Rétablir la vérité - LARMINAT - forum "Livres de guerre"
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LARMINAT / Collectif

 

Rétablir la vérité de Armelle de Larminat le samedi 06 septembre 2014 à 11h10

Voici ce qu'avait écrit mon père:

"Comment expliquer que le Général de Larminat, resté de 1940 à 1962 gaulliste au point de prendre position avec éclat contre les acteurs du putsch du 22 avril 1961 et d'accepter quelques mois plus tard - non certes sans réticence - la présidence de la " Cour Militaire de Justice " chargée de juger les membres de l'O.A.S., se soit donné la mort à la veille de présider effectivement ce tribunal d'exception ? Alors que remplir cette mission eût en effet confirmé Jusqu'à l'excès, son engagement gaulliste, se suicider en cette circonstance le faisait au contraire rejoindre " in extremis ", comme le soutiendra plus tard en substance le Général Salan, les " soldats perdus " qu'il était appelé à juger...
Je vais m'efforcer d'apporter à la question posée ci-dessous des éléments de réponse qui permettent de dégager, au plus près de la vérité, le sens de ce geste courageux.
Brève présentation de l'auteur de ce texte :
Etant parent du général d'armée Edgard de Larminat, qui s'était donné la mort le 1er juillet 1962 à la veille de présider la " Cour Militaire de Justice ", certes assez éloigné de lui dans l'arbre généalogique de notre famille, mais profondément attaché au respect de sa mémoire, et soucieux de l'honneur de notre nom ainsi que de la vérité historique, moi, Jean Marie de Larminat, (fils d'Edouard, Administrateur-en-chef de la France d'Outre-Mer (f), et de Sonia, née Boëttgen (f)... ), je me suis fait un devoir de réfuter une thèse péniblement échafaudée par son neveu Jacques de La Ferrière et parue en 1997 dans la revue HISTORIA (N° 610) sous le titre " Les vraies causes du suicide du général de Larminat. "
La Thèse-
Cette thèse tendait en effet, en substance, à faire passer ce suicide pour un ultime geste d'allégeance envers Charles De Gaulle, alors que de nombreux arguments portent à penser que ce geste eut, au contraire, pour motif (ô combien plus élevé... ) le refus de faire condamner à mort, surtout sur ordre, certains des accusés dont il allait avoir à présider le jugement. Il est donc permis d'avancer que ladite thèse aboutissait ainsi, en dépit de l'intention de son auteur, à dévaloriser objectivement le sens profond de ce sacrifice.
De par son titre déjà comme sur le fond ensuite, cet article paraissait d'ailleurs par trop péremptoire pour traiter d'un tel sujet : même lorsque le suicidé est censé avoir laissé une lettre d'explication claire, à fortiori lorsque l'interprétation de ladite lettre peut donner lieu à discussion, ce qui est ici le cas comme je le développerai plus loin. Dieu seul pourrait connaître exactement la démarche psychologique ayant, jusqu'au passage à l'acte, déterminé un suicide, donc les vraies causes d'un suicide. Chacun d'entre nous ne peut qu'en proposer, avec modestie et sans tenter de le faire " passer en force ", l'explication qui lui paraît la plus probable...
Je m'étais déjà, dans un premier temps, élevé contre cette thèse, par le biais du " courrier des lecteurs " d'HISTORIA (N° 615). Il s'ensuivit sous la même rubrique de cette revue une réponse courroucée (N° 620), signée de Jacques de La Ferrière et des trois autres neveux d'Edgard de Larminat, (réponse d'une évidente hostilité personnelle à mon égard, mais d'une pauvreté affligeante en termes d'argumentation, et ayant l'outrecuidance de vouloir mettre ainsi purement et simplement fin au débat ouvert - avec une partialité politique si évidente et sur un tel ton polémique que cela ne pouvait prétendre demeurer sans réplique - par La Ferrière lui même en 1997... ), puis (N° 632) une mise au point de ma part, nécessaire et complémentaire. (La clarté de ce dernier texte, dicté par téléphone, a malheureusement été assez altérée en l'un de ses passages essentiels par des omissions de mots et des " coquilles".)
