3.200.000 Juifs polonais n’émigrent pas - 1933-1939 - Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I - forum "Livres de guerre"
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Cinquante idées reçues sur la Shoah - Tome I / Marc-André Charguéraud

 

3.200.000 Juifs polonais n’émigrent pas - 1933-1939 de Francis Deleu le jeudi 12 juillet 2012 à 18h52

L’article que Marc-André Charguéraud nous confie, ce mois-ci, est le premier d’une nouvelle série de «50 autres idées reçues sur la Shoah » qui sera publiée en 2013.

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3.200.000 Juifs polonais n’émigrent pas - 1933-1939

Plus de 90% seront assassinés par les nazis.

Entre 1933 et 1939, 50% des Juifs du Grand Reich ont fuit le régime nazi. En Pologne seuls 4% des Juifs polonais sont partis avant que le désastre ne s’abatte sur eux.[1] Un déséquilibre fatal alors que pendant cette période les persécutions en Pologne ont été d’un niveau proche de celles qui ont sévit en Allemagne.

Les Juifs polonais ont été exclus de l’économie contrôlée par l’Etat. [2] L’accès à la fonction publique à quelque niveau que ce soit leur est interdit. Le boycott de l’industrie, des professions libérales et des magasins juifs se généralise. [3] Il y avait 9.500 boutiquiers en 1929, ils ne seront plus que 3.000 en 1938. La licence nécessaire leur a été retirée, alors que le nombre de leurs concurrents non juifs ne diminuait que de 2%.[4]

En 1937 les associations professionnelles de docteurs, d’ingénieurs et d’architectes adoptent les « paragraphes aryens » qui interdisent aux Juifs d’exercer ces professions. L’accès aux universités est limité par l’établissement de quotas et par la violence que font régner des étudiants fascisants sur leurs condisciples juifs. [5] Comme en Allemagne, le délit d’opinion soumet les Juifs à l’arbitraire le plus abject. Le délit d’injure à la nation polonaise fait son apparition en 1936. Seuls les Juifs s’en rendent coupables.

La politique du gouvernement est claire. En 1936 le premier ministre Slawoj Skladkowski déclare « un combat économique contre les Juifs par tous les moyens mais sans recours à la force ». [6] Plus tard il ajoute : « Du point de vue du gouvernement, l’émigration est indispensable à la solution du problème juif » [7] En octobre 1938, l’ambassade de Pologne à Londres renchérit auprès du Foreign Office : «le problème juif devient intolérable et il est vital de trouver un débouché pour les Juifs polonais ». Le directeur des nationalités au ministère de l’intérieur conclut : «Tout le monde est aujourd’hui antisémite en Pologne. Nous ne pouvons pas assigner un policier à chaque Juif et nous n’avons pas l’intention de pendre nos jeunes parce qu’ils sont antisémites ».[8]

L’Eglise catholique n’est pas en reste. Dans une lettre pastorale du 29 février 1936 du Cardinal Hlond, primat de Pologne écrit : «il est vrai que les Juifs commettent des fraudes, pratiquent l’usure et la traite des blanches. Il est vrai que du point de vue religieux et éthique, l’influence à l’école de la jeunesse juive sur la jeunesse catholique est généralement satanique ... » Il continue : «Il est vrai que les Juifs se battent contre l’église catholique, qu’ils sont libres penseurs et constituent l’avant-garde de l’athéisme, du bolchevisme et de l’activité révolutionnaire ». Il conclue avec ce jugement terrible et sans appel : «Un problème juif existe et il existera tant que les Juifs resteront juifs ».[9] Traduisez « Tant que les Juifs ne seront pas convertis au catholicisme ».
Toujours en 1936, un périodique jésuite appel à l’élimination des Juifs de la société civile : «On doit laisser les Juifs vivre, mais ils doivent être éliminés de la vie de la société chrétienne. Il est nécessaire de leur donner des écoles séparées (...) pour que nos enfants ne soient pas infectés par leur moralité douteuse ».[10] Comment s’étonner qu’en fin 1936, plusieurs milliers d’étudiants polonais en pèlerinage fassent solennellement le voeu de « transformer la nation polonaise en un état purement catholique (...) et de n’avoir de cesse que le dernier Juif soit chassé de Pologne, mort ou vif ».[11]

On comprend dans ces conditions qu’entre 1933 et 1939, le pourcentage des victimes juives en Pologne dépasse très largement celui des Juifs allemands. Un auteur estime à des centaines le nombre des victimes entre 1935 et 1937 seulement. [12] Malgré cette situation catastrophique, aucun pays n’est prêt à recevoir une multitude de «Polaks » qui ne parlent que yiddish, s’habillent étrangement et sont pour plupart sans ressources.

