masse auraient cessé ». [2] Le rabbin Weissmandel, un Slovaque, est le premier le 16 mai 1944 à intervenir en demandant le bombardement de la voie ferrée menant de Hongrie à Auschwitz. [3] D’autres intervenants se font pressants dans les semaines qui suivent pour réclamer le bombardement du camp d’Auschwitz lui-même.

Des générations d’historiens ont polémiqué pour établir si techniquement les Alliés étaient à même d’effectuer en temps utile les bombardements souhaités. Des chapitres entiers ont été consacrés à ce sujet. Les uns détaillent comment il était possible de mettre en œuvre avec succès les moyens aériens dont disposaient les Alliés. [4] D’autres expliquent avec une minutie d’expert rigoureux les difficultés logistiques insurmontables d’une telle entreprise. [5] Les débats et les confrontations entre historiens militaires s’éternisent sur un sujet qui est devenu un véritable mythe. Quelques repères historiques permettent d’y voir plus clair.

Le 24 juin 1944, John Pehle, patron de l’Agence pour les réfugiés de guerre à Washington (WRB), exprime des doutes : « N’est-il pas difficile de rendre la voie ferrée inopérante pendant un temps assez long pour que cela vaille la peine ? » [6] La réalité sur le terrain semble lui répondre affirmativement. Le 30 juillet 1944, 350 Juifs sont déportés par chemin de fer de la région de Toulouse. [7] 430 partent de Lyon le 11 août, 51 de Paris le 17 août. [8] Enfin le 22 août, c’est le tour de 70 Juifs de Clermont-Ferrand. [9] A la veille de la Libération de Paris, alors que la maîtrise totale de l’air appartient aux Alliés, et que les bombardements des voies ferrées à l’Est de la Seine sont massifs et incessants, les trains vers l’Allemagne circulent toujours et les déportations continuent sans relâche. N’en aurait-il pas été de même pour les voies ferrées menant de Hongrie à Auschwitz dont parle Weissmandel ?

En cas de rupture des transports ferroviaires, les Allemands ont une alternative : précipiter les Juifs sur les routes, dans des marches meurtrières. Ainsi, entre le 10 et le 22 novembre 1944, 40 000 Juifs hongrois sont envoyés à pied vers l’Autriche et les survivants vers les camps de Dachau et de Mauthausen. L’avance des troupes russes a interrompu tout trafic ferroviaire entre Budapest et Auschwitz. Eichmann se réfère à ces marches forcées lorsqu’il déclare : « Je voulais leur montrer que, quoi qu’ils fassent, rien ne pouvait les aider. Même les bombardements ne m’empêchaient pas de transférer les Juifs dans le Reich ». [10]

La solution est-elle alors de bombarder Auschwitz pour mettre hors service les chambres à gaz et les crématoires et arrêter les exterminations ? Les Alliés en ont-ils eu les moyens en temps utile ?
Jusqu’en 1944, la région des camps de la mort est trop éloignée de leurs bases pour être bombardée. La première opération aérienne qui passe à proximité du camp d’Auschwitz n’a lieu qu’en mai 1944. Partis d’Angleterre, des bombardiers accompagnés de chasseurs traversent l’Allemagne du Nord pour détruire des usines de pétrole synthétique. Ils doivent atterrir à Poltava en URSS, leur rayon d’action ne leur permettant pas un retour direct en Angleterre. [11]

On peut comprendre la priorité absolue donnée à ce type de missions sur tout sauvetage humanitaire. Elles permettent de réduire de 348 000 tonnes à 26 000 tonnes par mois la production de pétrole entre avril et septembre 1944. [12] L’asphyxie énergétique de l’Allemagne a accéléré de façon significative la fin de la guerre. Albert Speer, Ministre de l’armement du Reich, le reconnaît à son procès lorsqu’il déclare que « la production de nouvelles armes, avions à réaction, sous-marins au long cours, chars plus puissants, ne nous servait à rien sans carburant ». [13]

La seconde mission, le 21 juin, se termine de façon catastrophique. L’aéroport russe de Poltava, mal défendu, est attaqué par la Luftwaffe : 43 bombardiers B 17 et 15 chasseurs Mustang sont détruits au sol. [14] Pouvait-on pour bombarder Auschwitz risquer la destruction d’une autre importante flotte aérienne? Il faut attendre le 20 août 1944 pour que les Alliés soient en mesure, à partir de bases aériennes situées en Italie, de bombarder massivement les usines de caoutchouc et de pétrole synthétique de l’I.G. Farben situées dans le centre industriel d’Auschwitz III. [15]