Pour mieux défendre encore le souvenir d'Edgard de Larminat, et dans les limites des réserves ci-dessus évoquées quant à la validité de toute thèse sur ce thème, j'ai entrepris de rappeler succinctement, sur ce site, quelques faits historiques avérés, qui constituent l'incontournable contexte du drame personnel dont il s'agit, et de développer le raisonnement et les principales conclusions auxquelles peut conduire la prise en compte de ces facteurs. Chaque fois que nécessaire à la compréhension d'ensemble de ce contexte et/ou au respect du devoir de mémoire, j'ai décidé de rappeler, entre parenthèses crochets [ ], des faits historiques collatéraux, parmi lesquels des faits éventuellement postérieurs au décès de Larminat.
Seront donc successivement passées en revue ici les circonstances du suicide avec un bref rappel de la carrière du général de Larminat, le profil de ce que fut la " Cour Militaire de Justice ", celui des accusés appelés à comparaître devant elle, tous ces facteurs conduisant à tenter ensuite de cerner les motivations de ce suicide, pour enfin s'efforcer d'en dégager au mieux le sens.
Un brillant officier
Admis à Saint Cyr en 1914, le jeune Edgar de Larminat partit immédiatement au front et gagna vaillamment ses premiers galons d'officier sur les champs de bataille de la première guerre mondiale. Il fut blessé plusieurs fois, notamment en 1916 devant le Fort de Vaux et gazé en 1917 à nouveau dans le secteur de Verdun. A 23 ans il était capitaine et décoré de la Légion d'honneur, distinction qui, en ce temps-là et décernée à titre militaire, attestait réellement, dans l'immense majorité des cas, une valeur personnelle certaine. Blessé trois fois, titulaire de quatre citations, il avait ainsi combattu sans répit, de façon plus qu'honorable du début à la fin de cette guerre.
Il fit ensuite sa carrière dans l'Infanterie Coloniale (à présent Infanterie de Marine). Ayant choisi en 1940 de rejoindre, parmi les tous premiers les forces françaises libres, il devint célèbre au cours de la seconde guerre mondiale. Cette tranche de sa vie étant par ailleurs déjà bien connue, il ne semble guère utile de la détailler encore ici, mais seulement de rappeler avec force l'influence de ce passé sur ce que furent, et son dilemme probable face à la politique menée en Algérie par Charles De Gaulle en 62, et son choix ultime.
En 1962, alors qu'il était passé ' depuis peu dans la deuxième section (un officier général n'est jamais " à la retraite " contrairement à la qualification erronée donnée par Charles De Gaulle aux généraux putschistes par lui mis en cause dans un discours en 61), il avait accepté - non sans réticence - d'être rappelé au service actif pour présider la " Cour Militaire de Justice " devant laquelle devaient comparaître les soldats de divers grades, ainsi que certains civils, qui avaient suivi les généraux Salan et Jouhaud au sein de l'Organisation Armée Secrète (O.A.S.), conjuration érigée pour combattre dans la clandestinité le pouvoir légal gaulliste et en vue de tenter maintenir ainsi en Algérie la souveraineté française menacée par ce pouvoir. Cette Cour entra en fonction en juin 1962.
Or, en raison d'une hospitalisation d'urgence au Val-de-Grâce à ce moment-là, Larminat fut d'emblée, et jusqu'au 1er juillet inclus, remplacé à la présidence de cette juridiction par un certain Général Gardet.
Le 1er juillet, il fut directement conduit du Val-de-Grâce à l'Elysée, convoqué par Charles De Gaulle, qui le reçut assez longuement sans témoin.
Cet entretien, dans ces conditions, ne laissa évidemment aucune trace contrôlable, mais tout porte à penser qu'il y fut, bien sûr, surtout question de la mission que Larminat allait devoir remplir en présidant effectivement les prochains débats de la Cour Militaire de Justice. Les révélations - évoquées plus loin - de son épouse confirment d'ailleurs qu'il fut bien question de cela.
