ISAAC LEWENDEL nous donne un livre non conventionnel, atypique même et passionnant d’un bout à l’autre. Cet ouvrage fait partie de ces remarquables études régionales, départementales, municipales dont j’ai toujours souhaité la multiplicité et qui éclairent de plus en plus les grandes synthèses ; mais à la différence de leurs auteurs qui s’attachent surtout à décrire les opérations d’arrestation, le parcours des familles juives, les données biographiques des victimes, ISAAC LEWENDEL s’est concentré sur les agents de la persécution des Juifs, leur dossier, leur psychologie et leur mode opératoire. ISAAC LEWENDEL est un chercheur opiniâtre et méthodique ; je le connais depuis une trentaine d’années quand il est venu des Etats-Unis en France pour y récupérer les clefs de son destin. Sa démarche était simple : il avait survécu, enfant en bas-âge, à l’arrestation de sa mère. Il n’a pas accepté la disparition de sa mère tant aimée ; il a poursuivi le dialogue avec elle et s’est fixé comme mission de chercher la vérité et de dire la vérité sur cette barbarie dont lui aussi fut la victime. Le cadre de cette investigation était et reste le Vaucluse. Son précédent ouvrage « Un Hiver en Provence » racontait ce qui s’était passé sur un mode très personnel et a rencontré un réel succès à la fois de la critique historique et littéraire et un véritable public. Il a été un pionnier de cette catégorie de livres, souvent fascinants : enquête sur une tragédie et sur soimême. Quand ISAAC LEWENDEL s’est attaqué de nouveau au même sujet, cette fois il l’a fait sur un mode plus serein, celui de l’historien animé par la passion de découvrir qui avaient été les responsables de ces crimes commis contre les Juifs et quels avaient été leurs mobiles.
L’explication historique qu’il propose est claire et ne peut être mise en doute : en août 1942, le gouvernement de Vichy avait promis aux Allemands 10.000 Juifs considérés comme apatrides vivant en zone libre. Sur la base de cet engagement, la police nationale a fait ses calculs et a limité les catégories arrêtables aux Juifs entrés en France après le 1er janvier 1936, les ex allemands, ex autrichiens, ex polonais, ex tchèques et russes ou soviétiques. Le contingent a été fixé pour le Vaucluse ; les gendarmes sur la base du recensement ont raflé le nombre voulu de Juifs. Ils auraient pu en rafler dix ou quinze fois plus si on leur avait ordonné d’arrêter tous les Juifs du département. Cet ordre n’a pas été donné. Vichy qui voulait réduire les Juifs à l’état de parias ne souhaitait pas tuer les Juifs, mais sachant que les Allemands voulaient les exterminer, il s’est fait complice de ce génocide ; son antisémitisme xénophobe a mis les Juifs étrangers en première ligne en zone occupée. Si la population et si les églises n’avaient pas protesté, Vichy aurait pu poursuivre les arrestations sur tout le territoire au même rythme que pendant l’été 1942. Il y eut un répit qui se prolongea dans le Vaucluse jusqu’en septembre 1943 grâce à la protection des autorités militaires italiennes d’occupation. Après l’invasion de la zone italienne par les Allemands la situation des Juifs dans le Vaucluse a rapidement empiré. ISAAC LEWENDEL montre admirablement comment les forces de police allemande en faible nombre ont suscité l’émergence de bandes de gangsters et de voyous qui se sont faits les séides de la Gestapo. De même ISAAC LEWENDEL avait montré magistralement comment l’antisémitisme d’état de Vichy avait suscité des vocations antisémites souvent attirées par l’appât du gain dans les spoliations et les aryanisations parmi les hommes faisant partie de la classe bourgeoise ou des déclassés de la bourgeoisie française. Quant au carriérisme de certains hauts fonctionnaires, le portrait qu’en a dressé ISAAC LEWENDEL correspond tout à fait à l’exemple connu de tous les Français depuis 1997, celui de Maurice Papon.
Tenant compte des atouts représentés en 1942 par son empire, sa flotte et le travail dans le calme de la France au service de l’économie de guerre hitlérienne, Vichy avait contribué à la solution finale par une libre décision et dans un territoire, sa zone, où il n’y avait pas d’allemands. Après l’invasion allemande dans cette zone sud, Vichy n’a plus donné à son administration préfectorale d’ordre d’arrestation massive des Juifs, à deux exceptions près, laissant cette initiative aux Allemands, dont la stratégie dans chaque Kommando posté dans chaque département a été de s’adjoindre des individus prêts à tout par haine antijuive et par cupidité. ISAAC LEWENDEL le montre bien : les Juifs, recensés ou connus comme tels,étaient des proies faciles et si la Gestapo s’est emparée de trois fois plus de Juifs en 1943-44 que la police de Vichy en 1942 , c’est parce que pour elle les Juifs n’avaient qu’une seule nationalité, la juive et parce qu’elle n’était pas limitée par un nombre fixé à l’avance comme en août 1942. Au total ¼ environ des Juifs du Vaucluse ont péri ; ¾ ont survécu. On retrouve les mêmes proportions à l’échelle nationale : 80.000 perdus ; 240.000 sauvés. ISAAC LEWENDEL ne sait pas trop qui les a sauvés ; oui la population n’a pas dénoncé comme la légende le prétend, oui les actes de solidarité ont existé ; oui la victoire a facilité la survie. Ce qu’il sait en revanche et il le décrit à merveille, c’est l’implication de ces criminels français, manipulés par les SS, qui ont fait le sale boulot qui était de leur compétence, que Vichy ne voulait plus faire faire à sa police et que les Allemands ne pouvaient faire, ayant accordé la priorité à la lutte contre les résistants et au maintien de la sécurité de leurs troupes. ISAAC LEWENDEL établit le rôle mineur joué par la Milice dans la chasse aux Juifs. Utilisant subtilement les archives des Cours de justice, il décrit une quinzaine de cas, en majorité des miliciens, qui ont aidé des Juifs en situation critique. Ce n’est pas pour leur attribuer une Médaille des Justes mais pour creuser la complexité des hommes et aussi montrer comment parfois des résistants se sont peu souciés du sort des Juifs.
Le cours de la justice de l’immédiat après-guerre exprime combien le drame vécu par les familles juives était resté à l’arrière plan de la répression. Ce qui est vrai à l’échelle du Vaucluse l’est aussi à l’échelle de la France. Il aura fallu que les fils et filles des déportés juifs de France, dont ISAAC LEWENDEL fait partie, s’emparent du problème, changent la mémoire de Vichy et fassent comprendre à la conscience publique de notre pays ce qui s’est réellement passé et dans quels crimes le régime de Vichy a réellement trempé. J’ai lu le livre d’ISAAC LEWENDEL d’une traite. Vous le lirez comme moi parce qu’il est dur, utile et vrai. |