Compte tenu du délai nécessaire pour l’organisation d’une opération aérienne lourde, le bombardement d’Auschwitz ne pouvait donc être envisagé que très tardivement, quelques semaines après le 20 août 1944. Les derniers gazages ont eu lieu le 28 novembre. Après cette date les Allemands ont démonté les installations pour essayer de camoufler leurs crimes. Dans le meilleur des cas les bombardements auraient suspendu ou ralenti le fonctionnement des installations de la mort pendant une période limitée à quelques semaines. Une période pendant laquelle l’activité meurtrière d’Auschwitz a été relativement faible. Plus de convois des pays libérés, à l’Ouest la France et la Belgique, à l’Est la Bulgarie et la Roumanie. En Hollande les déportations se sont pratiquement terminées en fin 1943. [16] La déportation de 430 000 Juifs hongrois vers Auschwitz s’est achevée le 9 juillet. [17]

Quel nombre de déportés aurait été sauvé par la destruction des chambres à gaz et des crématoires si tardivement ? Personne ne peut répondre. Il faut toutefois constater que les Allemands ont montré qu’ils avaient hélas d’autres méthodes d’extermination pour une population de quelques dizaines de milliers de personnes. Rappelons les 52 000 hommes, femmes et enfants de Kiev arrêtés et exécutés par balles les 29 et 30 novembre 1941 dans le ravin de Babi Yar. [18] Plus tard, l’opération baptisée « Fête de la moisson » offre un autre exemple de la capacité abominable d’extermination des nazis sans chambre à gaz. En une seule journée, le 3 novembre 1943, les SS fusillèrent 40 000 Juifs du camp de Maïdanek. [19] Dans ces conditions, l’arrêt des « tueries » par destruction des installations ne s’avérait-il pas trop aléatoire et insuffisant pour justifier de monter de lourdes opérations aériennes ?

L’exécutif de l’Agence juive réuni le 11 juin 1944 sous la présidence de David Ben Gourion conclut : « Le conseil exécutif estime que nous ne devons pas demander aux Alliés de bombarder des endroits où se trouvent des Juifs...»[20] Néanmoins, dans un mémorandum daté du 11 juillet 1944, Moshe Shertok, chef du département politique de l’Agence Juive, estime qu’un raid aérien aurait une signification considérable sur le moral, en apportant la démonstration sans équivoque que les Alliés n’étaient pas indifférents au sort des Juifs d’Europe, qu’ils étaient prêts à consacrer des ressources pour sauver des vies juives, à risquer la vie de leurs propres aviateurs pour cette cause. [21]

Le commentaire de Shertok est important et sa dimension morale essentielle. Mais peut-on au nom de la morale recommander une action avant tout symbolique si elle met en jeu la vie de ceux qui y participent ?

Quelques historiens estiment que ces bombardements, à défaut de stopper les opérations meurtrières, auraient permis à de nombreux détenus de fuir. Mais, pour l’historien Michael Marrus, les résultats des soulèvements qui eurent lieu dans les camps auguraient mal d’évasions à la suite d’un bombardement. Que ce soit à Treblinka, Sobibor ou Auschwitz, les camps où se produisirent les principales évasions à la suite de révoltes, tous les fugitifs, à quelques dizaines près, furent tués pendant le soulèvement ou exécutés après avoir été repris. [22]

Les Alliés devaient-ils agir et tenir le langage suivant : « Nous ne vous avons pas oubliés. Nous sommes venus, dès que cela a été possible bien que trop tardivement. Nous avons détruit les voies ferrées, les fours crématoires et les chambres à gaz. Mais nous n’avons sauvé aucun d’entre vous. Les Allemands ont malheureusement utilisé des moyens plus brutaux pour assassiner les survivants : marches forcées meurtrières, tueries massives par balles. Les nazis immédiatement et plus tard les historiens nous accuseront certainement des centaines de prisonniers tués et infiniment plus de blessés, victimes « collatérales » de nos bombardements ».