Les circonstances
(le contexte historique)
À l'issue de cette entrevue, il devait être reconduit directement à l'hôpital militaire, disciplinairement tenu en principe de n'en ressortir que pour être transporté chaque jour au tribunal, et vice-versa.
Mais c'est chez lui qu'il donna ordre à son chauffeur de le conduire, faisant déjà en cela acte - certes encore véniel - d'indiscipline... Après s'être entretenu avec son épouse, il s'enferma dans son bureau :
c'est là qu'il fut trouvé mort, au matin du 2 juillet, une balle de son vieux revolver dans la tête. Il avait laissé une note d'explication, dont les ter- mes essentiels, ainsi qu'une proposition d'exégèse, seront évoqués plus loin.
La Cour Militaire de Justice
La " Cour Militaire de Justice " était une juridiction d'exception que Charles De Gaulle (outre-passant en cela, comme l'a précisé par la suite le Conseil d'Etat, le pouvoir que lui conférait l'article 16 de la constitution) avait instituée pour remplacer les juridictions d'exception précédentes, considérées par lui comme insuffisamment sévères, bien qu'elles eussent déjà condamné à mort, d'une part le Général Jouhaud, n° 2 de l'O.A.S., qui fut gracié à la demande de Georges Pompidou, d'autre part Claude Piegts et le sergent légionnaire Albert Dovecar, subordonnés du Général Jouhaud à un échelon très subalterne dans l'O.A.S., qui furent, eux, fusillés tous deux le 7 Juin 1962... [Il convient de souligner l'ignominie qui consista à exécuter de malheureux subordonnés tandis que l'on graciait leur chef...].
[Cette " Cour Militaire de Justice " devait être, le 19 Octobre 1962, jugée illégale par un arrêt du conseil d'Etat, ce qui empêcha " in extremis " l'exécution d'André Canal qu'elle avait condamné à mort. Mais malgré cet arrêt, la validité de cette juridiction, qui ne devait être que de quarante jours, fut prorogée bien au-delà de ce délai par le Parlement à la demande de Charles De Gaulle et de Georges Pompidou, afin de laisser à ce tribunal docile le temps de " juger " les conjurés qui avaient échoué en tentant de réaliser ce qui fut appelé " l'attentat du Petit-Clamart " contre le Président de la République. Il importait que fût notamment condamné à mort le Colonel Jean Marie Bastien-Thiry, chef des conjurés : il fut effectivement fusillé le 11 mars 1963. (De Gaulle avait, bien avant cette exécu- tion, gracié un certain Ben Saddok, auteur d'une tentative d'assassinat perpétrée contre Jacques Soustelle, alors ministre en fonction. Il est permis de soutenir qu'il n'était, à tout le moins, guère noble de faire fusiller celui qui s'en était pris à sa si précieuse personne alors qu'il avait gracié celui qui s'en était pris à celle de son ministre... Cet acharnement à faire payer si cher au colonel Bastien-Thiry l'instant d'intense frousse que celui-ci lui avait sans doute fait vivre ne rappelle-t-il pas quelque peu d'ailleurs, toutes proportions gardées, la relative bassesse du roi Louis XV faisant atrocement supplicier puis écarteler le malheureux ouvrier Damiens pour lui avoir porté un coup de canif pourtant bien inoffensif ?) Les jugements de la Cour Militaire de Justice étaient sans appel. De plus cette Cour ne respectait même pas les avocats de la défense : c'est ainsi que, lors du procès de Bastien-Thiry, elle demanda et obtint la suspension pour trois ans de Maître Jacques Isomi en raison de ses propos courageux tendant à récuser l'un des juges à partir d'arguments qui eussent été sans nul doute reconnus comme valables devant un tribunal normal... Cette Cour donnait d'ailleurs aux avocats, comme le dira Maître Richard Dupuy, " la sensation d'être déjà, tout-entière, un peloton d'exécution ". Telle était donc cette " Cour Militaire de Justice " que le Général de Larminat, en se suicidant, avait renoncé à présider...].
