Diplomatie et Monument's Men ou "l'histoire à l'estomac" sur grand écran / Rendez-vous dimanche au Salon du livre
Lettre d'information du site de l'historien François Delpla
n° 96
Chers abonnés,
En matière d'histoire du nazisme, les contradictions ne font que croître et enlaidir. Les témoins disparaissent mais les passions ne s'apaisent pas le moins du monde. Et le moralisme ne semble pas disposé à céder la place sans de très rudes combats d'arrière-garde.
Témoin, sur la libération de Paris, la relance de l'héroïsation du consul suédois Raoul Nordling par une pièce de théâtre devenue un film, l'un et l'autre destinés à nous faire frissonner, chaque fois que nous voyons la tour Eiffel, à l'idée que Hitler a failli la faire sauter et qu'un héros du Bien l'a protégée. André Dussolier et Nils Arestrup seraient sans doute stupéfaits d'apprendre qu'ils relancent un mythe nuisible à la compréhension du Troisième Reich, pourtant plus urgente que jamais. Car il est dangereux de se tromper sur le mal et de trop simplifier les facteurs requis pour le vaincre, en un temps où certaines conditions, analogues à celles des années trente, font leur retour.
Bien entendu, les remarques sur le danger des boniments se heurtent, sur ce chapitre, Ã un tir de barrage : comment ? mais ce n'est qu'un divertissement, une fiction ! vous vous trompez d'adresse, etc. (quelques exemples ici :
) Cependant, le film de George Clooney « Monument's Men », sorti en France une semaine plus tard, offre une occasion providentielle de clarifier le propos : ce dernier film est un navet sans queue ni tête, et le « Diplomatie » de Schlöndorff un spectacle de qualité ; tous deux charrient toutefois des contre-vérités du même ordre : Hitler, au crépuscule de son régime, aurait donné l'ordre de détruire Paris d'une part, de brûler les dépôts d'œuvres d'art pillées d'autre part. Ces inventions ont un double inconvénient : mal situer la barbarie du nazisme; prétendre que Hitler n'était même pas capable de se faire obéir. Pour plus de détails :
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Comme toujours, l'histoire peut être bien faite, ou mal. Son pire ennemi est la croyance. On s'est persuadé d'une chose et, si un chercheur vient tout-à -coup affirmer le contraire, on cherche fébrilement une faille dans son raisonnement. Dès qu'on croit l'avoir trouvée on se rendort... sans se demander une seconde si sa propre croyance n'est pas criblée de failles, et peut-être de gouffres.
En sus du moralisme, le juridisme et la commande politique polluent l'histoire du nazisme... et ont commencé de son vivant. Cette histoire même sera intéressante à écrire... mais celle du nazisme est tout de même plus urgente ! L'irruption inédite d'un fou à la tête d'une grande puissance EN RAISON MÊME DE SA FOLIE doit être enfin débarrassée des oripeaux du totalitarisme (entendu comme une assimilation plus ou moins complète du nazisme et du stalinisme), des manigances du grand capital, des particularités de l'histoire allemande et de l'accumulation séculaire des préjugés antisémites. Car le délire hitlérien instrumentalisait tout cela... et on se trompe encore couramment en le croyant lui-même instrumentalisé.
Les ouvrages et articles parus dans la dernière période font une part croissante au guidage de son propre régime par Hitler, sur toutes les questions importantes, tout en charriant, parfois sous les mêmes plumes, des préjugés classiques. L'un des textes les plus pénétrants que j'aie lus récemment est une communication de Claire Andrieu
lors du colloque de mars 2011 sur la violence en Europe au XXème siècle : « Un indicateur de la nazification de la Wehrmacht en 1940 : la campagne de France ». L'idée de base est que la nazification de l'armée allemande, perçue seulement dans les années 1990, l'a d'abord été dans la guerre contre l'URSS puis, « par ricochet », dans l'invasion de la Pologne, et qu'il est temps d'en venir à une meilleure appréhension, sous cet angle, de l'invasion et de l'occupation de la France.
Point de folie hitlérienne ici ni de renonciation nette à découper le régime nazi en tranches bureaucratiques étanches... mais, cependant, un pas dans ces deux directions. En effet, sous le nom d' « apport du régime national-socialiste », l'historienne met en scène, dans les proses militaires allemandes relatives à la France, le dépôt d'une couche nazie sur les vieux préjugés prussiens : on insiste sur les comportements « contraires au droit de la guerre » des soldats juifs, espagnols ou, plus souvent, africains de l'armée française, tout en étendant leurs turpitudes à l'ensemble de la nation. Qu'est-ce à dire, sinon que la conception spécifiquement hitlérienne d'une France enjuivée et négrifiée, menaçant toute l'Europe d'une contamination mortelle si l'Allemagne n'y mettait le holà , avait inspiré les paroles et les actes des officiers allemands dès l'invasion et pendant toute l'occupation ? Or l'article laisse entendre que ce sont les Affaires étrangères qui, pour conforter l'attitude collaboratrice de Vichy, ont freiné les militaires, en limitant par exemple la diffusion d'un ouvrage sur les atrocités françaises -une logique à laquelle les militaires eux-mêmes n'étaient pas insensibles : il reste à constater que Hitler tirait les ficelles et dosait les mesures.
Depuis la dernière lettre, le site s'est enrichi de quelques perles
, de quelques recensions
et d'un débat de forum sur le choix de 1940 entre armistice et capitulation. Un nouvel article de mon invité Marc-André Charguéraud
fourmille de données rares sur la difficile dénazification de l'église protestante allemande. A signaler également, sur Mediapart, un nouveau round dans la polémique sur le sort des malades mentaux sous Vichy
: le livre pionnier d'Isabelle von Bueltzingloewen est mis en cause d'une façon régressive et ses manques ne sont pas recherchés au bon endroit.
La réédition très enrichie du livre de 2004 sur la Libération
, préfacée par Yves Guéna, sera en librairie le 2 avril, trop tard pour être présentée au Salon du livre. Je me contenterai d'y signer, au stand de Pascal Galodé, la biographie de Hitler (toujours unique en France) et le livre-anniversaire sur la prise du pouvoir
DIMANCHE 23 MARS de 15 Ã 17h
Je me réjouis d'avance d'y découvrir non virtuellement de nouvelles têtes et de revoir les amis plus anciens.
François Delpla
Si le message s'affiche mal :
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