On peut se demander, alors, à quoi servent les longues études pour démontrer la viabilité ou l’impossibilité pour l’aviation alliée de bombarder Auschwitz. Avant de s’opposer sur les moyens à utiliser, n’était-il pas urgent et primordial de savoir si de tels bombardements auraient épargné de nombreuses vies. De la réponse à cette question dépend la décision d’une intervention aérienne.

La conclusion de Simone Veil mérite d’être citée. Elle écrit dans son autobiographie : « Les Alliés auraient-il dû bombarder les camps ? Dès la fin des hostilités on a épilogué sur cette problématique.
La critique du choix des Alliés suppose plus de modestie que d’appréciations péremptoires. Malgré les nombreux arguments avancés en faveur des bombardements qui auraient dû détruire les chambres à gaz, je demeure très réservée à cet égard (...) En fin de compte, les polémiques sur le sujet ne servent à mes yeux qu’à nourrir de faux débats dont tant de personnes se montrent friandes quand les événements sont passés et que la discussion se fait sans frais et sans risques ». [23]


[1] YAHIL Leni, The Holocaust, The Fate of European Jewry, 1932-1944, Oxford University Press, New York, 1990, p. 639.

[2] PENKOWER Monty Noam, The Jews Were Expandable : Free World Diplomacy and the Holocaust, University of Illinois Press, Urbana, 1983, p. 218.

[3] RUBINSTEIN William D. The Myth of Rescue, Why the Democracies Could not Have Saved More Jews from the Nazis, Routledge, London, New York, 1997, p. 159. Voir aussi sur le sujet NEUFELD Michael et BERENBAUM Michael, éd. The Bombing of Auschwitz, Should the Allies Have Attempted It ? United States Memorial Museum, Washington, 2000. Il s’agit d’interrompre les transports des Juifs de Hongrie vers Auschwitz. Du 15 mai au 9 juillet 1944, 437 000 Juifs hongrois sont déportés vers la mort par le rail.

[4] IBID. p. 174. Citant l’historien David S. Wyman.
[5] IBID. p. 166. Citant l’expert militaire Dino A. Brugioni.

[6] GILBERT Martin, Auschwitz and Allies : The Politics of Rescue, Henry Holtand Company, New York, 1981, p. 238.

[7] KLARSFELD Serge, La Shoah en France, vol.3, Le calendrier de la persécution des Juifs de France. Septembre 1942- août 1944, Fayard, Paris, 2001, p. 1919.
[8] IBID. p. 1893 et 1894.

[9] VIDAL-NAQUET Pierre, Réflexions sur le génocide : Les Juifs, la mémoire et le présent, La Découverte, Paris, 1995, p. 181.

[10] FEINGOLD Henry L. Bearing Witness : How American and its Jews Responded to the Holocaust, Syracus University Press, 1995, p. 166.

[11] GILBERT, op. cit. p. 256.
[12] RUBINSTEIN, op. cit. p. 172.

[13] VARAUT Jean Marc, Le procès de Nuremberg : Le glaive dans la balance, Perrin, Paris, 1992, p. 341.

[14] GILBERT, op. cit. p. 256.

[15] HILBERG Raul, La destruction des Juifs d'Europe, Fayard, 1988, p. 975.

[16] PRESSER J. Ashes in the Wind. The destruction of the Dutch Jews, Wayne University Press, Detroit, 1988, p. 212.

[17] TSCHUY Theo, Carl Lutz und die Juden von Budapest, Verlag Neue Zürcher Zeitung, Zürich, 1995, p. 176.

[18] LIPSTADT Deborah, Beyond Belief : The American Press & The Coming Holocaust, 1933-1945, New York Free Press, 1994, p. 151.

[19] ADAM Uwe Dietrich, Les Chambres à gaz, In Furet François Dir. L'Allemagne nazie et le génocide Juif, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1985, p. 255.

[20] RUBINSTEIN, op. cit. p.180.

[21] WASSERSTEIN Bernard, Britain and the Jews of Europe , 1939-1945, Clarendon, Oxford, 1979, p. 320

[22] MARRUS Michael R. L'Holocauste dans l'histoire, Georg Eshel, Paris, 1990, p. 150.

[23] VEIL Simone, Une vie, Stock, Paris, 2007, p. 94.

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