Les accusés et leurs motivations
Parmi les plus connus des accusés qui eussent été jugés sous la présidence du Général de Larminat figuraient notamment le lieutenant Godot, le lieutenant Bernard, l'adjudant Robin, Jean-Loup Perret et André Canal.
Quant au lieutenant Degueidre, il avait été, le 28 Juin 1962, condamné à mort en deux heures d'audience seulement par cette même Cour présidée alors par Gardet, Larminat étant à ce moment là souffrant -rappelons-le- et hospitalisé au Val-de-Grâce.
En prononçant ainsi hâtivement cette condamnation à mort ce tribunal n'avait-il pas montré sans tarder qu'il méritait, en termes d'institution destinée à rendre la justice, le plus profond mépris ?
Tous ces combattants de valeur, jusqu'alors parfaitement disciplinés, ne s'étaient rebellés que pour conserver à la république française, constitutionnellement " une et indivisible ", ses départements d'Algérie :
Le Président De Gaulle, lui-même ramené au pouvoir par le putsch militaire du 13 Mai 1958 (en vue de gagner cette guerre et de conserver l'Algérie à la France, objectifs bien légitimes pour un Chef d'Etat Français et d'ailleurs par lui-même revendiqués à ce moment-là), avait en effet, bien que garant de la Constitution et donc de l'intégrité du territoire national ainsi que Chef des Armées, choisi, de développer le processus qui devait aboutir à donner l'indépendance à ces départements et à placer - qui plus est - l'Algérie nouvelle sous l'autorité de l'ennemi, c'est à dire celle du " Front de Libération Nationale " algérien (F.L.N.)
(Or le F.L.N. s'était pourtant avéré bien incapable de vaincre l'armée française, la laissant, partout, maîtresse du terrain. La principale méthode de combat du F.L.N. - pour ne pas. dire, à quelques exceptions près, la seule - n'était-elle pas, en effet, d'exercer un terrorisme des plus lâches et des plus abjects, en pratiquant systématiquement et largement la torture, la mutilation et le meurtre, faisant d'ailleurs ainsi bien plus de victimes encore parmi les autochtones que parmi les Français d'autres origines, victimes civiles et désarmées de préférence bien sûr ? Aussi le F.L.N. devait-il rester largement minoritaire au sein de la population algérienne, qui avait toutes les raisons de le détester... Il ne cessa d'être minoritaire que lorsque la France eut abandonné cette population à son chantage et à sa sauvage vindicte... ).
Il était dès lors bien compréhensible que des soldats, patriotes de principe et redoutant l'issue de ce processus, aient tout tenté pour l'enrayer, même par le recours à une rébellion organisée, attitude rare chez des militaires français. Ces soldats-là, plus tard désignés sous le terme de " soldats perdus ", choisirent la voie de l'honneur plutôt que celle de l'obéissance, l'honneur plutôt que les honneurs...
[Comme on a pu le voir, cette indépendance-là s'est en fait soldée, dès qu'elle fut réalisée en 1962, par le massacre de nombreux français d'Algérie, autochtones ou non, et de nombreux autochtones, musulmans ou non, ayant souhaité rester Français, en particulier celui des " Harkis ", supplétifs autochtones de l'armée française, à qui de nombreux officiers avaient donné, avec l'accord de leur hiérarchie, leur parole que la France ne les abandonnerait jamais... Les craintes multiples que nourrissaient les partisans de l'Algérie française envers les conséquences de la politique gaulliste étaient - on peut en convenir hélas aujourd'hui, et à tous les points de vue - des plus fondées...].
Motivations susceptibles d'avoir conduit au suicide le Général de Larminat ?
Il est vrai qu'en 1961 Larminat avait désapprouvé les acteurs du putsch avorté du 22 Avril, au point de conseiller le suicide aux généraux putschistes... La persistance de son loyalisme envers De Gaulle, à ce moment là encore, ayant été ainsi réaffirmée avec éclat, il n'y eut rien d'étonnant à ce que la présidence de la Cour Militaire de Justice lui fût proposée quelques mois plus tard par l'entremise de Pierre Messmer : il manifesta pourtant, alors déjà, une notable réticence avant d'accepter ce poste... Mais l'accepta...
