et une excellente postface - A la conquête DU CAUCASE - forum "Livres de guerre"
Pour profiter de
tous les avantages
de ces pages, vous
devez accepter
les cookies



Forum
des livres, revues, sites, DVD, Cd-rom, ... , sur la 2e Guerre Mondiale, de 1870 à 1970
 
 Le débat sur ce livre
 
 L'accueil
 Le menu
 Le forum
 Les livres
 Ajouter un livre, ...
 Rechercher
 Où trouver les livres ?
 Le Glossaire
 Les points
 Les pages LdG
 L'équipe
 Les objectifs
 La charte
 Droit de réponse
 L'aide
 
 
 

 


La description du livre

A la conquête DU CAUCASE / Eric Hoesli

 

et une excellente postface de Christian Favre le dimanche 08 avril 2012 à 06h51

Dans son introduction, l'auteur parle modestement d'une « enquête journalistique » et précise : « J'ai souligné ce qui me paraissait particulièrement digne d'intérêt et nécessaire à la compréhension des événements, [...] je me suis efforcé de toujours laisser au lecteur le soin de juger. » Journaliste, Eric Hoesli l'est assurément, l'un des plus grands de sa génération ; et son reportage, si l'on peut dire, se lit comme les meilleurs romans historiques, un genre particulièrement apprécié des Français. Quand on a ouvert ce gros volume, on ne peut plus le lâcher avant la fin. On est pris dans un mouvement palpitant qui nous fait enjamber plus de deux siècles pour déboucher sur les inconnues du monde actuel, tant il est vrai que « l'histoire de la conquête du Caucase ne s'arrête pas à la dernière page de ce livre ».
Mais s'il en a les qualités littéraires, cet ouvrage monumental n'est pas un roman. Chacun des six tableaux qui le composent est construit à partir des meilleures sources disponibles. L'auteur n'a pas ménagé sa peine pour les débusquer, bien servi par sa compréhension exceptionnelle du monde russe et par ses dons linguistiques. Comme ces correspondants de guerre qu'il admire, sa connaissance du terrain et de multiples rencontres l'ont plongé au cœur même de son sujet. Personne ne pourrait mieux faire. Le résultat est une œuvre magnifique, destinée, je n'en doute pas, à devenir une référence incontournable pour tout débat sur la géopolitique du Caucase.
Les meilleurs journalistes sont des sages. Ils se tiennent à l'écart de la cohorte des idéologues. Sans doute la sagesse d'Eric Hoesli est-elle liée à sa nationalité, puisqu'il est suisse. C'est parce que son propre jugement est remarquablement équilibré qu'il laisse au lecteur le soin de juger. Et si le lecteur n'est pas de ces fanatiques pour qui l'art du commentaire se réduit à distribuer les bons et les mauvais points, voire à jeter des anathèmes, au nom d'une morale dont ils s'auto-désignent comme les représentants, il estimera sans doute avec moi que la première qualité d'un bon jugement, face à des affaires extrêmement complexes, est la prudence. Ainsi, ce livre nous donne tous les éléments géographiques et historiques nous permettant de situer la question tchétchène aujourd'hui. Nous commençons par apprendre dans le détail ce qu'il en a coûté aux Russes de conquérir la Tchétchénie et le Daghestan, et nous nous prenons de sympathie pour Chamil, dont certains traits nous font pourtant penser au Ben Laden qui obsède le monde occidental d'aujourd'hui. Nous sommes d'autant plus surpris de découvrir qu'après sa capture, au bout de plusieurs décennies de traque, l'ennemi public numéro un des Russes fut accueilli en frère par Alexandre II et sembla reconnaître des mérites à l'empire, avant d'aller mourir saintement à Médine. Nous nous trouvons ensuite plongés dans le roman-feuilleton du « Grand Jeu », à une époque où la Grande-Bretagne victorienne, superpuissance s'il en fut, rêvait d'arrêter une extension du domaine tsariste qui aurait menacé l'empire des Indes sur son flanc ouest. Notre attention est ici attirée sur le Caucase occidental et sur les Tcherkesses. La chaîne de ces événements qui parcourt l'essentiel du XIXè siècle nous retient en haleine, et nous y voyons à l'œuvre les ressorts de la propagande. Dans l'Angleterre et l'Europe d'alors, la plupart des citoyens