La Conférence d’Evian ignora les Polonais et donna la priorité aux réfugiés Allemands. Myron C.Taylor, le représentant américain, écrivait le 10 juillet 1938 que la plupart des Etats participants estiment « qu’il serait fatal de donner le moindre encouragement aux Polonais, aux Roumains ou aux autres états d’Europe centrale, car ils commenceraient immédiatement à mettre une telle pression sur leurs minorités que nous nous retrouverions avec un problème monstrueux sur les bras ». [13] On ouvrait la boîte de Pandore et risquait un raz de marée que l’on ne pourrait pas endiguer.

Un changement radical de la politique d’émigration des Etats-Unis illustre cet abandon des Juifs d’Europe centrale. Au tournant du vingtième siècle plus d’un million de Juifs d’Europe de l’Est sont arrivés en Amérique. La nouvelle politique américaine d’immigration de 1924 ferme la porte, elle n’accorde à la Pologne qu’un quota annuel dérisoire de 6.524 personnes par an. Il ne fut rempli entre 1930 et 1939 qu’à concurrence de 60% et ce n’était pas faute de candidats.[14]

L’immensité du problème posé par 3 300 000 Juifs polonais effraie. Dans sa lâcheté, le monde baisse les bras. La peur d’avoir à sauver des millions de gens sert de prétexte pour ne pas en secourir des centaines de milliers.

Dans ces conditions, la Palestine reste pour certains une dernière possibilité. Un leader sioniste révisionniste polonais qui fera beaucoup parler de lui, Vladimir Jabotinsky, donne l’alerte : « les éléments déchaînés vont bientôt s’abattre sur l’ensemble de la population de l’Europe de l’Est, et avec une telle force que le désastre allemand en sera éclipsé ». Pour lui, la catastrophe est imminente et il est urgent d’évacuer 750 000 Juifs de Pologne.

Dans une conférence célèbre de septembre 1936 à Varsovie, Jabotinsky donne une seule destination possible : les deux rives du Jourdain, la Palestine, la patrie historique du peuple juif. Quelques semaines auparavant, le 2 août 1936, Grynbaum, membre du comité exécutif de l’Agence Juive, avait déclaré à la presse à Varsovie : « Nous devons partir. Pour la grande masse des Juifs de Pologne, l’heure de l’exode a sonné ».[15]

Le seul enthousiasme que Jabotinsky soulève c’est paradoxalement celui du colonel Beck, le chef du gouvernement polonais. Il applaudi : un Juif confirme qu’il faut que les Juifs partent et c’est urgent. Un Juif cautionne la politique polonaise d’expulsion des Juifs qui a été l’objet de tant de critiques à l’étranger.

La communauté juive polonaise, elle, s’est violemment élevées contre le plan Jabotinski. Pour le Bund, la grande centrale syndicale, la solution du problème juif passe par la constitution en Pologne d’un état socialiste. C’est en Pologne que la bataille doit avoir lieu. Dans leur grande majorité les Juifs ne désirent pas émigrer malgré de terribles conditions de vie. Ils vivent dans ce pays d’accueil depuis des siècles et pensent que leur force est de rester ensemble en bravant l’adversité. Ils considèrent comme une trahison que Jabotinsky, comme le gouvernement antisémite, encourage leur départ de Pologne. Rester et mourir, voilà ce qui arriva, mais cela, ils ne pouvaient pas l’imaginer.

L’American Jewish Joint Distribution Committee, le JOINT, la grande organisation caritative américaine réagit de la même façon. Déjà, à la fin des années vingt, le JOINT avait décidé «qu’en aucune circonstance il ne financerait l’établissement des Juifs à l’étranger ». [16] Pour elle « La solution au problème doit être cherchée là où les Juifs vivent ». Elle va accorder de généreuses subventions destinées à soulager les misères les plus criantes et à relancer un minimum d’activité économique par le biais de divers financements.