Or, Lorsque j'ai eu l'honneur de le rencontrer après sa sortie de prison, le Général Salan, ancien chef de l'O.A.S. et comme tel peu porté sans doute à l'indulgence envers les officiers restés jusqu'au bout fidèles à Charles De Gaulle, m'a personnellement assuré avoir conservé toute son estime à la mémoire de son camarade d'armes, le Général de Larminat, qui - selon lui - s'était donné la mort pour ne pas condamner les ultimes combattants de l'Algérie Française, rejoignant ainsi, in extremis et à sa manière, ces combattants, et donc leur cause. En se suicidant au moment où il l'a fait et dans le contexte de ce moment, le fait est que Larminat, qui ne pouvait d'ailleurs ignorer cette interprétation si probable de son geste, s'est, tel 1'" ouvrier de la dernière heure ", rangé aux côtés des " soldats perdus " qu'il avait l'ordre de juger, ayant, comme eux bien que par un biais différent, choisi l'honneur plutôt que l'obéissance.
Alors quels sont les facteurs ayant pu induire le revirement de dernière minute qu'évoque, et que constitue en fait, ce sacrifice ? Et quels sont les arguments qui plaident à l'encontre de l'explication que prétend apporter, de ce suicide, et de son sens profond, Jacques de La Ferrière ?
Ces facteurs et ces arguments sont essentiellement les suivants :
1) Le profil des accusés que le Général allait avoir à juger Juger de tels accusés, dont l'action avait été inspirée par de tels mobiles, avait déjà probablement - on le conçoit aisément - de quoi embarrasser un général qui s'était lui-même rebellé en 1940, également dans une intention patriotique, contre le pouvoir légal d'alors... Il ne faut pas oublier de plus, que ceux des accusés en âge d'avoir pu faire ce choix avaient, pour la plupart, eux aussi, combattu du côté de la " France libre ". Certes les anciens résistants dont il s'agit ici, ceux qui avaient tout naturellement rejoint l'O.A.S. en entrant pour la seconde fois de leur vie en dissidence pour raison patriotique, étaient assurément bien plus dans la ligne d'Honoré d'Estienne d'Orves, du Colonel Rémy, ou encore des combattants du maquis du Plateau des Glieres (fondé par Jean Vallette d'Osia), parmi tant d'autres gens admirables, que dans le sillage d'un " Colonel " Fabien ou d'un Georges Guingouin...
2) Les pressions probablement exercées sur lui.
S'il était l'objet de pressions tendant à lui faire infléchir son action à la tête de ce tribunal dans un sens prédéterminé et donc éventuellement différent de celui qui allait lui être dicté par sa conscience, remplir sa mission s'avérait alors de nature à poser un problème capital à cet officier qui, selon les nombreux témoignages de ceux qui l'ont connu, avait toujours fait preuve d'une profonde honnêteté ainsi que d'une forte indépendance d'esprit.
Or ces pressions semblent bien avoir été exercées sur lui : lors d'une cérémonie commémorant la mort du colonel Bastien-Thiry, la générale de Larminat (à présent décédée), la mieux placée pour avoir recueilli les dernières confidences de son mari, a prononcé un discours devant de multiples témoins encore vivants aujourd'hui, dans lequel elle soutenait notamment que celui-ci, revenu bouleversé de l'Elysée le 1er juillet 1962, lui avait révélé qu'il venait de recevoir de De Gaulle l'ordre de prononcer des condamnations à mort et précisé qu'il ne pouvait lui obéir. Le seul fait d'avoir voulu être présente à cette cérémonie du souvenir autour de la tombe du Colonel Bastien-Thiry, héros emblématique de l'anti- Gaullisme suprême, n'était-il pas d'ailleurs, en soi-même déjà, une prise de position assez significative de la part de cette Dame qui s'exprimait là en tant que veuve du général?