ignoraient jusqu'à l'existence des peuples caucasiens et a fortiori leurs mœurs bien différentes. Les manifestations de sympathie à la cause de ces peuples ne pouvaient que servir objectivement un dessein géopolitique. De fait, je ne crois pas, hélas, que dans le domaine impitoyable des relations internationales, des gestes vraiment désintéressés et fondés sur les seules considérations morales et humanitaires puissent avoir une portée durable, c'est-à-dire au-delà de la durée des émotions. Sur ce point, le monde n'a pas beaucoup changé, et si l'on peut admettre que la gouvernance planétaire a fait quelques progrès, l'essentiel est à réaliser. La modicité des résultats obtenus ne doit pas nous dissuader de travailler pour la renforcer. Mais ceci est une autre histoire.
Pour en revenir au livre et à ses enseignements, nous voyons comment les Anglais se désintéressent progressivement du Caucase pour porter leurs efforts sur l'Iran, au moment où débute la grande aventure du pétrole. C'est à cette époque que les Allemands entrent dans le jeu. La partie sur la conquête des sommets du Caucase, et du plus mythique d'entre eux, le mont Elbrouz, est fascinante. De même que certains des publicistes défenseurs des peuples opprimés sont sincères, et n'apparaissent pas instrumentalisés consciemment par d'autres causes plus ou moins tangibles, de même les alpinistes qui partent à l'assaut des pics ne sont-ils pas nécessairement les hérauts de quelque nationalisme. Et pourtant... En lisant ces pages, je ne pouvais m'empêcher de penser à ce qu'a représenté, dans l'univers de la guerre froide, le premier débarquement sur la Lune. Avant d'en arriver à la compréhension du monde caucasien d'aujourd'hui, il faut encore passer par la fantastique épopée de la Wehrmacht, après le déclenchement de l'opération Barbarossa, pour débouler sur le fief pétrolier de la Transcaucasie en franchissant des montagnes réputées infranchissables. Cette fois, on pense à Hannibal et à ses éléphants. L'un des développements les plus intéressants concerne l'élaboration et finalement l'avortement d'une politique d'occupation qui, à l'opposé de l'effroyable répression nazie en Ukraine, aurait permis la collaboration des peuples délivrés du totalitarisme soviétique. On ne peut s'empêcher de se demander comment la guerre aurait tourné si les armées d'Hitler avaient réussi à convertir les cœurs des Caucasiens et à s'emparer du pétrole de Bakou. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi, et la partie suivante du livre, dont les détails font irrésistiblement penser à la Shoah, raconte le martyre des Tchétchènes et d'autres composants de la mosaïque caucasienne, déportés par les Soviétiques dans des conditions effroyables, pour des raisons à ce jour non encore complètement élucidées. On voit aussi combien douloureux a pu être le retour des survivants sur leur terre natale, après la déstalinisation. Et tout ceci a finalement débouché, après la chute de l'Union soviétique, sur un nouveau soulèvement des Tchétchènes, comme à chaque fois, explique l'auteur, que la Russie s'affaiblit en son centre. Comme au milieu du XIXè siècle, une partie de l'opinion publique occidentale, aiguillonnée par les moralisateurs du moment, s'est enflammée pour cette cause lointaine. L'enjeu géopolitique sous-jacent n'est plus, comme jadis, l'accès au monde indien dont la situation a évidemment radicalement changé. Le but actuel de maint stratège occidental est d'empêcher la renaissance de la Russie et d'assurer à la « Communauté transatlantique » dirigée par les États-Unis la maîtrise du nouveau « Grand Jeu », si parfaitement décrit dans la dernière partie du livre : celui des hydrocarbures. Pour approfondir ces remarques, il faudrait se placer d'un tout autre point de vue et analyser les systèmes de pouvoir, c'est-à-dire les relations entre politique, économie et médias. Cela vaut pour l'Amérique de Bush comme pour l'Angleterre victorienne.