A Evian, Lord Winterton, le représentant britannique dresse une barrière supplémentaire. Il oppose une fin de non-recevoir à toute discussion sur l’immigration juive en Palestine : «On a fait valoir dans certains milieux que l’ensemble du problème, tout au moins en ce qui concerne les réfugiés juifs, pourrait être résolu si seulement on ouvrait toutes grandes les portes de la Palestine aux immigrants juifs, sans restrictions d’aucune sorte. Je tiens à déclarer avec toute la netteté possible que je considère toute proposition de ce genre entièrement insoutenable ».[17]

Le manque de vision des uns, le refus d’accueil des autres ont conduit 3 000 00 de Juifs polonais à la mort. Ils représentent 52% des victimes de la Shoah alors que celles du Reich s’établissent à 3,7%.[18] Des chiffres trop rarement articulés qui montrent qu’avant la guerre une priorité devait être donnée aux Polonais comme elle le fut aux Allemands.

Le Président Roosevelt écrivait en janvier 1939 à propos des Juifs de l’Est: « Je ne pense pas que le départ de 7 millions de personnes de leur domicile actuel et leur relogement dans d’autres parties du monde seraient possibles, ni qu’ils soient une solution au problème.» [19]
Roosevelt avait raison : tous les Juifs n’auraient pas pu quitter la Pologne mais le monde démocratique pouvait et devait se porter au secours de quelques centaines de milliers. Il s’y est lâchement refusé.

[1] 140 000 Juifs polonais sur un total de 3 300 000. 439 000 Juifs du Grand Reich (Allemagne, Autriche, Protectorat de Bohème-Moravie) sur un total de 869 000.
- MARCUS Joseph, Social and Political History of the Jews in Poland 1919-1939, Mouton Publishers, New York,1983, p 388.
- BAUER Yehuda, American Jewry and the Holocaust The AJJDC 1930-1945, Wayne State University Press, Detroit, 1981, p 29.
- GUTMAN Israel, Encyclopedia of the Holocaust, Collier MacMillan, London, 1990, p. 1799.

[2] MENDELSOHN Ezra, The Jews of East Central Europe between the World Wars, Indiana University Press, Bloomington, 1983, p.167

[3] HELLER Celia, On the Edge of Destruction : Jews of Poland between the Two World Wars, Schoken Books, New York, 1977, p. 76

[4] MARCUS, op. cit. p. 243.

[5] DAWIDOWICZ Lucy, The Holocaust and the Historians, Harvard University Press, Cambridge, 1981, p. 92.

[6] MENDELSHON, op. cit. p.71.
[7] HELLER, op. cit. p.138.

[8] KORZEC Pawel, Juifs de Pologne : La question juive pendant l'entre deux guerres, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 1980, p.248. Déclaration début 1936.

[9] MARTIN Gilbert, l’Atlas de la Shoah, Edition de l’Aube, Paris, 1992, p. 21.
- HELLER, op. cit. p. 113.
[10 ]HELLER, op. cit. p.110.
[11] MARCUS, op. cit. p.356.

[12 ]GUTMAN, MENDELSOHN, REINHARZ, SHMERUK, The Jews of Poland between the Two World Wars, University Press of New England, 1989, p.105.
- ELISSAR Eliahu Ben, Le facteur Juif dans la politique étrangère du IIIème Reich, 1933-1939, Julliard, Paris, 1969, p. 302. Chiffre à 500 le nombre de Juifs morts dans les pogromes entre 1934 et 1938.

[13] STRAUSS Herbert, Immigrant from the Nazi Period to America, New York, 1987, p. 366. Près de 5 000 000 de Juifs habitaient en Pologne, Hongrie, Roumanie et Tchéquie.

[14] MARCUS, op. cit. p. 516.
[15] KOTZEC, op. cit. p. 315.
[16] MARCUS, op. cit. p. 391.

[17] Actes du Comité Intergouvernemental, 6-15 juillet 1938, Evian.

[18] GUTMANN, op. cit. p. 1799.

[19] FEINGOLD Henry L, The Politics of Rescue : The Roosevelt Administration and the Holocaust , 1938.1945, Rutgers University Press, New Brunswick N J, 1970, p. 53. Roosevelt à son ministre des Affaires étrangères le 14 janvier 1939.


Copyrigth Marc-André Charguéraud. Genève. 2012. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.

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