L'ultime note laissée par le Général de Larminat n'allait-elle pas d'ailleurs dans le sens de ce qu'il avait déclaré à son épouse ? Ainsi, lorsqu'il écrivit : "je me donne volontairement la mort parce que je suis incapable d'accomplir mon devoir qui est de présider la Cour Militaire de Justice ", rien n'interdit de penser que cette incapacité était avant tout, pour lui, d'ordre moral. De même, s'adressant à De Gaulle : "je n'ai pas pu physiquement ni mentalement accomplir le devoir qui m'était tracé ", cela ne voulait-il pas dire: " tout mon être se refusait à exécuter ce qui m'était ordonné " ? Quant à la suite de ce dernier billet : " je m'en inflige la peine, mais je tiens à ce qu'il soit su que c'est ma faiblesse et non votre force et votre lucidité qui sont en cause ", elle ne correspond guère, prise au pied de la lettre, au profil psychologique, doué d'une grande fierté, de l'auteur des " Chroniques irrévérencieuses ", mais ce propos, d'ailleurs assez sibyllin, pouvait très bien se lire comme simplement empreint d'une ironie quelque peu altière, beaucoup plus dans son style.
3) Evolution probable de ses convictions politiques entre 1961 et 1962
La probable évolution- sans doute exponentiellement progressive - de ses convictions entre 1961 et 1962, évolution alors induite par celle du contexte politique et par la survenue des événements gravissimes qui en découlaient et qui projetaient une lumière crue sur la forfaiture gaulliste.
Tandis que s'accentuait en effet et devenait de plus et plus évident, notamment dès que fut connue l'imminente probabilité des " accords d'Evian ", le processus visant objectivement à perdre la guerre d'Algérie alors même que l'armée française l'avait pratiquement gagnée sur le terrain, voire à s'allier avec l'ennemi (le F.L.N.) contre les résistants français (l'O.A.S) entrés dans la clandestinité pour contrer cette trahison, de sordides et tragiques événements allaient, au cours de cette période, considérablement enlaidir encore ce triste tableau.
S'il était possible dans une certaine mesure, pour ceux qui avaient eu foi en De Gaulle, de douter encore en avril 1961 et même encore au début de 62, du fait que cette figure emblématique, à leurs yeux, du patriotisme pût être en réalité animée de la volonté de faire carrément cadeau de l'Algérie - et du Sahara, avec son pétrole - à l'ennemi F.LN., de douter du fait que ce symbole, à leurs yeux, de l'honneur, voire de la générosité, pût être capable d'une telle duplicité et d'une telle dureté de coeur, l'accélération exponentielle du cours de l'Histoire après l'échec du putsch était de nature à effacer progressivement mais rapidement, chez les plus lucides, toute possibilité de continuer à se leurrer sur la personnalité profonde Charles De Gaulle et ses réelles intentions...
Les plus choquants de ces événements furent assurément la révélation de " l'affaire Si Salah ", le début du massacre des harkis dès le 19 mars 1962, et la fusillade de la rue d'Isly le 26 mars 1962.
La révélation de l'affaire " Si Salah "
Lors de leur procès à la suite du putsch du 22 Avril 1961, les accusés, notamment le général Challe, avaient eu la possibilité d'exposer en détail les divers motifs de leur rébellion et de révéler en particulier ce qui fut appelé " l'affaire Si Salah ": Chef de la Willaya IV du F.L.N., Si Salah avait, au cours d'une entrevue secrète avec De Gaulle en France au titre de la fameuse " paix des braves " proposée par ce dernier, offert sa reddition et celle de ses hommes, ce qui eût sans doute porté le coup de grâce au F.L.N. en Algérie. Mais, comme semblaient le démontrer bien des révélations faites au cours de ce procès, l'Elysée aurait alors délibérément fait échouer cette reddition décisive en faisant dénoncer Si Salah au F.L.N., qui l'assassina dès qu'il fut de retour sur le sol algérien...
Le massacre des Harkis
La signature des " accords d'Evian ", le 19 Mars 1962, avait, dès le lendemain de cette date, entraîné le début, dans d'abominables conditions de sauvagerie, du massacre des harkis, que l'armée française avait entrepris de désarmer sur l'ordre de De Gaulle, ordre transmis par son zélé serviteur Messmer, assorti même de l'interdiction de leur assurer ensuite la moindre protection, les livrant ainsi de fait à la vindicte du F.L.N.. Ce massacre reste, à l'évidence, une tache des plus hideuses sur l'honneur de la France. De la France légale du moins. Comme de l'Algérie nouvelle d'ailleurs.