Rien de tout cela, évidemment, n'échappe à Eric Hoesli. En restant très discret sur la dernière guerre russo-tchétchène, dont l'élimination de Chamil Bassaev, le 10 juillet 2006, ne constitue certainement pas l'épilogue, il évite de se laisser entraîner dans le tourbillon des passions, ce qui aurait porté préjudice à son livre tout entier. Il se comporte donc bien comme un sage en s'arrêtant là où commence la politique la plus actuelle. Son objet n'est pas de prendre parti ou de donner des leçons à quiconque, mais d'aider à l'intelligence des débats.
L'intérêt de l'ouvrage ne s'arrête pas là. L'auteur prête une grande attention aux hommes, pas seulement aux groupes et à la politique. L'histoire, ou plutôt les histoires qu'il raconte sont faites de millions d'aventures et de tragédies individuelles. Et il sait que ce sont autant de fois une aventure et une tragédie. Son récit est émaillé d'anecdotes qui permettent de composer le tableau d'ensemble, mais qui nous rappellent aussi l'importance et la singularité de chaque vie, niées par les idéologues
totalitaires de tout acabit. Bien des héros de ce récit sont des inconnus, même quand ils sont désignés par leurs noms. Comme les million• d'acteurs qui ne sont pas nommés, ils sont néanmoins importants. Nous rencontrons aussi, au fil des pages, des personnalités étonnantes, comme chimiste Mendeleev, le génial découvreur de la classification périodique des éléments, qui a tenu un rôle inattendu dans l'histoire du pétrole ; ou, dans un tout autre genre, cet économiste allemand, Théo¬dore Oberländer, devenu le théoricien de l'occupation douce du Caucase.
Eric Hoesli s'est tenu à l'écart des analyses ou approches académiques, mais son ouvrage fourmille de considérations qui méritent d: figurer en bonne place dans tout enseignement de géopolitique ou de géostratégie. Géopolitique, parce que, dans chacun de ses tableaux, le, idéologies relatives aux territoires ainsi que les politiques qui en découlent sont élucidées pour chacune des principales parties en présence. Géostratégie, car toutes les indications nécessaires étant données. l'exemple du Caucase illustre remarquablement l'importance de la géographie dans la détermination détaillée des stratégies. Ce n'est pas ¬sans raison, par exemple, que Clausewitz dans son chef-d'œuvre, De la guerre, consacre d'amples développements aux spécificités de la guerre en montagne. De tout temps, les conquérants - au sens le plus large du terme - se sont attachés à acquérir des connaissances sur les territoire, convoités. L'auteur a pris grand soin de développer aussi cet aspect capital de la réalité historique et, en le lisant, comment ne pas penser à la formule bien connue d'Yves Lacoste, provocante pour les besoins de la notoriété mais non dénuée de fondements : « La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre. »
On ne referme pas ce livre sans une certaine amertume. On ne doute pas en effet que l'histoire de la conquête du Caucase ne s'arrête pas à la dernière page. On sait, ou plutôt on devrait savoir, que dans l'état actuel de la gouvernance mondiale, la prétendue « Communauté internationale » est à peu près impuissante pour policer le règlement des conflits dans une région aussi complexe. On peine à discerner le juste et plus encore à imaginer une justice autre que celle du plus fort. Et l'on sait que ce genre de situation existe dans bien d'autres parties de la planète, auxquelles les Occidentaux accordent une attention proportionnelle à leurs propres intérêts. C'est dire que le monde n'en a pas fini avec les injustices, la guerre et ses horreurs, et que l'apprentissage d'une démocratie universelle, respectueuse de tous les peuples et de leurs différences, n'en est qu'à ses balbutiements.

Thierry de Montbrial,
directeur général et fondateur de l'Institut français des relations internationales, membre de l'Académie des sciences morales et politiques.

*** / ***

lue 1792 fois et validée par LDG
 
décrypter

 



Pour contacter les modérateurs : cliquez !

 bidouillé par Jacques Ghémard le 1 1 1970  Hébergé par PHP-Net PHP-Net  Temps entre début et fin du script : 0.01 s  5 requêtes