La fusillade de la rue d'Isly
La fusillade de la rue d'Isly à Alger, événement emblématique lui aussi totalement révoltant, avait eu lieu le 26 Mars 1962 : Une foule française qui manifestait, sans arme, drapeaux tricolores brandis, son opposition au processus en cours et son soutien à l'O.A.S., avait été mitraillée par un détachement du 4ème Régiment de Tirailleurs Algériens, unité de l'armée française aux ordres du pouvoir gaulliste.
[Des témoignages, dont celui d'un journaliste ayant pu en publier à l'époque le reportage dans " le Figaro ", rapportent que ces tirailleurs ouvrirent le feu sans avoir fait la moindre sommation sur les manifestants désarmés massés en face d'eux, les massacrant comme à plaisir pendant plus de douze minutes. Ils allèrent même jusqu'à abaisser leur tir de façon à atteindre les personnes qui s'étaient couchées ou qui étaient déjà tombées sous un premier impact, et jusqu'à achever certains blessés, tirant même sur ceux qui tentaient de leur porter secours et qui tombaient alors à leur tour. Ils poursuivirent en outre jusque dans les immeubles voisins les manifestants qui s'y étaient réfugiés. Il résulta officiellement de tout cela 66 morts et plus de 200 blessés, dont un bon nombre devaient s'éteindre des suites de leurs blessures. Or si le but poursuivi n'avait réellement été que de disperser cette manifestation, il eût pourtant suffi d'utiliser contre elle des canons à eau, désagréables certes, et efficaces en de telles circonstances, mais non meurtriers...
Cette fusillade de civils français perpétrée - qui plus est - sur l'ordre d'un gouvernement français ne constitue t-elle pas non seulement une trahison contre la patrie, mais même un crime contre l'humanité dont les responsables auraient déjà d'avoir à répondre ? Dont les responsables encore vivants devraient avoir à répondre ? Il en est de même du massacre des harkis ci- dessus évoqué, comme d'ailleurs, entre autres, des massa-cres survenus à Oran le 5 juillet 1962, ainsi que des nombreuses disparitions de Français après l'indépendance de l'Algérie...]. 4) Interprétation prévisible de son geste
II est de plus difficile de croire que Larminat n'ait pas prévu que son suicide en cette circonstance allait être d'emblée interprété comme une sorte de gifle morale à De Gaulle. Selon la rumeur qui courut à l'époque, ce dernier ne s'y trompa guère, qui passait pour fort courroucé par ce sui- cide, lui attribuant justement quelque peu ce sens-là... Cette rumeur se trouve d'ailleurs assez bien corroborée par la parcimonie des hommages posthumes rendus depuis lors à ce général, par rapport à ceux rendus aux autres généraux français qui s'é- taient également illustrés au cours de la deuxième guerre mondiale, notam- ment de Lattre, Leclerc, Koenig, Montsabert, Catroux, Muselier... 5) Non contestation de l'explication communément admise de ce suicide jusqu'en 1997
II n'est pas inintéressant de citer l'explication succincte donnée dans le tome II du " Dictionnaire de la noblesse française " de messieurs E. de Séreville et F. de Saint-Simon, qui semblent avoir été, par ailleurs, renseignés avec une précision et une authenticité parfaites sur d'autres points concernant notre famille. " Nommé, par le général De Gaulle, président de la Cour Militaire de Justice pour juger les officiers après le putsch d'Alger, il se suicida plutôt que déjuger ses pairs ". ( en fait il ne s'agissait pas exactement déjuger les auteurs de ce putsch, ceux-ci ayant déjà comparu alors devant d'autres tribunaux, mais, de façon plus large, ceux qui avaient entrepris de poursuivre leur oeuvre. Quant au terme " ses pairs ", il désigne évidemment, en la circonstance, les militaires de tous les grades).
L'explication donnée, tout en n'effleurant que très discrètement, comme il se devait dans une telle publication, l'aspect politique et mili- taire du drame, ne faisait que refléter celle communément admise de ce geste. Or force est de constater qu'elle n'avait, 35 ans après les faits, 'jamais encore été remise en cause...
6) De la logique
Si, comme ses neveux l'ont avancé avec quelque emphase, le général de Larminat avait voulu rester jusqu'à sa dernière seconde " dans la fidélité et l'obéissance à son chef de toujours ", il lui eût été infiniment plus simple, au lieu de se donner la mort, de présider le tribunal concerné, comme cela lui était ordonné. C'est clair.
Si cependant son état de santé l'empêchait réellement d'exécuter cet ordre et de remplir sa mission, il lui suffisait de faire reconnaître cette impossibilité par l'autorité médicale militaire, et de se faire régulièrement exempter pour cette raison. Il aurait notamment pu ainsi réfuter haut et clair toute interprétation erronée éventuelle de cette exemption.
Mais le suicide d'un soldat avant d'avoir exécuté sa mission, donc plutôt que de l'exécuter, n'équi- vaut-il pas tout à fait à un acte de désobéissance ?
Rien ne permet donc d'affirmer que le général de Larminat est mort dans la fidélité et l'obéissance à Charles De Gaulle (ce dernier - soit dit en passant - n'était d'ailleurs pas son chef" de toujours " mais, tout au plus, son chef depuis 1940, la carrière militaire de Larminat ayant débuté - rappelons le - sur les rudes champs de bataille de la première guerre mondiale...).
Conclusion : le sens du suicide du Général
II est évident que tous les sombres facteurs ci-dessus évoqués ont pu coexister à des degrés divers et s'additionner, voire s'imbriquer éventuellement avec d'autres éléments inconnus de nous, pour aboutir à la tragique décision ultime du Général de Larminat.
Alors, n'en déplaise aux thuriféraires inconditionnels de Charles De Gaulle, les arguments que j'ai développés pour tenter d'expliquer les mobiles de cette tragédie permettent sérieusement d'avancer que, par son sacrifice :
- Le général de Larminat a choisi de mourir plutôt que de remplir la mission que lui avait confiée Charles De Gaulle, donc de désobéir en fait à ce dernier plutôt que de condamner, très probablement à mort et sur son ordre, les hommes qu'il était chargé déjuger. Le fait est qu'il a ainsi rejoint la cohorte des " soldats perdus " pour qui, à cette époque, le souci de l'honneur l'emporta sur le devoir d'obéissance.
- Le général de Larminat a évité de s'impliquer gravement dans ce qui fut la phase la moins glorieuse et la plus critiquable du gaullisme, celle de la perte de la guerre d'Algérie. Et surtout il ne s'est pas fait, de la sorte, le complice de l'impitoyable répression exercée alors à l'encôntre des patriotes français qui n'avaient voulu qu'épargner à la France cette défaite politique (et à l'Algérie le sort pitoyable qui s'ensuivit, et s'ensuit encore) II n'a pas voulu faire figure, toutes proportions gar- dées, de petit " Fouquier-Tinville " de la Cinquième République...
- Le général de Larminat a, une fois de plus, montré - ce que Charles De Gaulle aurait bien dû savoir, ou au moins pressentir - qu'à l'inverse de tant de gens, notamment à cette époque, il n'avait pas, lui, l'âme d'un laquais toujours prêt à servir inconditionnellement son maître ou le pouvoir en place, et uniquement capable d'obéir à ce qu'il prend pour un chef, sans esprit critique ni scrupule face à l'ordre reçu...
Cet ensemble d'arguments permet - en tout état de cause - de soutenir fermement que ce suicide fut l'expression, désolante mais stoïque et éclatante, d'un refus.
Du refus, qui résume tout, de présider la " Cour Militaire de Justice " instituée par Charles De Gaulle."

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 bidouillé par Jacques Ghémard le 1 1 1970  Hébergé par PHP-Net PHP-Net  Temps entre début et fin du script : 0.01 s  5 requêtes